EVECHE DE GIKONGORO               

               B. P. 77 GIKONGORO

                RWANDA / AFRIQUE

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Le rapport de la Commission spéciale du Parlement rwandais me calomnie

  

A la date du 24 janvier 2004 la Chambre des Députés du Parlement rwandais a mis en place une commission spéciale composée de 9 Députés pour enquêter sur des assassinats de rescapés du génocide perpétrés en 2003 dans le district de KADUHA, Province de Gikongoro, ainsi que sur l’idéologie génocidaire et ses suppôts à travers tout le pays. C’est le 14 juin 2004 que la commission, placée sous la présidence de l’Hon. Député François Munyurangabo, a déposé son rapport final de 170 pages. Ce dernier fut l’objet d’un examen à la Chambre des Députés à la fin du même mois de juin.

 

Depuis sa publication, ce rapport a suscité - à juste titre – de nombreuses critiques dans divers milieux. Il est fortement contesté. Après des recherches, je suis parvenu enfin à obtenir une photocopie du texte intégral. A la lecture, je reste fort surpris de constater avec déception que mon nom et celui de l’ancien évêque de l’EER-Diocèse de Kigeme y figurent  de façon malveillante, à l’occasion d’une sorte d’aperçu « historique » sur le génocide dans la Province de Gikongoro, où l’on veut mettre en cause mon comportement durant cette tragédie. C’est pourquoi j’ai cru devoir réagir vivement à ce rapport pour protester contre des allégations calomnieuses qu’il comporte à mon adresse, étant bien entendu que je souscris déjà à la récente déclaration commune de la Conférence des Evêques catholiques du Rwanda, rendue publique le 26 juillet 2004.

 

            1. Pour commencer, il faut rappeler à qui veut l’entendre le fait que moi, évêque du diocèse catholique de Gikongoro, j’ai été injustement arrêté et jeté en prison durant 14 mois depuis avril 1999 dans des circonstances bien connues de tous. J’ai été accusé faussement et traîné dans la boue devant des juridictions rwandaises de la manière que tout le monde connaît. Mon procès s’est déroulé en public, et en plein jour ; on y a vu défiler divers témoins, à charge et à décharge. Ce procès, qui dura plusieurs mois, s’est terminé en juin 2000 par mon acquittement pur et simple, le tribunal ayant estimé que l’accusation n’était parvenue à fournir aucune preuve de culpabilité. J’ai été alors libéré immédiatement, et sans condition.

 

            Il est donc fort étonnant de constater que la commission parlementaire susmentionnée, parlant de moi dans son rapport, agit comme si ce procès, pourtant fort médiatisé, n’avait pas eu lieu. Ce n’est pas honnête de sembler ignorer cet événement. Ainsi, sans aucune volonté de vérifier méthodiquement le sérieux des témoignages recueillis, la commission reprend simplement dans son rapport certaines légendes répandues sur mon compte par mes détracteurs au lendemain du génocide de 1994 en voulant m’accuser d’implication dans ce crime contre l’humanité. Or ces légendes méchantes, qui faisaient partie de mon dossier judiciaire durant ma détention préventive à la Prison Centrale de Kigali, ont déjà fait l’objet d’un débat contradictoire devant les juridictions compétentes du pays.  La défense les a démontées complètement. Et les juges ont tranché en faveur de l’accusé. Ce que dit à mon sujet la commission parlementaire dans son rapport n’aurait d’intérêt que s’il s’agissait d’une découverte de faits nouveaux à charge. Or ce n’est pas le cas !

            2. Dans le rapport, il est question de moi à deux endroits. A la page 8, après avoir affirmé que le génocide tutsi de 1994 a débuté très tôt dans la Province de Gikongoro, la commission poursuit en ces termes : « Nk’uko bari baramenyereye, abatutsi benshi bahungiye muri za kiliziya n’insengero z’andi madini, cyane cyane KIBEHO, CYANIKA, KADUHA, MUSHUBI na KIGEME. Abahungiye kuri kiliziya ya GIKONGORO no ku rusengero rwa KIGEME muri EER ntibahatinze kubera ko Musenyeri MISAGO na Musenyeri KAYUMBA bari bazi gahunda ya MURAMBI, kuko bajyaga mu byitwaga inama z’umutekano zari mu by’ukuri inama zitegura ubwicanyi »

 

             Traduction : « Comme beaucoup de tutsi en avaient eu l’habitude, ils cherchèrent refuge dans des églises et des lieux de culte d’autres confessions, surtout à Kibeho, Cyanika, Kaduha, Mushubi, et Kigeme. Ceux qui se réfugièrent à l’église de Gikongoro et au temple de Kigeme appartenant à l’Eglise Episcopalienne au Rwanda n’y sont pas restés longtemps du fait que Mgr Misago et Mgr Kayumba connaissaient le plan de Murambi, car ils participaient aux prétendues réunions de sécurité qui étaient, en réalité, des réunions destinées à planifier des massacres ».

