QUELQUES ELEMENTS D’ANALYSE POLITOLOGIQUE DE L’HECATOMBE RWANDAISE DE 1994

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RAPPORT D’EXPERTISE REQUIS POUR LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL SUR LE RWANDA DANS L'AFFAIRE : LE PROCUREUR CONTRE JEAN DE DIEU KAMUHANDA

                                                                              ICTR-99-54A

               

 

 

Rapport établi par Nkiko NSENGIMANA

Docteur ès Sciences Politiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lausanne, décembre 2002.


 

INTRODUCTION.

 

La défense m’a demandé d’éclairer l’auguste Tribunal sur quelques aspects du processus politique et du génocide rwandais. Il s’agit, ainsi que le cahier des charges[1] me l’assigne de  :

 

1.      Evoquer les raisons qui ont conduit le Président Habyarimana à accepter le multipartisme.

2.      Décrire le climat prévalant entre les partis politiques, particulièrement entre le MRND, MDR, FPR.

3.      Evoquer les raisons qui ont conduit aux Accords d’Arusha, au protocole d’entente entre les partis politiques, à la répartition des portefeuilles ministériels et à la représentation régionale au sein du Gouvernement.

4.      Evoque le climat de terreur au Rwanda entre avril et juillet 1994.

5.      Identifier les objectifs et définir la notion de complice dans le contexte rwandais de 1994.

6.      Evoquer la Constitution applicable en 1994 et indiquer si elle a été effectivement appliquée.

7.      Dire si le génocide a été planifié et s’il pouvait être évité.

 

Dans le but de faciliter au Tribunal une bonne compréhension des aspects me soumis et vu que tous éléments d’éclairage requis n’étaient pas nécessairement liés, j’ai cherché à mettre ensemble les éléments semblables, et dans la mesure du possible, j’ai présenté les faits d’une manière diachronique. Je n’ai donc pas développé les points dans l’ordre du cahier des charges. Et quand la question ne précisait pas concrètement le cadre, j’ai essayé de lui en imprimer. D’ores et déjà, je ne prétends pas avoir épuisé l’analyse de tous les objets sur lesquels le Tribunal voudrait des clarifications plus exhaustives. Aussi espéré-je que la phase orale me permettra d’élucider davantage tel ou tel aspect qui lui paraîtra partiel, voire controversé.

 

Aussi dans un premier titre, aborderai-je la question générale de l’ouverture au multipartisme au Rwanda et mettrai en exergue les déterminants internes et externes. Dans un deuxième titre, je décrirai le climat prévalant entre les partis politiques par la présentation de la configuration politique, les relations entre les partis dominants ainsi que les fruits importants qu’ils ont récoltés dans la compétition politique. Ces partis sont le MRND, le MDR et le FPR. Dans un titre troisième, j’aborderai la question du protocole d’entente entre les partis politiques participant au gouvernement du 16 avril 1992. Dans cette partie, ce sont les mobiles à l’origine du protocole d’entente, les clauses majeures dudit protocole et la répartition des portefeuilles ministériels qui seront retenues.

 

Le titre quatrième privilégiera l’aspect de la répartition régionale des ministères sous la deuxième République. Après en avoir élucidé les mobiles, une présentation sous forme de tableau statistique sera effectuée. Le titre cinquième développera les raisons à la base de l’Accord de Paix d’Arusha. Les raisons internes et les raisons externes seront à tour de rôle examinées. Le titre sixième a décrira le climat prévalant entre avril et juillet 1994. Pour effectuer une telle description, il sera nécessaire de faire un flash back sur le climat de peur et de blocage visible avant avril 1994 à la suite de quoi le climat de terreur pendant les cent jours du jour du génocide sera situé. Le titre septième analysera la notion de complice, notion qui a connu une mutation progressive au cours de la guerre et du génocide. Quatre étapes d’utilisation différente du terme seront sériées : la période d’octobre 1990 à juin 1991, la période de juin 1991 à octobre 1993, celle d’octobre 1993 au 6 avril 1994, enfin celle du 6 avril à la prise du pouvoir par le FPR en juillet 1994.

 

Le titre huitième abordera la question du régime constitutionnel applicable dès le 6 avril 1994. Pour ce faire, je montrerai d’abord comment la situation dans laquelle le Rwanda se trouvait était inédite. J’analyserai ensuite les articles de la Constitution du 10 juin 1991 et ceux de l’Accord d’Arusha indiquant la procédure à suivre. Enfin, au vu des dispositions constitutionnelles, je trancherai la question. Dans un ultime titre, je développerai la question complexe et polémique de la planification du génocide. Je dirai, dans un premier temps, ce que le génocide tutsi n’est pas. Dans un deuxième temps, je dirai ce qu’il est. Enfin, j’aborderai la question de savoir si le génocide aurait pu être évité.

 

Ma conclusion reviendra sur les faits majeurs qui caractérisent l’histoire immédiate rwandaise, à savoir la démocratie, la guerre et le génocide. Elle interpellera l’auguste Tribunal sur son rôle dans la réconciliation.


 

Titre 1 : L’OUVERTURE AU MULTIPARTISME.

 

Le multipartisme au Rwanda s’est exercé dans un contexte spécifique : la guerre. Le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis au Rwanda de 1990 à 1994 et au-delà s’inscrivent dans un contexte politique de crise particulier : l’ouverture au multipartisme et la guerre. Si le deuxième élément s’est greffé sur l’autre, il n’en reste pas moins qu’il a accéléré le premier, en même temps qu’il l’a vicié. Démocratiser en situation de guerre, la gageure impossible. On ne peut donc pas parler de l’un sans évoquer l’autre. Aussi tenterai-je dans ce premier titre d’en élucider les déterminants internes et externes qui les ont rendu possible.

 

1.      LES DETERMINANTS INTERNES.

 

Quels sont les déterminants internes majeurs qui ont amené au multipartisme ? Si vous me permettez, j’en recenserais   principalement  cinq : le régionalisme, l’ethnisme latent, l’émergence de l’opposition interne et la perte des soutiens, la pauvreté du monde rural, la guerre.

 

a.       Le régionalisme ou le conflit nord-sud.

 

La prise du pouvoir par coup d’état du Général Habyarimana en 1973 a inauguré un processus de marginalisation politique, voire d’élimination physique, de l’élite du sud du pays. Cette élite est restée, durant le long règne de Habyarimana, sous-représentée dans les hautes sphères politiques, administratives et militaires du pays. Les projets de développement agricole financés gracieusement par la Banque mondiale et le Fonds européen de développement se sont concentrés au nord du pays (3 préfectures), laissant au sud (7 préfectures) quelques miettes. Il en est de même dans l’accès à l’école où le sud, par l’invention d’associations des parents d’élèves et la création d’écoles privées peu coûteuses, a su conserver le niveau d’instruction des enfants.

 

Vers la fin de l’année 1990, le pouvoir rwandais était aux mains d’une petite minorité hutu «akazu » de la région du Bushiru. Pour l’opposition politique, essentiellement hutu du sud, le FPR était considéré comme un allié de taille dans le combat contre le régime Habyarimana[2]. L’opposition était donc favorable au retour des réfugiés et au partage du pouvoir. Même aujourd’hui, après près d’une décennie d’exil, l’appartenance commune à l’ethnie hutu ne constitue pas un élément fédérateur susceptible de rassembler la « communauté hutu » et de faire cause commune dans la lutte politique contre le régime de Kigali pourtant accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre contre leurs parents hutu. Signe que le contentieux nord-sud n’a pas encore été vidé.

 

b.      L’ethnisme latent.

 

 Le règne de Habyarimana coïncide aussi avec une certaine «dormance » du problème ethnique hutu-tutsi. En effet, le Président Habyarimana a dû compter sur l’alliance avec l’élite commerciale tutsi pour se stabiliser. Au niveau interne, l’antagonisme hutu-hutu, reflet du problème nord-sud, jusqu’au déclenchement de la guerre en 1990 par le FPR, voire plus tard, était de loin plus inquiétant que le problème hutu-tutsi. Que l’on prenne la précaution de lire la presse de cette époque, on découvrira que la question ethnique était absente. J’avancerais même qu’elle était en train de s’estomper[3]. On trouvait dans la cour rapprochée du Président plus d’élites tutsi que de hutu du sud. Alors qu’on comptait plusieurs détenus politiques hutu, il n’y avait pas de détenu politique tutsi, cela jusqu’à l’éclatement de la guerre.

 

Au niveau populaire, comme les tutsi habitaient tous pratiquement le sud, il n’existait pratiquement plus de signe visible de ségrégation entre hutu et tutsi. Tous étaient confrontés de manière égale aux problèmes de la pauvreté, de l’exiguïté des terres, de l’accès aux soins et à l’éducation. Au contraire des solidarités sociales à travers les mariages, la constitution des coopératives de toutes sortes, la création d’associations de parents d’élèves étaient progressivement créées. Au niveau national, les tutsi étaient marginalisés plus à cause de leur origine régionale que de leur identité ethnique. Au niveau local, il n’existait pas de contentieux ethnique palpable. Cela pour dire que jusqu’à l’éclatement de la guerre en 1990, l’ethnisme est resté latent et confiné au niveau des élites politiques.

 

Le FPR a attaqué le pays au moment où le problème ethnique était en train de s’estomper devant la montée des revendications sociales (paysannerie) et la contestation du leadership du nord (régionalisme). Il s’agissait d’une phase d’intégration terminale, phase sociologiquement fragile par excellence. En recrutant presque exclusivement ses troupes dans les rangs tutsi de l’intérieur, le FPR a fissuré un échafaudage de cohésion interne qui n’avait pas encore atteint son niveau d’équilibre stable. Les démons de l’ethnisme ont alors été réhabilités et pouvaient faire valoir, à tort bien sûr, que les tutsi de l’intérieur constituaient la cinquième colonne de la rébellion. Les temps de guerre ne sont pas ceux où la raison prévaut : l’espace est accaparé par les radicaux.

 

c.       L’émergence de l’opposition interne et la perte des soutiens.

 

En 1983, se passe un événement politique et judiciaire important qui bouleverse la donne politique alors consensuelle. Le ministre des affaires sociales, Félicien Gatabazi, est accusé de détournement de biens destinés aux réfugiés. Il est écarté du gouvernement et mis en prison. M. Gatabazi, dans la subtile répartition géographique des postes ministériels et de la haute administration[4], était comme l’un des principaux leaders du sud[5] du pays. D’autres leaders de la même trempe, à savoir Madame Félicula Nyiramutarambirwa[6] et Frédéric Nzamurambaho sont aussi évincés. L’opposition, alors latente, des gens du Sud qui avait difficilement digéré le coup d’Etat de 1973 et le sort tragique réservé aux élites politiques de la première République, s’exprime désormais de manière ouverte.

 

Il est communément admis qu’un pouvoir tombe davantage à cause de la perte des soutiens et de la loyauté que de la force de l’opposition à laquelle il est confronté. Dans le cas du Rwanda, l’on peut constater que le régime a commencé à battre de l’aile depuis 1985 avec la crise caféière. A la fin 1989, il était complètement essoufflé qu’une journaliste belge de la « Libre Belgique » publia un article au titre prophétique annonçant la fin du régime[7]. Avec l’effritement catastrophique des prix du café dès 1985 qui induisit une diminution drastique des recettes de l’Etat,[8] ajouter à cela les mesures draconiennes d’ajustement structurel du Fonds Monétaire, le pouvoir ne dispose plus de ressources financières pour entretenir sa nombreuse cour et les clients gravitant autour.

 

Le cercle des fidèles se réduit alors considérablement créant une opposition nouvelle au sein même du régime. La crise économique s’accentuant, l’alliance scellée entre le pouvoir et l’élite commerciale tutsi commence elle aussi à fléchir. Cette élite n’arrive plus, en effet, à trouver les ressources afin d’assumer sa contrepartie dans ladite entente[9]. Il convient aussi d’ajouter que ces ressources sont devenues d’autant plus limitées qu’elles commençaient déjà à financer l’effort de guerre de la rébellion[10].

 

La contestation politique devient plus manifeste. A l’opposition traditionnelle alors latente composée de l’élite méridionale se greffe une autre, née du fait que le pouvoir ne pouvait plus entretenir les nombreux cercles concentriques de soutien. Le groupe politique du Nord, véritable détenteur du pouvoir, n’est plus cohérent en lui-même. On assiste à des rivalités fortes entre l’élite politique de la préfecture de Gisenyi, région originaire du Président de la République, et l’élite de la préfecture de Ruhengeri. Au sein même de l’élite de Gisenyi, une fracture « shiru », à savoir le réduit, et « goyi », le deuxième cercle, se dresse.

 

Il apparaît donc que contestant une gouvernance de plus en plus obsolète, l’opposition, essentiellement hutu, d’abord confinée au sud, s’est progressivement élargie à certaines parties du Nord. Quelques éléments de ces élites du Nord sont même allés gonfler les rangs du FPR. Le pouvoir se concentre désormais dans les mains de la famille présidentielle qui sera désormais connu sous le nom de « Akazu » ou « Clan de Madame », à savoir, le carré central prétorien du pouvoir.

 

d.      La paupérisation du monde rural.

 

L’essoufflement du système foncier a eu des conséquences désastreuses sur l’économie rurale. Les exploitations agricoles familiales de plus de deux hectares, représentant pourtant près de la moitié des terres cultivables concentrées par seulement 16% des propriétaires terriens[11], produisent par hectare six fois moins que les minuscules terres restantes de moins d’un demi hectare exploitées par les 84% habitants restants. Ces terres mal exploitées appartiennent à ce que l’on pourrait appeler une élite foncière absentéiste composée de fonctionnaires et de commerçants. Cela a accentué le mécontentement.

 

Ajouter à cela que la miniaturisation progressive de la propriété familiale due au système d’héritage de répartition équitable entre tous les éléments mâles, miniaturisation qui n’a pas été accompagnée de progrès technologique ad hoc, a conduit à l’épuisement rapide des réserves de terre, à la chute de la productivité des terres surexploitées et à la complication du problème foncier. On comprend ainsi pourquoi la misère, la famine et les maladies sont devenues le lot quotidien de la paysannerie et l’ont socialement marginalisé, creusant un grand fossé entre riches urbains et pauvres ruraux.