 

            3. Par là, la commission parlementaire veut mettre sur mon compte des responsabilités n’ayant aucun fondement dans la réalité, eu égard à mon comportement pendant le génocide de 1994.

 

            Insinuer que j’aurais joué un rôle dans le transfert des déplacés tutsi vers le site de Murambi en avril 1994 pour y être massacrés, c’est pour le moins une erreur historique, pour ne pas parler de désinformation délibérée et diffamatoire. La vérité des faits est que ce sont les autorités de la Préfecture (aujourd’hui Province) de Gikongoro qui ont pris l’initiative de transférer ces déplacés vers le site de Murambi en prétendant leur offrir ainsi de meilleures conditions de sécurité et d’assistance. De petits campements de fortune s’étaient créés spontanément ça et là dans la ville, notamment à Sumba chez les Pentecôtistes, à l’école primaire catholique de Gikongoro près de la cathédrale, à Kigeme chez les Anglicans, et ailleurs. Les autorités de la Préfecture auraient jugé le site de Murambi plus adapté pour l’accueil d’un grand nombre de personnes déplacées qui ne cessaient d’affluer d’un peu partout : à Murambi on aurait plus d’espace vital, beaucoup de bâtiments spacieux et inutilisés, des toilettes, un ruisseau, du bois, etc.

 

            D’après des témoins dignes de foi, ces mesures de regroupement des déplacés furent décidées et mises en application dès lundi le 11/04/1994. Or je n’étais pas présent dans la région ; car je me trouvais encore bloqué à Kigali où je m’étais rendu dans la soirée du 6 avril 1994 pour pouvoir prendre, le lendemain matin, un vol de la compagnie SABENA vers Rome comme membre de la délégation rwandaise au Synode des Evêques pour l’Afrique, qui devait se réunir du 10 avril au 8 mai 1994. Je ne réussis à sortir de la ville de Kigali en flammes que le mardi 12 avril. A mon retour à l’évêché de Gikongoro, le camp de Murambi était déjà né et toutes les personnes se sentant menacées s’y dirigeaient des différents coins de la commune de Nyamagabe en espérant y trouver un refuge plus sûr.

 

            Malgré tout ce qu’on a pu raconter, notre Caritas diocésaine, dirigée alors par Madeleine Raffin avec la collaboration de l’abbé Edouard Ntaganda, curé de la cathédrale (auxquels je rends toujours hommage) s’est vraiment mobilisée jusqu’à la dernière minute pour distribuer des vivres selon les moyens disponibles, pendant que les services de la Préfecture déclaraient n’avoir rien à donner comme nourriture.

 

            Pour plus de détail sur la question du camp de Murambi, voir mon mémorandum du 17/10/1996 intitulé : « Réaction aux accusations lancées contre ma personne par l’organisation African Rights » (p. 6-9). Le texte intégral de ce document fut adressé d’abord à des destinataires ciblés ; plus tard il a été publié par la revue « DIALOGUE » N° 209 de mars-avril 1999 (pages 37-91), dans le cadre d’un dossier spécial de 117 pages intitulé « Un évêque sous les verrous ». Bien plus, le mémorandum a été récupéré par le ministère public comme élément à verser à mon dossier judiciaire.

 

            Sur l’action humanitaire de notre Caritas diocésaine durant la tragédie de 1994, voir par exemple Madeleine Raffin, Diaire de Caritas à Gikongoro durant la période d’avril à juin 1994 (8 pages sur format A4).

 

N.B : « Si tu ne lis pas, tais-toi ! » disait un sage, le Cardinal Saliège.

 

            4. Prétendre, comme la commission le fait avec complaisance dans son rapport, que « Mgr Misago et Mgr Kayumba connaissaient le plan de Murambi » (sous-entendu : plan visant à exterminer ce camp de déplacés tutsi), c’est une contre-vérité très grave qui ne peut pas résister à la confrontation des faits ; elle relève simplement du domaine des procès d’intention ou de la mauvaise foi peut-être imputable à certains informateurs de la commission peu soucieux de la vérité. Tous ceux qui se sont donné la peine de suivre sans parti pris le déroulement du débat contradictoire portant sur mon dossier judiciaire devant le tribunal de Nyamirambo (Kigali) savent désormais que pendant la tragédie de 1994, je n’ai jamais participé aux prétendues « réunions destinées à planifier le génocide ». Jusqu’à la clôture des nombreuses audiences de ce procès fort médiatisé, personne, ni le ministère public, ni la partie civile, n’a pu fournir une preuve de cela, malgré le grand nombre de témoins à charge qui se succédèrent à la barre.