 

Les inégalités sociales relatives à l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé et aux ressources économiques se sont donc accrues et la richesse nationale profitait à un petit nombre de privilégiés du régime et à une élite militaro-commerciale. La classe paysanne a été frappée de plein fouet par l’exclusion sociale et économique. Une famine endémique s’est installée dans le pays, en particulier dans les hautes terres acides du sud du pays. La jeunesse qui forme plus de la moitié de la population s’est trouvée sans perspective quant à l’accès à la terre ou à un autre emploi. Ces deux phénomènes ont donné lieu aux premiers réfugiés écologiques qui émigrèrent vers la Tanzanie. Le non-accès à la terre par les jeunes générations a créé un chômage structurel atteignant 30% dans le monde rural.

 

Ce phénomène sans précédent de grandes inégalités et de paupérisation de la paysannerie a été beaucoup dénoncée par l’élite paysanne issue du mouvement associatif. Elle n’a pas hésité à dénoncer le pouvoir comme étant responsable de la famine qui sévissait dans le pays. Elle a été en cela appuyée par des leaders du mouvement associatif et a constitué un nouveau pôle de contestation politique[12]. C’est ce pôle qui forma le noyau du groupe des « 33 » qui, en septembre 1990, demanda publiquement l’ouverture au multipartisme. Et ce sont les organisations paysannes qui, trois mois plus tard, en pleine guerre, défièrent le pouvoir central et réclamèrent la modification de la Constitution pour que celle-ci rende possible le pluralisme politique.

 

Il convient enfin de souligner que cette paupérisation d’une frange importante de l’ensemble de la société que constitue la paysannerie éclaire sous un angle nouveau la violence inouïe et le génocide, exécutés par de simples gens, qui se sont abattus sur le pays et se sont canalisés dans la zone contrôlée par le gouvernement vers les groupes socialement minoritaires, en l’occurrence les tutsi[13]. Il serait intéressant de savoir pourquoi le FPR s’est acharné et a continué par après à s’acharner avec la même hargne sur les familles paysannes pauvres hutu, pourtant sans influence sur la gestion du pays. S’agissait-il sans doute du dessein de dégager les terres et l’espace pour les nouveaux réfugiés et leurs vaches afin d’honorer une promesse politique du FPR faite aux familles des réfugiés quand il les sensibilisait à laisser leurs enfants s’enrôler dans la rébellion.

 

e.       La guerre.

 

Sentant venir la menace induite par un processus de démocratisation interne et d’inclusion socio-ethnique bien avancé et, par conséquent, l’effritement rapide des arguments qu’il aurait pu avancer pour justifier une décision aussi grave, le FPR a déclenché la guerre. Cette analyse est confirmée par son commissaire politique M. Tito Rutaremara dans une interview à la Voix d’Amérique[14]. Il a dit en effet au journaliste :

           

« Premièrement, si le Front a choisi la période, c’est parce que les conditions au Rwanda, les conditions objectives, devenaient mûres. Avant, on présentait le problème comme entre Hutu et Tutsi. Après, ça a changé entre le problème … entre le Nord et le sud, et puis même ça a changé entre Gisenyi et Ruhengeri, par après même ça a été changé entre Bagisu[15] et Bagoyi, jusqu’au moment même où le problème et les conflits ont été entre le clan de la femme de Habyarimana et les autres. Donc, on a vu que les contradictions étaient mûres, que d’ailleurs les Banyarwanda maintenant, d’aujourd’hui pouvaient voir que le problème n’est plus entre Hutu et Tutsi, mais que c’était entre les Banyarwanda et une clique de gens qui voulaient prendre …. Rester au pouvoir, et prendre la richesse du pays. Pour ça on s’est rendu compte que le moment était ce moment là. Mais il y a eu des problèmes au Rwanda comme la faim et autres. Ils nous ont montré aussi ça. Il y avait aussi des conflits à l’intérieur de l’armée, ça nous a montré que le moment était ce moment-là ».

 

Le Président Habyarimana savait bien tout le bénéfice politique qu’il pouvait tirer d’une démocratisation contrôlée en tant de guerre. Celle-ci lui permettait de remonter sa popularité perdue et de sceller autour de lui une grande coalition nationale face à la guerre. Il pouvait ainsi maîtriser et réduire la force de l’opposition. Le FPR redoutait aussi que s’il laissait le processus normal de démocratisation continuer, celui-ci allait aboutir sans lui et voir dégonfler ses appétits de pouvoir. L’opposition qui voyait l’embuscade lui tendu par le pouvoir en place et par la rébellion et qui craignait que le contexte de guerre ne le marginalisa définitivement, demanda à ce qu’il soit associé à la gestion de la guerre par l’entrée au gouvernement. C’est dire que le timing choisi pour lancer la guerre a profité du marasme socio-politique interne et cherchait à devancer la démocratisation des institutions publiques.

 

1.      LES DETERMINANTS EXTERNES.

 

Venons en maintenant aux déterminants externes lesquels permettent aussi de nous plonger dans la dimension régionale du conflit. J’en décèle quatre principaux : la situation politique intérieure de l’Uganda, l’endiguement de l’islamisme, l’effritement du Mur de Berlin, la sécurité des approvisionnements en matières premières stratégiques.

 

a.       La situation politique intérieure ugandaise.

 

La victoire militaire et la prise du pouvoir par Museveni en 1986 a beaucoup profité aux rwandais réfugiés. En effet, ces derniers avaient constitué la colonne vertébrale de l’armée victorieuse. Avec Museveni, ils ont dominé l’armée où ils ont occupé les postes stratégiques : état major, renseignement militaire, service informatique, service médical, pour ne citer que ceux-là. L’exercice de telles responsabilités a rendu les rwandais deviennent très voyants. En outre, des hauts officiers rwandais[16] avaient été accusés de violation grave du droit humanitaire dans la répression de la rébellion du nord et de l’est. Ces deux éléments ont attiré l’hostilité des autres alliés politiques nationaux de Museveni, lesquels l’ont menacé de rompre la coalition, convaincus qu’ils étaient que la présence des rwandais dans l’armée ne permettrait aucun accord de paix avec les insurgés.

 

Le Président ugandais a fait alors d’une pierre deux coups. Premier coup : il se sépare des rwandais mais les aide à conquérir le pouvoir dans leur pays d’origine. Cela lui permet d’obtenir en retour la loyauté interne. Cette opération de « dérwandisation » de l’armée ugandaise NRA a réussi grâce notamment aux appuis financiers du FMI dans le cadre du programme d’ajustement structurel. Deuxième coup : en portant la guerre au Rwanda, il compte installer au pouvoir un allié sûr à sa frontière sud et agrandir en même temps sa sphère d’influence dans les Grands Lacs, prologue à d’autres aventures régionales, tel le renversement de Mobutu. Le prétexte honorable d’invasion du pays était tout trouvé et convenait tout à fait avec la conjoncture internationale : l’instauration de l’Etat de droit et de la démocratie[17].

 

b.      L’endiguement de l’islamisme.

 

Le Soudan a été depuis longtemps considéré par les USA comme le bras avancé de l’islamisme. Si celui-ci devait agrandir sa zone d’influence vers le sud par le Congo Zaïre, frontalier avec huit autres pays, l’importance des valeurs politiques et économiques majeures, à savoir la démocratie et le libre marché pourraient se trouver très vite compromises en Afrique. La démocratisation et le renouvellement de l’élite politique étaient donc considérés comme le rempart idoine contre l’islamisme.

 

Le Président Mobutu, infréquentable et maître d’un pays en déliquescence politique et économique, ne voulait pas démocratiser son pays. Il ne trouvait pas non plus l’urgence d’un tel combat contre l’islamisme. Il était de surcroît convaincu que de toute façon cette religion finirait tôt ou tard par être « africanisée » au sud comme il l’avait été dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest. Ce n’était évidemment  pas l’avis des pays occidentaux qui voyaient déjà en l’autre géant africain, le Nigeria, le futur foyer d’expansion de l’islamisme.

 

Le Président Habyarimana, très lié à Mobutu, invité à participer à des rencontres des groupes de prière organisées aux Etats Unis qui échangeaient sur cette problématique, ne s’y rendit pas. Il refusa lui-même d’entrer dans cette croisade anti-islamiste, non seulement du fait que son pays était chrétien, catholique sans risque d’islamisation, ou qu’il entretenait des bonnes relations diplomatiques et commerciaux avec le colonel Kadhafi, mais surtout par amitié avec le Président Mobutu qu’il ne pouvait en aucun cas combattre. Il partageait enfin la même réticence à démocratiser[18].

 

Le Président Museveni, lui, avait vu l’intérêt politique et régional que pourrait lui amener le renversement de Mobutu dans la lutte contre l’islamisme. Il considérait le Rwanda comme le maillon faible du puzzle francophone qui pouvait être déstabilisé sans s’attendre à trop d’interventionnisme français. Et vu sa position géographique, il constituait en même temps une porte d’entrée idéale pour l’éviction de Mobutu et la continuation de sa campagne militaire vers l’Afrique centrale. Aussi le Président ugandais a-t-il demandé que l’on l’aida à consolider son pouvoir politique, lequel passait par l’appui militaire et politique du FPR et par l’instauration au Rwanda d’un pouvoir satellite. Voici Museveni devenu le seigneur de guerre régional, champion habillé sous les couleurs trompeuses de nouveau démocrate issu d’une nouvelle race de leaders africains.

 

c.       L’effritement du Mur de Berlin.

 

La fin de la guerre froide et du communisme européen a écarté toute menace de guerre mondiale et a laissé, sans rival, les Etats-Unis comme la seule superpuissance mondiale. Le nouvel environnement international a remis en question l’ancien partage des zones d’influence convenu entre les pays alliés occidentaux pour contenir la percée du communisme. La fin de ce dernier  a ouvert désormais la concurrence politique, stratégique et économique. Afin de gagner de nouvelles zones d’influence ou de renforcer celles existantes, l’instauration de la démocratie en Afrique centrale et de l’ouest permet, pour les uns, le renouvellement des élites, pour les autres la légitimation de celles qui sont en place.

 

La Grande Bretagne, développant de tout temps une politique étrangère souvent liée à celle des Etats Unis ne sera pas atteinte dans ses intérêts géopolitiques. Par contre la France, qui avait développé une politique plus autonome sera confrontée à une rude compétition avec les deux pays. Toujours fidèles à la théorie du maillon faible ou du domino, les Etats-Unis et la Couronne britannique vont, afin de concurrencer sur leur propre terrain la France et l’Union européenne en filigrane, attaquer les éléments faiblement arrimés à l’influence de la francophonie, à savoir le Rwanda, le Burundi et le Zaïre. Dans ces pays en effet, les intérêts économiques, politiques, voire culturels français s’avèrent faibles d’autant qu’ils sont en concurrence avec ceux d’un autre pays : la Belgique. Et si la France était arrivée à y supplanter la Belgique sur le plan militaire et politique, cette dernière y restait pourtant forte sur les plans économiques et culturels. On n’efface pas non plus facilement soixante cinq ans de relations étroites.

 

d. Le contrôle des approvisionnements stratégiques.

 

On connaît bien les richesses naturelles de l’ex-Zaïre : un sol riche, avec ses cours d’eau, ses forêts, un sous-sol qui reste un scandale géologique avec ses diamants, son or, son cuivre et autres métaux à la base des composants électroniques. Certes les richesses du Congo sont connues et intéressent plus d’une firme multinationale qui seraient prêtes à se battre pour conquérir ou pour garder des droits de les extraire et de les exporter. Cela est vrai. Ce qui est nouveau cependant, c’est la question de la revivification quasi soudaine des ressources potentielles de ce pays.

 

Il convient de noter cependant que l’intérêt économique va bien au-delà de ce seul pays. C’est, en effet, l’ensemble des pays qui entourent le Golfe de Guinée qui est concerné. Il s’agit de : Angola, les deux Congo, Cameroun, Gabon, Guinée Equatoriale, Nigeria, Bénin, Ghana, Togo, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone. Plus que les autres matières premières, c’est le pétrole offshore qui est visé. Les découvertes récentes, ou plutôt leur publication, seraient en passe de faire du Golfe de Guinée, avec le Moyen Orient et les pays de l’Asie centrale, un des trois principaux centres d’approvisionnement mondial.

 

Pourquoi cette mise en avant soudaine du Golfe de Guinée ? La première explication serait celle de sécuriser politiquement ces nouvelles zones stratégiques pétrolières par l’instauration de régimes démocratiques et par le renforcement d’une élite politique favorable aux nouveaux enjeux économiques. La deuxième résiderait dans la montée irrésistible en puissance à moyen terme de quelques pays du Moyen Orient qui pourraient développer durablement des politiques autonomes, voire conflictuelles avec les Etats-Unis. Entendez l’Irak et l’Iran, voire l’Arabie saoudite. Il s’agirait donc de développer et de contrôler d’autres pôles d’approvisionnement pour diminuer la dépendance au Moyen Orient, augmenter la sécurité d’approvisionnement et accentuer la pression politique sur certains pays du Moyen Orient potentiellement hostiles.

 

 


Titre 2 : LE CLIMAT PREVALANT ENTRE LES PARTIS POLITIQUES

 

1.      LA CONFIGURATION POLITIQUE

 

a.       Les caractéristiques.

 

La scène politique rwandaise se répartissait, à partir de juillet 1991, en trois pôles. Deux pôles sont à la fois politiques et militaires, il s’agit du MRND et du FPR dans le sens où l’un et l’autre disposaient d’une armée. Le troisième, non armé, était constitué principalement par les partis de l’opposition MDR, PSD et PL. Les deux pôles MRND et FPR voulaient utiliser la guerre comme outil de contrôle du processus politique. Le pôle non armé voulait entrer au gouvernement afin de pouvoir gérer la guerre et ainsi ne pas se trouver exclu du processus politique qui lui permettait de bénéficier, en cas de cessation définitive des hostilités, de ses retombées positives.