 

            N.B : Pour se former un jugement sur ma propre position, voir par exemple mon Mémorandum du 12 janvier 2000 intitulé « Le point sur la question des réunions auxquelles j’ai participé », paru dans le recueil « Le procès de Monseigneur Augustin MISAGO : éléments de documentation » présentés par Maître Alfred POGNON et édité chez Pallotti-Press Kigali  juin 2000 p. 37-56.

 

            5. La deuxième mention de mon nom se trouve à la page 9 du rapport. Après avoir félicité les habitants d’un secteur communal de Nshili, cellule Kirarangombe, qui ont sauvé des tutsi en les aidant à fuir vers le Burundi, la commission poursuit en ces termes : « Undi wagerageje kurengera abantu ni umubikira w’Umudagekazi uba i Kaduha bita MILGITA kandi Musenyeri MISAGO wari umukuriye atari amushyigikiye ».

 

            Traduction : « Une autre personne qui a essayé de défendre des gens, c’est une religieuse allemande de Kaduha qu’on appelle Milgitha, alors que Monseigneur Misago, qui était son supérieur, ne la soutenait pas ».

 

            Cette nouvelle allégation par laquelle les auteurs du rapport prétendent que moi, évêque de Gikongoro, j’aurais empêché Sœur Milgitha Kösser de Kaduha de secourir des tutsi menacés est tout à fait contraire à la vérité des faits. Je me suis suffisamment expliqué là-dessus, non seulement au moment de mon procès, mais déjà dans mon Mémorandum du 17/10/1996 ci-haut cité, p.28-30 ; voir aussi la revue DIALOGUE N° 209 de mars-avril 1999, p. 80-81. En bref, je le répète, je n’ai jamais envisagé de décourager Sœur Milgitha, ni personne d’autre dans son action humanitaire en faveur des rescapés du génocide ; cela est impensable chez un évêque de l’Eglise catholique, laquelle, de par sa mission, œuvre sans cesse pour la défense des faibles et des pauvres. Comment aurais-je pu empêcher Sœur Milgitha d’assister les personnes en détresse alors que j’encourageais vivement les services de notre Caritas diocésaine à intervenir d’urgence partout où elle pouvait faire quelque chose, comme je l’ai souligné plus haut ? Après mon arrestation en avril 1999, Sœur Milgitha eut à répondre aux questions du ministère public (voir Procès-verbal de son audition dans mon dossier). Bien plus, elle eut à comparaître devant le tribunal de Kigali comme témoin sur demande de la partie civile (voir audience du 26/10/1999). Or, dans les deux situations, elle a confirmé mon propre témoignage. A quoi sert donc de continuer à attribuer à cette religieuse expatriée des allégations qu’elle même a niées en toute liberté devant les juridictions de l’Etat rwandais ? N’y aurait-il pas là chez l’informateur de la commission parlementaire une volonté perverse d’égarer et de manipuler une opinion publique non avertie ?

 

            6. Au cours des travaux d’enquête menés par la commission parlementaire, je fus honoré d’une visite effectuée à mon évêché par une équipe de cette commission dans le courant du mois de février 2004. Je ne me rappelle pas de la date exacte, mais c’était autour de 17h30’. Nous avons passé ensemble au moins deux heures et demie d’entrevue. Nous avons parlé d’un peu de tout, notamment du phénomène des assassinats dans le district de Kaduha, de la question des survivances de l’idéologie génocidaire, et du comportement de l’Eglise catholique pendant les tristes événements de 1994. Mais aucun mot sur mon passé judiciaire, ni sur les deux fausses accusations vues tout à l’heure. Ce n’est donc pas honnête que la commission ait retenu ces accusations dans son rapport final sans m’avoir interrogé là-dessus pour connaître aussi ma propre version des faits et pouvoir confronter  les témoignages recueillis. Une telle omission est une bonne illustration du caractère unilatéral de l’ensemble du rapport, déjà dénoncé par des organisations de défense des Droits humains ou par d’autres observateurs neutres.

 

            7. Voilà quelques unes des remarques que j’ai estimé opportun de faire sur ce rapport comme une mise au point, en mettant ainsi en garde tous ceux qui le liront ou chercheront à l’exploiter à des fins pas toujours nobles. Les calomnies dont je suis l’objet constituent une offense grave à ma dignité d’homme et d’évêque. Il s’agit d’une diffamation. Par ricochet, elles portent atteinte aussi à l’image de l’Eglise. C’est donc à bon droit que j’ose demander à la commission parlementaire de rayer mon nom de son rapport final et qu’en même temps un démenti public soit donné par l’autorité compétente en vue de réhabiliter mon honneur bafoué.

 

 

                                    Fait à Gikongoro, le 25 août 2004

 

                                                     + Augustin MISAGO

                                                      Evêque de Gikongoro

                                                     RWANDA