 

Dans un pays essentiellement rural dégageant peu de revenu net, où le secteur privé formel restait réduit et où l’Etat constituait de loin le principal employeur, la classe politique était composée essentiellement de fonctionnaires aux ressources financières limitées qui avaient, de surcroît, un même référentiel bureaucratique. Focalisés sur la gestion à court terme du pouvoir[19], entrer au gouvernement et « séquestrer l’Etat » restait la stratégie commune qui permettait aux partis d’élargir les bases de la clientèle au sein de l’administration et de trouver les moyens matériels et financiers de leur action politique[20]. A voir les programmes politiques des partis[21], les analyses des situations passées et présentes mises à part, les propositions pour le futur étaient souvent identiques. Sans autre point de chute dans l’économie privée ou sociale, les fonctionnaires ont eu aussi tendance à s’affilier au parti politique titulaire du portefeuille ministériel qui les emploie.

 

b.      Les bases politiques et courants des formations dominantes :  MRND, FPR, MDR.

 

Le MRND[22], le FPR[23] et MDR[24] sont sans conteste les formations politiques dominantes du paysage politique de la période 1990 à 1994. «MRND». S’inscrivant dans une sociologie politique régionale et ethnique différentes, ce sont ces trois formations qui cristallisent toute la lutte politique des années 50 à date. Plus que tous les autres partis, ils tirent leur légitimité du parcours de l’histoire. Dans l’imaginaire populaire et dans une représentation politique grossière, le FPR représente le pouvoir tutsi qui a régné jusqu’à la Révolution sociale de 1959. Le MDR représente le pouvoir hutu du sud qui a mis fin au système de servage et à la monarchie. Le MRND représente le pouvoir hutu du nord qui a géré le pouvoir depuis le coup d’Etat militaire de 1973. Ce sont donc des formations politiques concurrentes, peu coopératives et maximalistes entre elles qui se disputent la suprématie politique, sinon l’exclusivité.

 

i)                    Le MRND

 

Le MRND, c’est le parti au pouvoir dont son président fondateur s’est hissé au pouvoir en 1973 par un coup d’Etat militaire. Sa base politique est définie sur un triple axe régional, ethnique et militaire. Il est traversé en son sein par deux courants : le courant conservateur et le courant rénovateur. Sur le plan régional, ses militants se recrutent principalement dans les trois préfectures du nord : Gisenyi, Ruhengeri et Byumba[25]. Sur le plan de l’origine ethnique des adhérents, le parti mobilise l’électorat essentiellement hutu[26]. L’armée est dominée, mais pas de manière exclusive, par le MRND. Sur les 574 officiers que comptait l’armée à la fin du premier trimestre 1993, 352 officiers, soit 61%, sont des ressortissants des 3 préfectures « fiefs » du MRND[27].

 

Le courant conservateur constitue les caciques de l’ancien parti unique, allergique à l’évolution démocratique en cours. Réfractaire à tout changement, il ne veut pas de compromis politique avec l’opposition et veut assurer l’exclusivité du pouvoir. Il veut utiliser et conduire seul la guerre pour assurer la suprématie militaire et politique du MRND[28]. Le leadership est assuré par « l’akazu », à savoir le cercle rapproché du Président de la République. Son représentant est M. Joseph Nzirorera, le futur secrétaire national, chef réel incontestable de la milice « Interahamwe[29] ».

 

Le courant réformateur voit lui l’intérêt politique du MRND à se comporter comme tout autre parti normal et à chercher à élargir sa base populaire. Il obligera même le Président de la République à démissionner[30] du poste de président du parti pour que le MRND n’ait pas à assumer seul le passif de l’action gouvernementale. Il est prêt à s’entendre avec les autres partis intérieurs notamment sur la conduite de la guerre et des négociations. Il recherche pour ce faire à imposer la neutralité de l’armée. Le représentant de ce courant est M. James Gasana, ministre de la défense. Il sera évincé plus tard par « l’akazu » et contraint à l’exil.

 

ii)                   Le FPR

 

Le FPR, c’est le parti des réfugiés dont la majorité avait été obligée de s’exiler suite à la Révolution sociale de 1959. Le FPR constitue l’opposition armée extérieure. Sa base politique se définit sur le double axe ethnique et militaire. Parti dont les membres sont soumis à une obéissance sans faille au chef. Sur le plan ethnique, les militants se recrutent essentiellement parmi les tutsi. Toutefois, quelques exilés d’origine hutu[31] sont repérables dans la direction politique du parti mais non dans celle de l’armée. Sur le plan intérieur, il est en concurrence avec le parti libéral « PL » dans lequel il puise les jeunes éléments tutsi pour les enrôler dans son armée. 

 

Sur le plan militaire, le FPR est propriétaire exclusive d’une armée : l’armée patriotique rwandaise « APR ». Cette dernière constitue la cheville ouvrière du mouvement politique. Le militaire est premier, le politique suit. Celui-ci ne peut survivre en son absence. Le politique est pensé à partir du militaire, et non l’inverse. Le leadership, de loin le plus dominant, est constitué des militaires issus de l’armée ugandaise. Le chef incontesté, après la mort du général charismatique Fred Rwigema, lequel fut vice-ministre de la défense dans le gouvernement ugandais, est bel et bien le major Kagame, un homme froid, sans horizon politique particulier mais efficace.

 

Il est difficile d’affirmer qu’au sein du FPR il a existé des courants. On peut glaner çà et là des réflexions et dire que le fait qu’il y ait des personnalités de haut rang dans l’organigramme politique qui n’avaient pas de place dans l’organigramme militaire, en l’occurrence le colonel Alexis Kanyarengwe qui était de surcroît le président du FPR, est bien la preuve de l’existence de courants au sein du FPR. Le fait que le chef politique prétendu d’un front de lutte n’avait pas d’emprise sur la branche militaire constitue l preuve a contrario de la primauté du militaire. Il n’en est rien, M. Kanyarengwe, ancien dignitaire du régime Habyarimana, constituait davantage la caution « hutu » dont le mouvement manquait cruellement qu’autre chose. Tellement l’aspect militaire prédominait que les querelles de chapelle et les rivalités  claniques étaient peu admises.

 

iii)                 Le MDR

 

 Le MDR, c’est le parti de l’opposition démocratique non armée. De son ancienne dénomination MDR-Parmehutu, parti du mouvement de l’émancipation hutu, dont la légitimité, tirée de la Révolution sociale de 1959 et de son parti pris pour le menu peuple, était restée intacte, le nouveau parti, relooké, se veut son héritier. Cet ancrage dans le mouvement social hutu faisait autant peur au pouvoir de Habyarimana qu’au FPR. Si l’on adopte la même définition par axe régional et ethnique, le MDR recrute sa base dans les régions du sud. Sur le plan ethnique, il est composé majoritairement de hutu. Au départ, même si plusieurs tendances s’y expriment, la volonté d’indépendance vis-à-vis des deux autres formations dominantes, à savoir le MRND et le FPR, l’emportait sur les forces centrifuges. Avec le temps, le MDR finira par éclater en trois courants : un courant pro-FPR, un courant pro-MRND[32], un courant indépendant.

 

Sur le plan régional, le parti est dominé par l’axe dit « Umugongo[33] » des préfectures Gitarama et Ruhengeri. Et si au départ, le leadership de M. Faustin Twagiramungu, originaire de la préfecture de Cyangugu est largement accepté, c’est avant tout parce qu’il est le gendre de l’ancien Président de la République, feu Grégoire Kayibanda. Les préfectures de Gikongoro, Butare constituent le second cercle de leadership et de recrutement. Les préfectures de Kibuye, Kigali, Cyangugu, Kibungo et Byumba constituent le troisième cercle. Vient enfin la préfecture de Gisenyi.

 

Le courant pro-FPR, minoritaire, est composée surtout des adhérents tutsi, et paradoxalement, de certaines familles des anciens politiciens de la première République, celle-là même qui a été auteur de la Révolution sociale. Sous le leadership de Faustin Twagiramungu, celui-ci est d’avis que toute alliance qui pourrait venir à bout du régime de Habyarimana est la bienvenue. C’est la tendance « jyogui ». Le courant pro-MRND qui se confirme surtout après la mort du Président burundais, Melchior Ndadaye, survenue le 21 octobre 1993, est composé d’adhérents hutu qui sont prêts à se liguer avec le MRND pour faire barrage à la prise du pouvoir par le FPR. Le discours politique de cette tendance a des relents ethniques. C’est le « hutu power » représenté par le tandem Froduald Karamira et Donat Murego. Le troisième courant est d’avis que la fin de la guerre et la confirmation du processus démocratique roulent pour le MDR. Il voudrait donc maintenir la ligne d’indépendance vis-à-vis des deux blocs militaires : le MRND et le FPR. L’exil forcé de son leader, M. Dismas Nsengiyaremye, le 31 juillet 1993, affaiblira ledit pôle et fera le lit des deux tendances restantes[34].

 

1.      LES RELATIONS ENTRE LES PARTIS DOMINANTS.

 

a.       Les stratégies majeures.

 

La raison même de l’existence d’un parti politique, c’est l’exercice du pouvoir. Pour ce faire, il doit exercer un rapport de force sur terrain qui lui permet d’y accéder, seul ou en coalition avec d’autres. Comme cela a été dit plus haut, le MRND, le FPR et le MDR sont les formations politiques hégémoniques et concurrentes. Elles constituent les trois pôles d’attraction du jeu politique. Les alliances se défont et se font autour ces trois bords politiques.

 

De ces trois pôles, deux sont militaires et privilégient la stratégie militaire pour dominer les autres. Il s’agit du MRND et du FPR. Pour ces partis, gagner la guerre constitue l’enjeu décisif qui leur permet de caporaliser les autres formations politiques et d’occuper tout l’espace politique. Nous examinerons plus tard cet aspect quand il sera question d’aborder la notion de complice et d’analyser comment cette stratégie a été utilisée pour obtenir la loyauté des masses. Pour les deux pôles militaires la démocratisation des institutions publiques est donc considérée comme un pis aller. Et si le MRND peut espérer, grâce à son ancrage régional et à son emprise sur l’administration publique et l’économie, sauver les meubles dans une compétition démocratique ouverte, le FPR sait, compte tenu de la faiblesse de son électorat[35], qu’il est perdant dans le jeu démocratique.

 

Le troisième pôle, central, dominé par le MDR, est non armé. C’est le pôle des « Forces démocratiques de changement –FDC- », composé en plus du MDR, du Parti social démocrate et du Parti libéral[36]. Il est partisan de la stratégie de compétition politique pacifique. Alors que la guerre constitue un « atout » politique pour les deux premiers pôles, pour le pôle non armé, tant que la guerre perdure, celle-ci constitue un handicap majeur qui l’empêche de s’émanciper. D’où son parti pris en faveur des négociations dont la conclusion favorable lui donnerait la suprématie certaine sur le MRND et le FPR.

b.      Les alliances

 

La guerre ou la démocratie. Voilà la ligne majeure de partage sur laquelle les relations et les alliances vont se nouer et se défaire. Quand le rapport de force tire vers la persistance de l’état de guerre, le pôle MRND et le pôle FPR sont renforcés et cherchent à contraindre le pôle de l’opposition non armée à ne s’identifier que par rapport à l’un ou à l’autre. On est complice de l’ennemi ou on est allié[37]. Le pôle FDC cherchera à son tour à prendre appui sur la puissance militaire du FPR pour affaiblir la position du MRND. Il cherchera en même temps à imposer les négociations afin d’éviter l’emprise de la guerre dans la détermination des rapports de force. Aussi, quand le processus de paix prend le dessus, le pôle FDC, s’appuyant sur les courants contradictoires internes des protagonistes, cherchera à amener les deux pôles dans le processus démocratique[38]. Ces derniers sont par contre prêts à se liguer pour affaiblir le pôle FDC. Ils utiliseront l’épouvantail de la satellisation des autres partis de l’opposition démocratique par le MDR pour amener progressivement à la dislocation du FDC.

 

De manière succincte, l’on peut avancer que, tant pour le pôle MRND que pour le pôle FPR, l’adversaire principal est constitué par le pôle FDC, particulièrement le MDR, qu’ils cherchent à affaiblir et à disloquer, - et ils le réussiront – afin d’imposer un jeu des acteurs réduit seulement à deux. Pour le pôle FDC, l’adversaire principal est l’un quelconque des acteurs du pôle militaire qui, suivant la conjoncture, est le plus fort[39]. L’alliance naturelle avec le FPR que le pôle FDC pouvait penser nouer reste à cet effet un leurre vu que les éléments constitutifs de la force et des bénéfices politiques attendus par l’un et l’autre s’avéraient diamétralement opposés.

 

L’histoire politique. Voilà le deuxième élément qui détermine les alliances. On se souvient de ce que le Président Habyarimana s’est hissé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire et a assassiné la quasi-totalité de l’élite politique du sud du pays dont l’ancien Président de la République, Grégoire Kayibanda. Ce dernier, considéré par la population hutu comme l’homme politique qui a mis fin au système de servage et de corvée que cette dernière endurait sous la monarchie, est resté dans la mémoire collective comme son libérateur. En l’assassinant, Habyarimana apparaît, aux yeux de ladite population, comme le fossoyeur de la Révolution sociale de 1959, image dont il ne se départira jamais. Avec l’ouverture démocratique qui remet en selle le sud, il sait qu’il devra répondre de ses crimes[40].

 

Le FPR sait aussi que, malgré sa mue, en tant que représentant des réfugiés, est identifié comme l’héritier de la monarchie et du système de servage qui a prévalu avant la Révolution sociale. Il sait aussi  que le fait d’avoir déclenché la guerre contre le pays et sa population ne lui sera guère pardonner. En outre, il sait qu’en cas d’élections, il emporterait un nombre réduit de suffrages incapables de le hisser au pouvoir. En ces circonstances, malgré leurs antagonismes, le MRND et le FPR sont de manière objective prêts à faire cause commune pour contrer et casser le leadership de l’opposition non armée. En temps de paix, en effet, elle ne tarderait pas à s’imposer en tant que première force politique.

 

c.       Le climat entre le MRND, le MDR et le FPR

 

Comme cela a été dit plus haut, les trois mouvements politiques MRND, MDR et FPR sont bel et bien les trois prétendants au trône. La concurrence s’avère rude entre eux et chacun, compte tenu de ses atouts et de sa stratégie, fourbit ses propres armes pour imposer et/ou légitimer son leadership. Cependant, cela n’empêchera nullement que des ententes et des connexions d’intérêts conjoncturelles vont se nouer. Comme dans une triangulaire, de manière circonstancielle, des coalitions à deux se formeront souvent pour évincer le troisième. Ensuite s’impose un jeu à deux acteurs dont l’issue et les bénéfices appartiendront à celui qui pourra faire prévaloir le plus solide rapport de forces.

 

Afin d’illustrer les relations d’abord triangulaires, ensuite bipolaires entre les principales forces politiques, il convient de dessiner trois périodes. La première période va d’avril 1992 à janvier 1993. C’est la phase de collusion objective entre le MDR et le FPR. La deuxième phase va de janvier à octobre 1993 et correspond au tissage d’intelligences entre le MRND et le FPR[41]. La troisième phase va d’octobre 93 à avril 94. Elle cadre avec le triomphe de la bipolarisation, laquelle fait engranger des bénéfices entre les deux forces politico-militaires : le MRND et le FPR.

 

i)                    La période avril 1992 – janvier 1993

 

On voit ainsi que, dans un premier temps, à savoir la période entre avril 1992 et janvier 1993, le climat entre le MDR et le FPR est au beau fixe. Il est déplorable avec le MRND. Les bénéfices du MDR et du FPR de cette collaboration sont entre autres :

-         l’entrée au gouvernement de l’opposition qui occupent la moitié des postes ministériels le 16 avril 1992,

-         la conclusion à Bruxelles les 29 mai - 3 juin 1992 d’un partenariat politique entre les partis d’opposition et le FPR,

-         l’attaque de la ville de Byumba par le FPR le 5 juin 1992,

-         la signature d’un accord de cessez-le feu le 12 juillet 1992,

-         le début des négociations de paix et la signature du protocole d’accord sur l’Etat de droit le 18 août 1992,

-         la signature du protocole d’accord sur l’organisation des institutions démocratiques le 30 octobre 1992,

-         la signature du protocole d’accord sur le partage du pouvoir le 9 janvier 1993.

 

La collusion d’intérêts momentanés entre le MDR et le FPR a eu pour résultats défavorables pour le MRND :

-         la mise à la retraite des chefs d’états-majors de la gendarmerie et de l’armée,

-         la réintégration des officiers militaires abusivement renvoyés,

-         l’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme.

 

 

 

 

 

 

i)                    La période janvier 1993 – octobre 1993

 

Dans un deuxième temps, la période entre janvier 1993 et octobre 1993 est marquée par une collusion d’intérêts objective[42] entre le MRND et le FPR. Ces deux derniers, redoutant l’application effective des accords de paix[43] et l’avantage très comparatif que cela apporterait, s’accordent pour affaiblir le gouvernement, ressusciter le climat de guerre et disloquer le pôle FDC, en particulier le MDR.

 

Les avantages tirés par le MRND et le FPR sont :

-         l’organisation par le MRND de manifestations caractérisées par la destruction des biens et des tueries de membres des partis d’opposition dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, Kibuye en dates du 18 au 27 janvier 1993[44],

-         l’obtention de la direction des négociations de paix à Arusha par James Gasana, membre du MRND fin janvier 1993,

-         la violation du cessez-le-feu et l’attaque de grande envergure du FPR qui massacre près de 40'000 habitants et met sur le chemin de l’exil intérieur 1'000’000 de déplacés le 8 février 1993,

-         le FPR occupe une grande partie de la préfecture de Byumba ainsi que de Ruhengeri dès le 8 février 1993,

-         la signature de l’accord de Kinihira créant la zone démilitarisée le 30 mai 1993,

-         l’alliance avec Faustin Twagiramungu du MDR, juin 1993,

-         l’éviction de James Gasana comme Ministre de la défense qui est contraint à l’exil le 20 juillet 1993,

-         la signature de l’Accord de paix d’Arusha qui désigne Faustin Twagiramungu comme Premier ministre du gouvernement de transition le 4 août 1993,

-         le jeu politique triangulaire MRND-MDR- FPR devient progressivement bipolaire MRND-FPR après l’éviction du MDR,

-         l’émergence du courant pro-hutu « Power » proche du MRND le 23 octobre 1993.

 

Les retombées négatives que le MDR connaîtra, sont :

-         l’effritement de la coalition des partis de l’opposition intérieure dès fin janvier 1993,

-         Le million de déplacés de guerre par la guerre devient un casse-tête de gestion humanitaire et politique,

-         l’assassinat d’Emmanuel Gapyisi, membre éminent du MDR et fondateur du Forum Paix et Démocratie, le 18 mai 1993,

-         l’accord d’éviction du Premier ministre Dismas Nsengiyaremye est scellé entre le MRND, le PSD et le PL, mi-juin 1993, avec un « visto bueno » du FPR.

-         l’éviction du MDR qui éclate en deux, un pôle putschiste pro-MRND et pro-FPR représenté par Faustin Twagiramungu et un pôle du refus représenté par Dismas Nsengiyaremye, lors du Congrès MDR de Kabusunzu les 23-24 juillet 1993,

-         l’éviction suivie de l’exil en France de Dismas Nsengiyaremye en juillet 1993,

-         la signature de l’Accord de paix du 4 août 1993 dont le principal artisan, le MDR légitime, est exclu,

-         l’éviction définitive du MDR en tant que troisième pôle de pouvoir.

 

i)                    La période octobre 1993 – avril 1994

 

Enfin, la période octobre 1993 à avril 1994 est marquée par la victoire de la bipolarisation entre le MRND et le FPR. Le MDR, disloqué, est complètement évincé en tant que pôle central d’attraction politique. Ses différentes factions sont désormais satellisées. Cela correspond au triomphe des pôles les plus radicaux. Le MRND et le FPR monopolisent le jeu politique et militaire. On est pour l’un et l’on est contre l’autre[45]. Les éléments plus circonspects n’ont plus de place, ils n’ont d’autre choix que de se taire. Le processus de paix risque de s’effondrer définitivement. La force militaire reprend le dessus. Malgré l’effort de rapprochement au sein du MDR[46], malgré la pression des Eglises et de la société civile afin de privilégier un processus politique pacifique, le risque de reprise de la guerre devient plus probable. Ajouter à cela le rôle ambigu de la MINUAR[47] qui donnait l’impression qu’elle n’assurerait pas la sécurité, les signaux du triomphe de l’option de la violence semblent l’emporter.

 

Il s’agit d’une période d’extrême tension entretenue par les deux acteurs de la bipolarisation en vue de s’arroger l’exclusivité du pouvoir. Elle est caractérisée notamment par les événements majeurs ci-après :

 

-         la mort du Président burundais, Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993,

-         le premier groupe de la MINUAR arrive à Kigali, le 27 octobre 1993,

-         les partis d’opposition éclatent en courants pro-FPR et pro-MRND, dès octobre 1993

-         le retrait des troupes françaises du détachement Noroît, le 15 décembre 1993,

-         l’arrivée à Kigali des autorités et du détachement militaire du FPR, le 28 décembre 1993,

-         l’entraînement militaire des milices « Interahamwe », novembre 1993,

-         l’infiltration des éléments FPR dans la population urbaine, janvier 1994,

-         la prestation de serment du Président J. Habyarimana dans le cadre de la transition politique, le 5 janvier 1994,

-         le climat de violence et de terreur qui s’installent surtout depuis janvier 1994,

-         l’assassinat de M. Félicien Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD, le 21 février 1994,

-         l’assassinat de M. M. Bucyana, président de la CDR, le 23 février 1994,

-         l’assassinat du Président rwandais M. J. Habyarimana et du Président burundais M. C. Ntaryamira dans un attentat aérien, le 6 avril 1994,

-         la violation du cessez-le-feu par le FPR et reprise de la guerre, le 6 avril 1994,

-         le génocide, dès le 7 avril 1994.


TITRE 3 : LE PROTOCOLE D’ENTENTE

 

1.      LES MOBILES A L’ORIGINE DU PROTOCOLE D’ENTENTE[48].

 

L’on se souvient que c’est la Constitution du 10 juin 1991 et la loi sur les partis politiques[49] qui ont permis l’existence légale des formations politiques. Les premiers partis à avoir organisé leur assemblée constitutive sont le PSD, le MDR, le MRND et le PL. C’était en juillet 91, non sans difficultés[50]. Si par la suite, le Président Habyarimana s’est résolu à accepter le multipartisme, c’est sur pression interne et internationale et s’il a permis leur exercice libre, c’est surtout qu’il espérait en contrôler le processus politique. C’est de cette manière qu’il convient d’interpréter la constitution du gouvernement Sylvestre Nsanzimana du 31 décembre 1991, présenté comme multipartite alors qu’il était formé de manière quasi exclusive par le MRND. Ce dernier avait coopté un seul membre d’un parti lilliputien, le PDC[51].

 

Aussitôt constitué, le gouvernement Nsanzimana, fragilisé de par même sa composition, a été ensuite largement contesté par l’opposition. Et la très mince brèche ouverte en admettant au gouvernement une formation politique autre que le MRND a été exploitée par les autres partis pour exiger la formation d’un gouvernement élargi à l’opposition démocratique. C’est ainsi que, le 8 janvier 1992, cette dernière a organisé une manifestation monstre qui paralysa pratiquement la ville de Kigali[52]. A regarder de près, la première raison qui a amené à la formation d’un gouvernement multipartite réside dans la faiblesse même du gouvernement Nsanzimana, incapable de contenir la pression de l’opposition.

 

La deuxième raison est l’enlisement du conflit dans le nord. L’opposition n’acceptait pas d’être taxée de complice avec l’ennemi, à savoir le FPR, dans une guerre dont elle ignorait les contours. De même, certaines personnes, voire au sein même du clan présidentiel, laissaient penser qu’il existait une certaine collusion entre le Président rwandais et le Président ugandais[53], lesquels profiteraient de la persistance de l’état de guerre. Pour l’opposition son entrée au gouvernement permettrait de négocier, sans arrière pensée, la fin de la guerre et de rasséréner le climat social et politique.

 

La troisième raison, sans doute la plus importante, a trait au fort émoi qu’ont suscité les massacres de tutsi au Bugesera. La tragédie a été déclenchée le 4 mars 1992 à la suite d’un communiqué diffusé sur les antennes de la radio nationale, lequel communiqué faisait état d’un prétendu projet élaboré par les tutsi de massacrer les hutu. Ces violences ont été marquées par des tueries qui ont fait plus de quarante victimes et des déplacements de populations de plus de dix mille personnes[54]. Ces tragiques événements déclenchèrent de la part de la société civile et de la communauté internationale une énorme dénonciation de la réaction faible et tardive du gouvernement et de fortes pressions furent exercées envers le Président Habyarimana et l’obligèrent à nommer un Premier ministre issu de l’opposition et à ainsi mettre sur pied un gouvernement multipartite.

 

2.      LES CLAUSES MAJEURES DU PROTOCOLE.

 

a.       Le Président Habyarimana reste le chef incontesté de l’exécutif.

 

Contrairement aux idées reçues, le Premier ministre n’est pas l’homme clé de l’exécutif. Il a un rôle de coordinateur de l’action gouvernementale et doit recueillir le consensus, ainsi que le stipule l’article 7 du protocole, sur tout objet examiné au conseil des ministres. Dans une équipe composée de manière paritaire par l’opposition et par la majorité présidentielle, il n’était pas évident de rassembler un tel consensus. Ce qui a souvent entraîné des blocages au sein de l’équipe exécutive et une guerre de tranchées entre les deux têtes de l’exécutif[55]. Le véritable rôle de chef de l’exécutif est, conformément au protocole, dévolu au Président de la République.

 

Cela est consacré par les paragraphes premier et quatrième, mais aussi les articles 4 et 8. Ces dispositions affirment en effet que :

-         C’est la Constitution du 10 juin 1991 qui a donné mandat au Président de la République le mandat de gérer la transition et que l’association à la gestion de la période ressort de son initiative,

-         La nomination d’un Premier ministre ne signifie pas transfert du pouvoir présidentiel au gouvernement,

-         Le choix des ministres ne doit en rien empêcher au Président d’exercer ses prérogatives constitutionnelles,

-         Les ministres sont responsables devant le Premier ministre et le Président de la République,

-         Le Premier ministre est responsable devant le Président de la République.

 

L’on notera également que, sans doute pour afficher qu’il est d’un piédestal plus élevé, le Président de la République a choisi de ne pas signer en mains propres le protocole d’entente. Il a préféré se faire représenter par ses proches collaborateurs, à savoir le ministre chef de cabinet à la Présidence, Enoch Ruhigira, le ministre de l’intérieur, Faustin Munyazesa, le conseiller politique à la Présidence, Juvénal Renzaho. D’autres personnes ont voulu voir dans ce geste, le refus du pluralisme politique et un certain mépris de l’opposition affichés par le Président de la République.

 

a.       Le mandat du gouvernement de transition.

 

Le protocole d’entente a défini le mandat du gouvernement dans un programme minimum de sept points consigné dans l’article premier. Le programme se révèle ambitieux et doit se réaliser dans un délai impossible de douze mois. Il s’agit de :

-         Négocier la paix,

-         Assurer la sécurité intérieure,

-         Assainir l’administration publique et assurer son efficacité et sa neutralité,

-         Relancer l’économie,

-         Organiser un débat national sur l’opportunité de tenir une conférence nationale,

-         Régler le problème des réfugiés,

-         Organiser les élections générales.

 

A regarder de près, le point relatif à la négociation de la paix a été le seul réalisé. Et dans une certaine mesure des tentatives d’évaluation et d’assainissement de l’administration publique ont été effectuées[56]. 

 

1.      LA REPARTITION DES PORTEFEUILLES

 

Les dix-neuf[57] portefeuilles ministériels ont été répartis entre les cinq partis signataires du protocole d’entente, à savoir le MRND, le MDR, le PSD, le PDC et le PL. La moitié des ministères était allouée au camp présidentiel, l’autre à l’opposition. Ainsi la répartition était la suivante :

 

a.       Le MRND.

 

-         Ministère de la défense,

-         Ministère de l’intérieur et du développement communal,

-         Ministère du plan,

-         Ministère de la jeunesse et du mouvement associatif,

-         Ministère de la fonction publique,

-         Ministère de la santé,

-         Ministère des transports et des communications

-         Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture,

-         Ministère de la famille et de la condition féminine[58].

 

a.       Le MDR.

 

-         Ministère des affaires étrangères et de la coopération,

-         Ministère de l’enseignement primaire et supérieur,

-         Ministère de l’information.

 

a.       Le PSD.

 

-         Ministère des finances,

-         Ministère de l’agriculture et de l’élevage,

-         Ministère des travaux publics et de l’énergie.

 

a.       Le PDC.

 

-         Ministère de l’environnement et du tourisme.

 

a.       Le PL.

 

-         Ministère du travail et des affaires sociales,

-         Ministère de l’industrie, du commerce, des mines et de l’artisanat,

-         Ministère de la justice.


 

Titre 4 : LA REPARTITION REGIONALE DES MINISTERES

 

1.      LES MOBILES.

 

Parmi les principales accusations portées par le Président Habyarimana contre le régime de son prédécesseur, le Président Grégoire Kayibanda, le régionalisme figurait en première place. Depuis son coup d’état de juillet 1973, les gouvernements successifs[59] qu’il a formés appliquaient une représentation régionale quasi-arithmétique dans lequel chaque préfecture se voyait accordé un portefeuille ministériel. Bien entendu, la part du gâteau revenait aux préfectures du nord, en l’occurrence Gisenyi et Ruhengeri, car ces derniers, fiefs du régime, s’octroyaient plus les ministères de grande importance.

 

Avant la venue du multipartisme, cette politique dite d’équilibre régional, au delà des intentions proclamées, était un excellent moyen de contrôle politique des régions « récalcitrantes » du sud. De fait, les ministres nommés n’étaient pas issus des anciennes élites politiques. C’est dire qu’en quelque sorte, ils avaient mandat de les surveiller. Avec le pluralisme politique, le Président Habyarimana a continué d’appliquer la même recette politique, cette fois-ci non pour les besoins de contrôle politique, mais pour pouvoir affronter, sur leur propre terrain, les nouveaux leaders de l’opposition. Cela explique notamment pourquoi, malgré qu’il savait qu’il n’avait pas beaucoup de chance de récolter des suffrages significatifs dans les préfectures de Gitarama et de Butare, fiefs de l’opposition, respectivement bastions du MDR et du PSD, ces préfectures ont tout de même conservé au sein du MRND la dotation d’un portefeuille ministériel.

 

On peut aussi constater voir que le gouvernement qui a été composé le 8 avril, en ce qui concerne le MRND, a appliqué le même dosage régional. 

 

 

2.      LA REPARTITION REGIONALE APPLIQUEE

 

Origine

Gouv. de 5.87

Gouv.du15.1.89

Gouv.du9.7.90

Gouv.du

4.2.91

Gouv. du 31.12.91[60]

Gouv. du 16.4.92

Gouv.du

18.7.93

Gouv.du 8.4.94

Gouv.du25.5.94

Kigali

1

2

2

2

2 MRND

3 dont 1 MRND et 1 tutsi

2 dont 1 MRND et 1 tutsi

2 dont 1 MRND

2 dont 1 MRND

Gitarama

1

2

2

2

2 dont 1 MRND

5 dont 1 MRND

4 dont 1 MRND

3 dont 1 MRND

3 dont 1 MRND

Butare

2

2

2

2

1 MRND

3 dont 1 MRND

3 dont 1 MRND

4 dont 2 MRND

4 dont 2 MRND

Gikongoro

2 dont 1

tutsi

2 dont 1 tutsi

2 dont 1 tutsi

2

2 MRND

2 dont 1 MRND

2 dont 1 MRND

1 MRND

1 MRND[61]

Cyangugu

1

2

2

2 dont 1 tutsi

2 MRND

1 MRND

1 MRND

1 MRND

1 MRND

Kibuye

1

1

1

1

1 MRND

1 MRND[62]

2 dont 1 MRND[63]

3 dont 1 MRND[64]

3 dont 1 MRND

Gisenyi

3

3

2

3

3 MRND

2 MRND

2 MRND

3 dont 1 MRND

3 dont 1 MRND

Ruhengeri

3

2

2

2

2 MRND

2 dont 1 MRND

1 MRND

2 dont 1 MRND

2 dont 1 MRND

Byumba

1

1

2

1

2 MRND dont 1 tutsi

1 MRND

2 dont 1 MRND

1 MRND

1 MRND

Kibungo

1

1

1

1 dont 1 tutsi

1 MRND dont 1 tutsi

1 MRND

2 dont 1 MRND

2 dont 1 MRND

2 dont 1 MRND

 


 

Titre 5 : LES RAISONS A LA BASE DE L’ACCORD DE PAIX

 

1.      LES RAISONS INTERNES.

 

a.       Le problème des déplacés de guerre.

 

Le 8 février 1993, rompant unilatéralement le cessez-le-feu, le FPR massacre plus de 40'000 personnes et met sur la route un million de déplacés de guerre[65]. C’est 1/7 de la population qui est contraint à l’errance interne. Les déplacés arrivent aux portes de Kigali, à moins de vingt kilomètres. Ils ont par la suite vécu très misérablement. La plupart des observateurs, devant ce dramatique spectacle, n’ont pas compris pourquoi le FPR avait choisi de recourir à l’expulsion de leurs terres de paisibles paysans. A partir de ce moment, beaucoup de gens ont été persuadés que le FPR était prêt à tout pour s’accaparer du pouvoir. De même, pour ceux qui avaient toujours pensé que la guerre allait se confiner aux seules communes Muvumba et de Ngarama, la guerre est devenue, à travers le million de déplacés et l’occupation de plusieurs communes de Byumba et de sept communes de Ruhengeri, une réalité nationale désormais palpable.

 

Au sein du MRND en particulier, l’on craignait que la future étape ne soit une guerre portée contre les populations de Gisenyi et de Ruhengeri, ce qui laminerait complètement sa base politique. Il en est de même pour le MDR qui disputait les adhérents avec le MRND dans la préfecture de Ruhengeri qui risquerait à son tour de perdre son bastion politique. Pour l’ensemble des partis d’opposition, ils avaient peur qu’une nouvelle reprise des hostilités ne conduise à de nouveaux déplacements de populations vers le sud, y aggravant ainsi la famine. Au niveau du Gouvernement, l’aide humanitaire en faveur des déplacés constitue un poids économique, social et politique énorme qu’il ne peut endurer très longtemps.

 

Cette dramatique situation de déplacés de guerre venait s’ajouter à la situation alimentaire très précaire causée par le déficit alimentaire chronique. L’on notera aussi que le négociateur clé des accords d’Arusha, Monsieur Boniface Ngulinzira[66], membre du MDR et ministre des affaires étrangères, avait perdu plusieurs de ses parents dans la reprise des hostilités par le FPR.

 

b.      La faiblesse de l’armée.

 

La guerre de février 1993 a montré la faiblesse patente de l’armée gouvernementale. En moins d’une semaine, le FPR a effectué une attaque de grande envergure qui l’a fait gagner un quart du territoire national et l’a positionné à près de cinquante kilomètres de la Capitale. Le spectre d’une offensive future sur Kigali faisait peser une peur insoupçonnée dans la population, y compris chez des leaders de l’opposition, pourtant favorables au FPR. Celui-ci a pris beaucoup de matériel militaire sur l’ennemi. On a assisté ensuite à plusieurs désertions dans l’armée. Désormais, les partisans du FPR, dopés par l’avancée militaire spectaculaire de leur armée, n’éprouvaient plus aucune crainte d’afficher ouvertement leur militantisme. Le journal « Kanguka », très favorable à la rébellion, appellera à la victoire du FPR, et dans un ton franchement ethniste, souhaitera l’exil pour trente ans des populations hutu[67].

 

La dramatique situation militaire renforcera la position politique de ceux qui, dans le camp présidentiel, étaient contre la poursuite de la guerre et plutôt favorable à une issue négociée du conflit. Cette tendance viendra renforcer le camp de l’opposition intérieure favorable au même aboutissement pacifique. La conjugaison des forces donnera une impulsion effective aux négociations.

 

c.       La logique de positionnement politique

 

Le gouvernement de transition avait été obtenu par les pressions intenses tant au niveau interne qu’international. Le processus de sa mise en place avait été très laborieux et le Président Habyarimana avait fini par céder. Il convient de noter cependant qu’en vue de s’assurer la maîtrise de l’ouverture politique, il avait tenu à lui donner une durée d’exercice bien circonscrite dans le temps, à savoir une année.

 

Pendant qu’ils participaient au gouvernement, les partis politiques, ceux de l’opposition principalement, avaient engrangé des bénéfices politiques et économiques certains. Ils n’avaient par contre aucune assurance que le protocole d’entente entre les partis politiques de gestion de la transition entre les partis politiques allait être prorogé au-delà d’une année. Déjà, en janvier 1993, le Président de la République était entré en conflit avec le Premier ministre sur la conduite des négociations de paix. Ecartant des négociations de manière unilatérale le ministre des affaires étrangères, Boniface Ngulinzira, il avait désigné le ministre de la défense, James Gasana, chef de la délégation gouvernementale aux négociations d’Arusha[68].

 

Les partis d’opposition redoutaient que l’échéance annuelle ne soit l’occasion pour le camp présidentiel de reprendre l’initiative et, partant, le contrôle total du processus politique. Ils craignaient donc de se voir écarter du gouvernement et ainsi être sevrés de la manne étatique, réticents qu’ils étaient à compter sur leurs propres forces et à faire la politique en dehors du gouvernement.

 

Le bilan du gouvernement sur les huit points du programme retenu par le protocole d’entente est faible. Compte tenu de la configuration politique, du rapport des forces des partis ainsi que de la conjoncture internationale, le seul point sur lequel le gouvernement de transition a obtenu des résultats tangibles reste celui relatif à la négociation de la paix. Ces partis avaient donc intérêt à profiter de l’appui relatif de la communauté internationale au processus de paix pour obtenir des résultats substantiels dans les négociations qu’ils verseraient ensuite à leur actif afin de s’imposer dans la gestion postérieure.


 

1.      LES RAISONS EXTERIEURES.

 

a.       Les élections au Burundi.

 

En juin 1991, le Front démocratique burundais « FRODEBU », parti d’opposition, l’emporte haut la main les élections législatives et présidentielles au Burundi. Cet événement est accueilli très favorablement par l’ensemble de la classe politique intérieure rwandaise. Dans les rangs de l’opposition interne, cette victoire confirme la justesse de l’approche pacifique adoptée dans la lutte politique. Elle est aussi perçue comme prémonitoire de leur propre victoire en cas d’organisation d’élections générales à l’issue de la période de transition. Le succès électoral du FRODEBU dope l’opposition et la stimule à accélérer la conclusion des négociations.

 

Le camp présidentiel est réconforté par la perspective d’avoir à son flanc sud un nouveau pouvoir burundais qui n’avait pas développé antérieurement des intelligences avec le FPR. Il était, en effet, de notoriété publique que le pouvoir burundais défait soutenait la rébellion, notamment par la facilitation dans le recrutement militaire et par l’autorisation octroyée d’installation sur son territoire d’une radio de propagande militaire et politique : la radio « Muhabura ». Aussi, le pouvoir burundais fournissait-il un appui politique et diplomatique indéniable en faveur du FPR. La probabilité forte que tous ces soutiens allaient cesser renforçait la position politique et militaire du MRND.

 

Le pôle FPR, par contre, se trouvait affaibli par le succès politique du FRODEBU et l’élection de Monsieur Melchior Ndadaye à la magistrature suprême. L’éviction du Président Pierre Buyoya signifiait, d’une part, pour la rébellion, comme cela vient d’être mentionné ci-dessus, la perte d’un allié régional, à court et à moyen terme. D’autre part, il lui serait désormais difficile de ne pas admettre le règlement pacifique des différends. Devant sa porte, il était aisé de voir, qu’un parti d’opposition, de surcroît pacifique, avait pu, par les urnes, faire valoir ses prétentions et conquérir le pouvoir sans devoir prendre les armes. La pression pour la conclusion des négociations et la mise en place d’une transition politique à laquelle le FPR allait être confronté, devenait plus forte encore.

 

b.      La fatigue des pays limitrophes.

 

Trois ans de guerre, s’en est trop. Pour les pays voisins du Rwanda, l’enlisement du conflit pouvait faire craindre que ce dernier ne s’exporte chez eux et ne les plonge à leur tour dans des guerres internes. Le Burundi venait de réussir une transition pacifique encore fragile qu’il cherchait à consolider. Il n’aurait pas aimé que le conflit à sa frontière soit exploité par les perdants en portant les armes contre les nouvelles institutions, remettant ainsi en cause les fruits d’un investissement politique de longue haleine.

 

Le Congo, ex-Zaïre, reste un patchwork de régions vastes non encore intégrées dont la propension au séparatisme reste encore forte. Il ne souhaitait pas que le conflit civil rwandais alimente des foyers de tension centrifuge, notamment dans le Kivu et le Shaba, régions dont l’histoire politique reste très tourmentée. Plus que quiconque, le Congo était très conscient de la nature régionale du conflit rwandais ainsi que des visées géopolitiques qui le concernaient. Cela explique pourquoi il s’est impliqué dès les débuts à la résolution rapide du conflit rwandais[69].

 

La Tanzanie a toujours développé une politique active d’intégration régionale pacifique. La guerre, avec la défense des intérêts contradictoires conjoncturels de chaque pays dans le conflit, empêche la construction soutenue d’une dynamique favorable à l’intégration économique, encore moins politique. En outre, la persistance du conflit, compte tenu de l’implication forte d’une autre Puissance régionale, à savoir l’Uganda, semblait dérouler le tapis rouge en faveur de ce nouvel acteur concurrent autour duquel la future politique régionale risquait de se construire. Ce dernier semble être le seul pays à tirer un bénéfice net de la guerre dans le sens qu’il résout par ce biais ses propres problèmes internes et, par ricochet, agrandit l’influence dans son arrière-cour.

 

c. Le compromis entre les Puissances occidentales.

 

Les Puissances occidentales, en l’occurrence les USA, la France et la Belgique ne sont pas des ennemis. Ils ont plus d’éléments de convergence et de points de rencontre qu’ils aimeraient régler au plus vite qu’à s’opposer sur des enjeux secondaires tels que le conflit rwandais. L’OTAN, l’Union européenne, l’Organisation mondiale du commerce, les conflits des Balkans et l’ouverture à l’économie de marché des anciens pays du bloc soviétique sont des enjeux de loin plus importants qui ne devraient pas souffrir des oppositions mineures.

 

L’on se souvient de ce que la France, en mai 1992, afin d’obliger le Président Habyarimana à négocier avec la rébellion, avait permis à cette dernière de s’emparer d’une portion du territoire rwandais en commune Muvumba[70]. De plus, lors de la grande attaque du mois de février 1993 par le FPR, il avait été convenu entre ce dernier et le gouvernement rwandais que les troupes françaises du détachement Noroît devaient avoir quitté le territoire rwandais avant la fin de l’année 1993. Elles quitteront Kigali précisément le 15 décembre. L’on sait enfin que les trois pays avaient mis sur pied un cadre de concertation et de pression commune sur le Président rwandais ainsi que l’atteste ce mémorandum confidentiel[71] :

 

United States Department of State

Washington D.C. 20520

July 15, 1992

 

CONFIDENTIAL

MEMORANDUM

 

TO                      AF - Mr. Cohen

THRU                 AF - Robert Houdek

FROM                AF/C - Robert M. Pringle

SUBJECT           Calls to Claes and Dijoud.

 

I.          PURPOSE

We suggest you call Belgian FM Claes and French Africa Director Dijoud to urge them to keep pressure on Habyarimana to implement the Rwanda-RPF accords and to help support the peacekeeping mechanisms.

 

IIA.      Key Points for Dijoud

(...)

à      Congratulations on the Rwanda cease fire agreement. Your efforts seem to be paying off faster than anyone could have expected. But it is also apparent that the agreement is fragile and will require much further care and support from foreign friends.

à      We are especially worried that the Rwandan political leadership, especially President Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished because it yields too much to the RPF.

à      We think it would help greatly if you call Habyarimana and urge him to support implementation of the agreement. We plan to do something similar, either a call or letter from a senior personnality.

à      (If asked about U.S. support). We plan to continue our current level of technical assistance throughout the peace process.

 

IIB.      Key Points for Claes

 

à      Western diplomatic efforts to encourage peace in Rwanda seem to be paying off faster than anyone expected. Nevertheless, the agreement is obviously fragile and the peace process will need lots of additional support from Rwanda’s foreign friends.

à      We are especially worried that the Rwandan political leadership, especially President Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished because it yields too much to the RPF.

à      We think it would help greatly if you would raise this subject with Habyarimana and urge him to support implementation of the agreement. ( We understand he will be in Brussels next week.) We plan to do something similar, either a call or letter from a senior personnality.

à      We hope you will be able to help fund the monitoring group.

à      (If asked) While we plan to continue our current level of technical assistance, doing anything more than that will be difficult for us due to the decreased level of security assistance available for Africa.

 

BACKGROUND

 

We believe you should call Dijoud and Claes, congratulate them on their role to date in the negociations, and urge them to keep pressure on Habyarimana, who (it is widely feared) may conclude that his negociators got carried away and yielded to much to the RPF. (...)

 


 

Titre 6 : LE CLIMAT PREVALANT ENTRE AVRIL ET JUILLET 1994

 

1.      LE CLIMAT DE PEUR ET DE BLOCAGE AVANT AVRIL 1994.

 

a.       L’assassinat du Président burundais.

 

L’assassinat du Président burundais Melchior Ndadaye en octobre 1993[72], faut-il le souligner, constitue l’événement majeur qui a le plus contribué au bouleversement des rapports entre les partis. Il a atténué les antagonismes régionaux et a induit l’incrustation d’un climat de radicalisation et de bipolarisation ethnique. Dans le camp présidentiel où l’on parle sans ambiguïté de l’implication du FPR dans le coup, la confiance dans les institutions de transition élargie au FPR s’est effritée par crainte de voir ce dernier les utiliser afin d’opérer un coup d’état et s’accaparer seul du pouvoir. Il en était de même pour le FPR qui n’était plus assuré de disposer dans les institutions de transition, avec ses alliés devenus moins sûrs, de la majorité des deux tiers[73] afin de mener la politique à sa convenance. Il redoutait que sa supériorité militaire ne soit transformée par la nouvelle redistribution des cartes en une défaite politique. Chacun des deux adversaires se préparait à une nouvelle épreuve de force.

 

b.      Les entraînements et infiltrations de milices.

 

Dans le camp présidentiel, en prévision de la démilitarisation et de la consignation des armes par la MINUAR, l’entraînement militaire des « Interahamwe » pour s’assurer d’une force paramilitaire propre avait commencé dès le mois de novembre. Ils étaient estimés à un nombre équivalent à 3 bataillons[74]. C’est cette force, plus la garde présidentielle, qui se transformeront, à partir du 7 avril 1994, en fer de lance du génocide. Du côté FPR, aussitôt arrivé à Kigali, son bataillon de sécurité a commencé à creuser les tranchées tout autour de son nouveau quartier général : le CND. Des infiltrations en ville par des éléments armés complémentaires au bataillon avaient été déployées. Ils étaient évalués par la MINUAR à près de 1’400 personnes dans la seule ville de Kigali, et à près de 7'200 sur l’ensemble du territoire[75].

 

c.       Le blocage des institutions de transition.

 

La mise en place des institutions de transition a été au début freinée par le pôle présidentiel. En effet, le FPR ne lui garantissait plus l’amnistie négociée dans le plus grand secret, le Président de la République craignait désormais que son immunité ne soit levée et que lui-même ne soit poursuivi pour l’assassinat des dignitaires de la Première République. Il ne cherchera pas à mettre en place les institutions de transition tant qu’il ne sera pas sûr de détenir dans le futur parlement le tiers des voix nécessaires au blocage des décisions importantes. Par la suite, ce sera le tour du FPR de s’opposer à leur mise en place. Il était, en effet, en train de perdre la majorité qualifiée des deux tiers dans le sens où le pôle MDR était en train de se reconstituer grâce aux rapprochements de M. F. Twagiramungu  et de M. D. Nsengiyaremye[76] et où les partis PL et PSD n’étaient plus totalement acquis aux stratégies du FPR.

 

d.      L’insécurité généralisée.

 

Comme s’il s’agissait d’un signe des temps, le départ du détachement militaire français a coïncidé avec l’arrivée des troupes d’élite du FPR. L’incapacité de la MINUAR à assurer la sécurité était devenue patente. A Kigali, les quartiers dont les habitants disposaient de moyens organisaient déjà leur propre sécurité et engageaient des gardes de nuit supplémentaires qui patrouillaient et contrôlaient les différentes artères d’accès à leur quartier. Ceux qui ne pouvaient se payer de tels services faisaient des rondes nocturnes. Presque toutes les soirées étaient caractérisées par des explosions de grenades, des mines anti-personnelles ou de bruits d’armes à feu. La criminalité politique reprenait ses droits. Le sommet a été atteint par l’assassinat à deux jours d’intervalle de deux leaders politiques, à savoir M. F. Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD et M. M. Bucyana de la CDR. Ces deux événements se sont transformés en émeutes dans certains quartiers comme Gikondo et ont failli se transformer en guerre civile généralisée.

 

e.       Le climat de guerre.

 

L’insécurité généralisée a donné lieu à l’installation d’un climat de guerre s’installe. Les deux camps opposés renchérissaient dans la propagande fondée sur des discours d’incitation à la violence et à la haine ethnique[77].

 

Le FPR, sans conteste militairement plus fort, donnait l’impression d’être le plus déterminé à reprendre la guerre puisqu’il affirmait déjà dans deux journaux ugandais que « les chances de Kagame de prendre Kigali se sont multipliés par 100[78] » et qu’il était prêt à foncer et à s’emparer de Kigali en un jour. Il était déterminé à reprendre les hostilités, quel qu’en fut le prix pour les tutsi de l’intérieur et pour l’opposition. Devant les délégués de la société civile qui lui proposaient de privilégier le compromis politique à la force militaire afin d’éviter le sort tragique qui ne manquerait pas de s’abattre sur l’opposition et les tutsi de l’intérieur, il avait déclaré que : « même dans l’Allemagne nazie, il y avait eu des survivants des camps de concentration »[79].

 

Le camp présidentiel qui avait bien armé ses milices se préparait à son tour à liquider l’opposition et les tutsi en cas de rupture de cessez-le-feu par le FPR. Cette résolution à s’en prendre aux tutsi et à l’opposition en cas d’attaque avait été confiée aux mêmes membres de la société civile venus faire le plaidoyer de l’Accord de paix à qui il avait été confié que :

« Nous n’agresserons personne de notre première initiative. Le FPR se prépare à la guerre et vous devez savoir qu’en cas de reprise de la guerre, nous ne resterons pas inertes »[80].

 

f.        La dégradation de la situation économique et sociale.

 

En ce premier trimestre de l’année 1994, la situation socio-économique n’a pas cessé de se détériorer. Cette situation provient en premier lieu du déficit alimentaire chronique connu dans le pays. En deuxième lieu, il s’agit des effets négatifs de la politique d’ajustement structurel imposé par le FMI qui, vu la dévaluation de plus de 70% de la monnaie nationale, a alourdi la facture d’importation des biens de première nécessité, cela frappe autant la classe paysanne que la classe moyenne. En troisième lieu, il convient de se souvenir de ce qu’en février 1993, le FPR s’est accaparé de près d’un quart du territoire national. Cette portion n’est plus utilisée pour nourrir la population. Et le fait aggravant est que la région occupée constituait le principal grenier du pays. En quatrième lieu, les déplacés de guerre grèvent énormément le budget de l’Etat et l’aide humanitaire. En cinquième lieu, depuis le 21 octobre 1993, date de la mort du Président burundais, près de 350'000 réfugiés burundais se trouvent encore sur territoire rwandais.

 

Le Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, confiait déjà ceci le 6 décembre 1993 à au jour belge « Le Soir » :

 

« … nous allons devoir faire face à une famine dans le sud du pays. Les régions de Butare, de Kibuye, de Gikongoro sont ravagées par la sécheresse. Le nord, jadis grenier du pays, est sinistré par la guerre ; le sud fait face à la sécheresse et au surpeuplement. Sur les marchés, les vivres commencent à manquer et notre déficit alimentaire s’élève à 590'000 tonnes. En outre les réfugiés déboisent tout : des collines sont rasées, des forêts brûlées… »[81].

 

Le 4 avril 1994, l’ONG OXFAM annonçait qu’entre 800'000 et 2'500'000 personnes allaient être directement affectées par la famine.

 

« Au moins 500.000 personnes sont menacées de famine au Rwanda, en raison de la sécheresse, d’un déficit alimentaire chronique, des mouvements de déplacés de la guerre civile rwandaise et de l’afflux de réfugiés burundais, a-t-on estimé lundi de sources humanitaires.

Ce chiffre de 500.000 correspond aux « personnes en situation d’extrême urgence », a-t-on ajouté de mêmes sources. Le nombre de personnes affectées à des degrés divers se situe entre 800.000 et 2,5 millions, selon différentes sources.

Un rapport établi par l’association humanitaire Oxfam en collaboration avec le Gouvernement et divers autres organismes fixe à plus de 800.000 le nombre de personnes nécessitant une aide alimentaire d’urgence. Selon les responsables d’Oxfam à Kigali, ce rapport et ses recommandations doivent être publiés en début de semaine.

Une autre étude de l’association humanitaire Caritas fixe à plus d’un million le nombre de personnes dans le besoin, le Gouvernement réclamant de l’aide alimentaire pour au moins 2,5 millions de personnes, a-t-on indiqué de différentes sources humanitaires.

Il y a deux semaines, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait jugé « critique » la situation alimentaire dans l’ensemble du Rwanda et estimé que seule une aide urgente pouvait éviter la famine[82] ».

 

1.      LE CLIMAT DE TERREUR D’AVRIL A JUILLET 1994.

 

a.       La représentation du climat de terreur.

 

Le 6 avril 1994, un attentat, véritable acte de piraterie aérienne coûte la vie aux Présidents rwandais et burundais. En moins de six mois, c’était trois Présidents hutu tués, diront les partisans de l’ethnicité. Cet attentat a été suivi immédiatement par la violation du FPR du cessez-le-feu et de l’Accord de paix puisqu’il a repris tout de suite la guerre et a attaqué dès le matin même sur tous les fronts. La question lancinante reste toujours la suivante : que cherchait à obtenir l’auteur de cet acte extrême qui a semé le chaos et la terreur et a déclenché un cataclysme inouï dont les éléments les plus graves et les conséquences immédiates sont la guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité ?

 

Afin de permettre à la Cour de se représenter le climat de terreur qui prévalait en cette période là, j’aimerais l’illustrer par l’allégorie suivante :

 

« En pleine crise américano-soviétique lors de la crise cubaine en 1962 ou des euromissiles en 1986, rentrant d’une mission de résolution de la crise cubaine ou des euromissiles à laquelle participaient les Chefs d’Etat de l’Alliance atlantique, un commando d’élite soviétique abat au moment de l’amorce d’atterrissage à la Maison Blanche l’avion du Président américain dans lequel figurait aussi le Premier ministre britannique qui meurent sur-le-champ. Le chef d’état major des armées, le chef du contre-espionnage et le conseiller politique américains se trouvent dans le même avion ainsi que deux ministres britanniques qui tous périssent dans l’attentat. Au moment des faits, le secrétaire d’Etat à la défense américaine, le chef des opérations militaires à l’état major, le chef des renseignements militaires sont en voyage en Amérique latine.

 

Après l’attentat perpétré par le commando soviétique, l’armée soviétique attaque les troupes américaines à partir de la Floride. Sont restés sur place aux commandes de l’Etat, le vice-Président et le Président de la Cour constitutionnelle. Ceux-ci sont immédiatement éliminés. Le général Douglas Mac Arthur, le champion toutes catégories de la lutte anti-soviétique, et le chef du Ku Klux Klan s’accaparent de l’Etat. Ceux-ci répliquent non seulement par l’entrée en guerre contre l’Union soviétique, mais aussi par l’élimination des leaders démocrates et des populations d’origine slave. Pendant ce temps, les troupes de l’OTAN qui stationnaient à Washington sont rappelées. Les seuls véhicules d’information sont monopolisés par la presse du Ku Klux Klan et par l’armée soviétique. Ajoutons aussi que depuis trois mois des experts français du renseignement ont établi que, en cas de guerre ouverte, près de 8% de la population américaine allait périr ».

 

Quelles seraient, de votre point de vue, les conséquences qu’une telle crise pourrait induire aux Etats Unis d’Amérique ? 

 

b.      Les éléments facilitateurs de la terreur.

 

i)                    L’assassinat du Chef de l’Etat

 

Depuis le 5 janvier 1994, date de sa prestation de serment dans le cadre de l’entrée en vigueur des  institutions de transition, l’institution de Présidence de la République, parce que ni l’assemblée nationale ni le gouvernement de transition n’avaient été constitués, la présidence était, à cette date, la seule légale. En outre, depuis le 7 janvier 1994, arguant qu’il n’existait plus de cadre juridique pour la tenue de conseils des ministres, le Premier ministre, Agathe Uwilingiyimana, ne réunissait plus depuis longtemps son conseil des ministres[83]. L’assassinat du Président de la République qui survient le 6 avril, suivi le lendemain par celui du Premier ministre, a donc créé un vide institutionnel et politique qui ne pouvait être régulièrement comblé. Ce vide, voulu par l’auteur de l’attentat, a induit le blocage complet des institutions et a permis aux éléments les plus radicaux d’accéder aux commandes de l’Etat, de séquestrer celui-ci sans imputabilité, d’étendre la terreur et d’organiser les massacres.

 

ii)                   La faillite des Casques bleus

 

La MINUAR était la seule institution qui disposait d’un commandement cohérent et d’une force de frappe dissuasive. On se serait attendu à ce qu’elle allait s’opposer aux massacres notamment par la création d’une zone de sécurité pour les personnes fuyant les massacres et la guerre[84]. En cela, elle aurait certainement obtenu le concours des officiers de l’armée opposés aux tueries et à la prise du pouvoir par les éléments ultra[85]. Des zones comme les préfectures de Gitarama ou de Butare où la résistance contre les tueries ethniques était bien réelle pendant les deux premières semaines auraient pu servir de territoire de sécurité. La MINUAR avait aussi la capacité de brouiller les radios qui diffusaient la propagande ethnique et guerrière[86]. Elle pouvait surtout créer l’espace médiatique et social pour les organisations et les individus jouissant d’un pouvoir moral certain sur les populations afin de créer et de diffuser un courant d’opinion opposé au génocide et aux massacres.

 

Elle n’a rien fait de tout cela, elle a choisi de manière délibérée de plier bagage, de laisser le champ libre à l’expression de la violence extrême, de laisser se dérouler le génocide et des crimes contre l’humanité dirigés contre des innocents. Tout cela, peut-être, dans un calcul cynique de ne pas gêner la victoire militaire d’un camp sur l’autre.

 

a.       Les traits de la terreur.

 

i)                    le triomphe des violents

 

De manière globale, tout l’espace politique et médiatique a été occupé par les extrémistes. Aucun n’a été concédé aux partisans d’une pensée critique. C’était la tyrannie au sommet et l’empowerment des violents et des laissés pour compte. C’était le règne de la peur, du soupçon. La violence a révélé plusieurs facettes entremêlées : violence ethnique, guerre, vengeances, règlements de comptes, accaparement de biens d’autrui, revanche sociale des plus pauvres. Elle a recouru quasi systématiquement à l’homicide. Les gens n’ont même pas pu choisir lequel des deux camps violents les protégerait. Ils ont subi la protection et/ou la répression implacable de la partie violente maîtresse des lieux. C’est dire que les populations ont véritablement subi, sans la moindre défense, la loi des deux extrémismes armés. En ce qui concerne le côté gouvernemental, l’érection des barrières sur les artères de circulation et la réduction très rigoureuse des déplacements ont été les moyens utilisés efficaces dans le contrôle des populations.

 

 

 

ii)                   L’érection de barrières

 

Au début, des ordres radiodiffusés ont été passés défendant de quitter le domicile. Comme dans la période précédant le 6 avril, tout au début, les gens ont continué d’assurer leur propre sécurité dans les quartiers. Dans les endroits qui n’étaient pas dominés par les « Interahamwe », on pouvait au début voir ensemble des tutsi et des hutu, jour et nuit, comme dans la période précédente, veiller à la tranquillité de leur quartier. Cependant les voies d’accès ont été ensuite maîtrisées par les « Interahamwe ». Ces derniers ont érigé les barrières pour filtrer les déplacements, à la recherche de tutsi. Des fouilles étaient organisées dans les maisons chez des gens soupçonnés d’abriter « l’ennemi ».

 

Malheur arrivait à quiconque était pris en flagrant délit de cacher un tutsi. Il pouvait être tué en même temps que son fugitif. Il pouvait même, avant sa propre mort, lui être obligé de tuer son hôte. Malheur arrivait à une personne qui, sorti de son quartier, se faisait reconnaître sur une barrière quelconque comme appartenant à l’opposition ou ayant des affinités avec un membre du FPR. C’était presque toujours la sanction suprême qui était appliquée, à savoir la mort.

 

iii)                 La réduction des déplacements.

 

Sauf pression avérée des combats, les déplacements d’une préfecture à une autre, voire d’une commune à une autre, ont été ensuite limités de manière drastique[87]. Quand sur les barrières, l’on découvrait que la personne n’était pas originaire de la préfecture du lieu de contrôle, il lui était souvent demandé de fournir la pièce d’identité de la commune d’origine, une autorisation de résidence, une attestation de travail, un laisser passer, un ordre de mission signé par des autorités compétentes ou une preuve d’attache à la localité. La régularité des preuves présentées ressortait de l’appréciation personnelle du chef de la barrière.

 

Quant aux personnes qui souhaitaient se rendre à l’extérieur du pays, s’il s’agissait de se rendre dans les pays limitrophes, Burundi et Zaïre principalement, elles devaient détenir la carte de circulation CEPGL ou obtenir un laisser passer de l’autorité préfectorale qui partage la frontière avec ledit pays. S’agissant des autres pays, il fallait une invitation du partenaire extérieur et une autorisation expresse de l’autorité compétente. En tous les cas, un ordre de mission signé par le Président de la République était exigé pour les agents de l’Etat.

 

iv)                 Le génocide et les crimes contre l’humanité

 

Le chaos et la terreur ont créé des occasions pour les extrémistes de tous bords d’effectuer des éliminations inouïes de nombreuses personnes, principalement sur base ethnique. Du côté gouvernemental, l’organisation des massacres s’est transformée en un plan systématique de génocide massif contre les tutsi[88]. Du côté sous contrôle du FPR, la direction des tueries s’est muée en un schéma méthodique de vastes crimes contre l’humanité contre les hutu.

 

Cela a été rendu en ces termes  :

« D’une part, des tutsi sont morts du fait de leur appartenance ethnique. Ils sont allés au supplice suprême, sans broncher, sans défense. L’on ne peut nier une évidence d’un génocide massif qui s’est déroulé « en direct », souvent à l’arme blanche et a impliqué des gens, y compris de conditions modestes, par dizaine de milliers. Ces crimes se sont passés comme tels dans la partie contrôlée et administrée par l’ancien régime dès le 7 avril, au lendemain de l’assassinat, non encore élucidé, du Président Habyarimana [89] ».

 

« Au même moment, dans les zones vite contrôlées par les troupes du FPR, les massacres des populations de la préfecture de Byumba débutent systématiquement, discrètement et sélectivement. Sous le slogan « wuwa wote », « rasez-les tous », à abri des caméras et au fur et à mesure de la progression militaire, des tueries massives sont opérées dans Kibungo où des corps de cadavres sont jetés dans la rivière Akagera. Les gens sont triés, rassemblés dans des simulacres de réunions et sont éliminés. Ils sont conduits vers des destinations où ils n’arriveront jamais[90] ».

 

v)                  L’arrivée salvatrice de l’opération turquoise

 

A la mi-juin 1994, l’armée française, sur mandat des Nations Unies, instaura une zone humanitaire sûre au sud-ouest du pays, appelée « opération turquoise ». Cette opération comportait sans doute des mobiles militaires latents, notamment celui d’arrêter la progression du FPR pour ensuite imposer des négociations directes entre les belligérants. Cependant, il convient de constater qu’en levant de force les barrières gardées par les miliciens, l’opération turquoise a permis aux populations de fuir à temps la progression des combats et à éviter un désastre humanitaire sans précédent puisqu’elles auraient été prises dans l’étau entre les combats et le lac Kivu. Depuis l’intervention de l’armée française, les déplacements ont été plus aisés. L’idée répandue selon laquelle l’opération aurait permis d’exfiltrer des miliciens semble courte dans le sens où ce sont ces derniers qui étaient maîtres des barrières et du territoire, conservaient plutôt leur liberté de mouvement.

 


 

Titre 7 : LA NOTION DE COMPLICE

 

La notion de complice a connu plusieurs développements depuis le début de la guerre en septembre 1990 jusqu’à sa fin en juillet 1994 qui peuvent être regroupés en quatre étapes :

-         D’octobre 1990 à juin 1991,

-         de juin 1991 à octobre 1993,

-         d’octobre 1993 au 6 avril 1994,

-         du 6 avril à juillet 1994.

 

1.      ETRE COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1990 ET JUIN 1991.

 

Quand la guerre éclate en octobre 1990, le Président Habyarimana, de retour de New York,  simule dans la nuit du 4 au 5 octobre une attaque du FPR dans la ville de Kigali. Des tirs intenses sont entendus et provoquent une grande panique dans la population. Profitant de cette panique, le pouvoir appréhende près de 8'000 personnes. Elles constituent pour l’essentiel l’élite intellectuelle et commerciale. Ces personnes sont accusées de complicité active avec l’ennemi et de constituer la cinquième colonne du FPR. Un climat de terreur s’installe puisque ce ne sont pas les seuls prisonniers qui sont maltraités et subissent une situation sanitaire précaire, leurs familles sont aussi brutalisées. L’analyse de l’origine ethnique et géographique des prisonniers établie par l’organisation de défense des droits de l’homme, « ADL » a révélé plus tard que la quasi totalité des détenus étaient originaires du sud du pays. 39% d’entre eux étaient tutsi et 61% restant était hutu[91].

 

Pendant cette période, le climat socio-politique se détériore. La presse favorable au régime se déploie à ternir l’image de personnalités du sud et/ou tutsi, y compris des ministres au gouvernement, accusant certains d’avoir menti sur leurs vrais origines ethniques. La complicité se lit donc à travers la double lunette, ethnique tutsi, et régionale du sud. Quand, dès le début de l’année 1991, les revendications démocratiques deviennent plus insistantes et que certains courants d’opinion laissent transparaître leur compréhension envers certaines revendications du FPR, la notion de complicité s’étend et à prend une connotation politique, celle de lier opposition et connivence avec la rébellion.

 

2.      ETRE COMPLICE ENTRE JUIN 1991 ET OCTOBRE 1993

 

Dès le 10 juin 1991, le pluralisme politique se confirme et est formellement reconnu par la Constitution de la République. Les partis qui naissent en ce moment-là s’affichent au départ dans l’opposition sont le MDR et du PSD. Les partis PL et PDC, et bien sûr le MRND, se réclament au début proches de la majorité présidentielle. Peu après cependant, le PL et le PDC rejoindront l’opposition. Plus tard, d’autres minuscules partis satellites créés par le MRND et le FPR, verront le jour.

 

Ce qui caractérise cette période d’euphorie démocratique est que la notion de complice disparaît complètement du vocabulaire politique. Même si les tenants d’une ligne dure au sein du MRND et de la CDR continuent de taxer certains partis de complice de l’ennemi, cela n’a pas d’impact réel. Au contraire[92]. La dissension à la norme MRND est acceptée comme choix politique et chaque choix politique est considéré comme légitime. Cela correspond à la période où l’opposition s’impose sur la scène politique, entre au gouvernement et négocie avec la rébellion la fin de la guerre. C’est aussi la période où le camp présidentiel et le FPR, non contents d’un pluralisme politique qui les considérait comme des acteurs au même titre que les autres formations, vont chercher à affaiblir le camp de l’opposition démocratique afin d’imposer la bipolarisation.

 

3.      ETRE COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1993 ET LE 6 AVRIL 1994

 

Le MRND et le FPR sont arrivés à briser l’indépendance de l’opposition et à la soumettre à leurs stratégies. La notion de complice refait surface. Au niveau interne, le camp présidentiel récupère le concept de complice développé au début de la guerre et commence à l’imposer. Elle a une forte connotation ethnique et une grande résonance anti-FPR. L’alliance du pôle MRND avec le courant MDR pro-Twagiramungu, tissée pendant la période précédente, s’évanouit progressivement pour céder la place à l’émergence des courants[93] pro-MRND dénommé « hutu power » et pro-FPR appelé « jyojyi ».

 

Pendant cette période, les gens qui ont des contacts avec le FPR sont fichés par les services spéciaux de « l’akazu ». A Kigali, dans le quartier Gishushu par exemple, les « Interahamwe » font bien la reconnaissance des personnes et des véhicules des personnes qui se rendent au nouveau siège du FPR, à savoir l’immeuble du parlement CND situé à Kimihurura. Il en est de même des familles soupçonnées de loger des membres des brigades clandestines du FPR ou d’avoir envoyé leurs enfants s’enrôler dans l’armée de ce dernier.

 

4.      ETRE COMPLICE ENTRE LE 6 AVRIL ET JUILLET 1994.

 

Comme cela a été développé plus haut, cette période est caractérisée par le triomphe de la terreur. La notion de complice couvre toutes les facettes de la violence qui se développent en ce moment-là : violence ethnique, violence politique, guerre, vengeances, règlements de comptes, accaparement de biens d’autrui, revanche sociale des plus pauvres. Le complice est celui qui n’est pas du côté de celui qui impose la terreur. Comme cette dernière est devenue multiforme et est détenue par différents pôles de la violence, les critères de la complicité se sont aussi diversifiés suivant que l’on est ou que l’on n’est pas du côté du détenteur de la violence. Celui-ci trouvera ses critères pour exclure tel ou tel groupe ou personne et lui imposer la mort. La violence est donc politique, ethnique mais sévit aussi contre toute personne considérée comme non sûre par les multiples détenteurs de la violence.

 

Quand on regarde de manière diachronique le déroulement des massacres, l’on peut essayer de s’expliquer les différentes notions de complice qui sont à l’œuvre.

 

On voit que la violence est d’abord politique. Les premières victimes et les personnes pourchassées sont en effet les personnalités de l’opposition politique. Il s’agit entre autres du Premier ministre Mme Agathe Uwilingiyimana (MDR), du président de la Cour constitutionnelle M. Joseph Kavaruganda, des ministres Frédéric Nzamurambaho (PSD), Landoald Ndasingwa (PL), Faustin Rucogoza (MDR), Boniface Ngulinzira (MDR), des membres de la direction des partis, MM. Félicien Ngango (PSD) et Théoneste Gafaranga (PSD), mais aussi des hauts fonctionnaires tel M. Déogratias Havugimana (MDR). Ont été également éliminés les personnes arrêtées en octobre 1990 et qui avaient été élargies ensuite grâce à la pression politique.

 

L’épuration devient ensuite ethnique. Dans un dispositif systématique d’extermination, les tutsi de l’intérieur sont éliminés pour le seul fait de leur appartenance ethnique. Alors qu’auparavant les massacres s’étaient circonscrits à Kigali et dans quelques endroits où il y avait des « Interahamwe » armés, comme la ville de Gisenyi ou la commune de Murambi, les massacres se sont étendus progressivement sur l’ensemble du territoire par l’exportation des tueries par ces mêmes éléments armés. C’est le génocide qui emporte près de six cent mille âmes tutsi : hommes, femmes, enfants, vieillards, sans distinction.

 

La complicité devient aussi collatérale dans le sens où la violence se dirige aussi contre ceux qui protègent les tutsi ou ceux qui sont considérés comme leurs alliés. Afin de briser la sédition, les ménages dont un des parents était hutu ainsi que d’autres personnes cachant des tutsi ont été sommées à les livrer à la mort sous peine d’être tués  à leur tour. Nombreuses sont des personnes, voire des enfants, qui, avant de subir eux-mêmes la mort ou des traitements dégradants et cruels, ont été forcés à tuer leur parent ou la personne qu'ils protégeaient. Souvent, la mise à mort était précédée par le pillage de leurs biens. Il en allait de même pour la personne, parente ou amie, soupçonnée d’avoir des liens étroits avec un militant connu du FPR, voire avec un opposant au régime Habyarimana[94].

 

La complicité devient enfin une notion dont les liens avec les événements politico-ethniques qui se déroulent s’avèrent lâches. La violence poursuit des mobiles de revanche, de règlement de comptes et d’accaparement des biens d’autrui. Bien entendu, la justification de la mort de ces innocents ne se présentera pas de manière aussi manifeste sous ce vocable. Le détenteur de la violence, afin de se légitimer, devra inventer les charges au goût des faits politiques et ethniques qui sont en train de se dérouler. M. Marc Vaiter[95] a trouvé les termes justes pour rendre cet appât du butin :

 

« Tu es plus riche que moi : je te tue. Tu es plus instruit : je te tue. Nous sommes brouillés : je te tue, ….. On tue pour le pillage. Et ensuite on s’entre-tue pour le butin. On recherchera aussi les héritiers des parcelles volées, et les témoins des anciennes propriétés pour les éliminer ».

 

En fin de compte, c’est celui qui détient l’arme qui désigne à sa guise qui est complice. Ceci est tellement réel qu’au moins de juin 1994, de simples paysans de la préfecture de Gitarama fuyant les combats se sont vus refuser le droit d’entrée et de refuge dans la préfecture de Gisenyi. Des gens ont même été tués. Pour les habitants de Gisenyi qui tenaient les barrières, les ressortissants de la préfecture de Gitarama étaient considérés comme des complices du FPR. Ces incidents ont fait que, avant la fuite générale en juillet vers le Zaïre, les habitants de cette préfecture et « toute autre personne peu sûre », ont préféré emprunter la voie du sud-ouest Cyangugu – Bukavu au lieu de se diriger vers le nord –ouest Gisenyi – Goma, pourtant plus proche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans de telles circonstances d’abandon par les armées onusiennes et étrangères où tout l’espace est occupé par la violence et les armes, quelle était la marge de manœuvre laissée à ceux qui étaient contre les tueries ? Compte tenu de la force irrésistible des tenants de la violence et du danger réel d’anéantissement physique prévalant pendant ce temps de guerre et de tueries massives, il ne pouvait y avoir de lutte armée ouverte possible. Résister exigeait d’emprunter des voies et des attitudes actives mais indirectes et non manifestes[96]. Cela pouvait être fournir de manière clandestine de la nourriture à une personne pourchassée. Cela pouvait être protéger une victime potentielle en cachette et à l’insu de tout le monde. Cela pouvait être de se servir du poste que l’on occupe pour sauver des gens et ne pas édicter de mesures ni exécuter d’ordres d’élimination. Cela pouvait être de donner l’impression de coopérer alors que l’on ne coopérait pas du tout, notamment aller à une barrière pour créer le doute chez le tueur, voire le soudoyer pour la vie sauve d’un innocent.


 

Titre 8 : LA CONSTITUTION APPLICABLE EN AVRIL 1994

 

1.      UNE SITUATION INSTITUTIONNELLE INEDITE.

 

Le 5 janvier 1994, une situation institutionnelle inédite se présente. Après prestation de serment, la Présidence de la République est la seule institution[97] prévue par les accords d’Arusha à entrer dans la transition. Le Gouvernement de transition à base élargie « GTBE » et l’Assemblée nationale de transition « ANT », en l’absence d’un accord entre les partis politiques participant au gouvernement de coalition du 16 avril 1992 et le FPR, ne peuvent entrer en fonction. En ce qui concerne les institutions du Pouvoir judiciaire[98], vu que la loi sur la Cour suprême n’avait pas encore été élaborée, ces dernières devaient en principe entrer en fonction ultérieurement.

 

Le 6 avril 1994, deux situations encore plus inédites surgissent. Premièrement, le Président de la République, seule autorité légale de transition, est assassiné. Nous sommes en face d’un cas de vacance avéré du pouvoir présidentiel qui demande son pourvoi. Deuxièmement, le FPR attaque sur les tous les fronts et rompt unilatéralement l’accord sur le cessez-le feu. Cet acte constitue une violation flagrante, voire une rupture essentielle, de l’Accord de Paix. On se situe dans quel ordre juridique à partir de ce moment là ?

 

Face à ces événements majeurs, la question est de savoir laquelle de la Constitution du 10 juin 1991 ou de l’Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993 est applicable afin d’éviter le vide du pouvoir ? Quelle est la légalité du gouvernement intérimaire ? L’on peut aussi poser la question de la manière suivante : La Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de paix sont-ils si incompatibles pour devoir se poser la question même de la loi applicable en 1994 ? La présente analyse va essayer d’élucider l’énigme constitutionnelle.

 

2.      LA CONSTITUTION DU 10 JUIN 1991.

 

Les articles 42, 43 et 101 indiquent la procédure à suivre, les organes habilités à la vacation du pouvoir présidentiel, les compétences et la durée d’exercice de ses compétences. L’article 42 alinéa 2 stipule qu’en cas de décès, de démission, d’empêchement ou d’incapacité du Président de la République, il est remplacé par le Président de l’Assemblée nationale. L’incapacité est prononcée par la Cour constitutionnelle. L’article 43 prévoit aussi qu’en cas de vacance simultanée des deux présidents, le Premier ministre assure les charges du Président de la République. L’article 101 stipule enfin que le Président de la République et le Conseil national de développement, c’est-à-dire le Parlement, restent en place et exercent pleinement leurs prérogatives jusqu’aux prochaines échéances.

 

Si l’on s’en tient à ces trois dispositions constitutionnelles, le Président du CND peut régulièrement remplacer le Président de la République frappé d’incapacité définitive absolue par le décès. Dans ces circonstances, il n’y a pas de prescription légale enjoignant que le Président de la République vacataire soit issu des rangs du MRND. En conclusion, la formation du gouvernement intérimaire est conforme à la Constitution du 10 juin 1991. Sans juger des convictions politiques des titulaires, la répartition des portefeuilles s’est déroulée dans le strict respect du Protocole d’entente entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition signé le 7 avril 1992.

 

 

3.      L’ACCORD DE PAIX D’ARUSHA

 

Le Protocole sur le partage du pouvoir du 30 octobre 1992 et l’Accord de Paix du 4 août 1993, à l’instar de la Constitution du 10 juin 1991, indiquent la procédure à suivre, les organes habilités à la vacation du pouvoir présidentiel, les compétences et la durée d’exercice de ses compétences.

 

Que dit le Protocole sur le partage du pouvoir lequel fait partie intégrante de l’Accord de Paix ? L’article 2 accepte le maintien de la structure du gouvernement de coalition tel que régit par le protocole d’entente entre les partis du 7 avril 1992 jusqu’à la mise en vigueur des institutions de transition stipulées dans l’article 3 dudit protocole sur le partage du pouvoir. L’article 5 dit que le Président en exercice reste en place jusqu’à la fin de la transition.

 

L’article 14 enjoint les partis politiques de gouvernement et le FPR de mettre en place le GTBE. L’article 48 prévoit les modalités de remplacement du Président de la République en cas d’empêchement définitif. En cas de démission, de décès, d’incapacité ou d’empêchement définitifs du Président de la République, la vacance de poste est constatée par la Cour suprême sur saisine du Gouvernement de transition à base élargie et l’intérim est assuré par le Président de l’Assemblée nationale de transition. En cas de son remplacement, le parti de l’ancien Président présente deux candidats au Bureau de l’ANT dans les trois semaines. Il est ensuite élu à la majorité absolue par l’ANT et le GTBE réunis.

 

Les dispositions du Protocole sur le partage du pouvoir sont assez claires. A l’instar de la Constitution du 10 juin 1991, c’est le Président de l’Assemblée nationale qui remplace le Président de la République. Toutefois l’on notera que la disposition s’applique en cas d’entrée en fonction et d’effectivité de l’ANT et du GTBE. Ce qui n’était pas encore le cas en date du 6 avril 1994. Il convient donc de se tourner vers l’Accord final de Paix du 4 août 1993 pour voir ce qui est prévu dans le cas où le GTBE et l’ANT ne seraient pas encore mis en place.

 

L’Accord de Paix en son article 8 prévoit que le gouvernement de transition formé le 16 avril 1992 reste en fonction jusqu’à la mise en place du GTBE. L’article 9 stipule que l’Assemblée nationale prévue dans la Constitution du 10 juin 1991, le Conseil national de développement « CND » en l’occurrence, reste lui aussi en place jusqu’à l’installation de l’ANT. Il ne peut toutefois pas légiférer. L’article 3 dit que la Cour constitutionnelle vérifie la conformité des lois et des décrets-lois à la Loi Fondamentale. En attente de l’élaboration et de l’entrée en vigueur de la loi sur la Cour suprême, il est prévu que la Cour constitutionnelle définie dans la Constitution du 10 juin 1991 reste compétente pour juger de la constitutionnalité des lois et décrets.

 

Il ressort de ces dispositions que les organes exécutif, législatif et judiciaire de la Constitution du 10 juin 1991, en attente de l’instauration des institutions de transition qui devraient les remplacer définitivement, sont régulières et restent en fonction.


 

4.      LA LOI APPLICABLE

 

Il n’existe donc de contradiction ni dans le libellé ni dans l’interprétation des dispositions de la Constitution du 10 juin 1991 et de celles de l’Accord de Paix. Bien au contraire faut-il voir des complémentarités et, en cas de conflit, l’interprétation doit se faire dans un sens téléologique. S’il y avait eu conflit, l’Accord de Paix aurait prévalu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article 3 de l’Accord de Paix reconnaît leur indéfectibilité en ces termes :

 

« Les deux parties acceptent que la Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix d’Arusha constituent indissolublement la loi fondamentale qui régit le pays durant la période de transition ».

 

La loi applicable est donc bel et bien la Loi fondamentale, à savoir la Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix du 4 août 1993. Et étant donné que les dispositions légales de l’une et l’autre ne sont pas en opposition, il est loisible d’invoquer indistinctement l’applicabilité de l’une ou l’autre puisque les dispositions prévues par les deux parties de la Loi fondamentale restent complémentaires.

 

Le gouvernement intérimaire s’était tellement convaincu de sa conformité avec la Constitution à telle enseigne qu’il a créé des situations parfois surréalistes. Le 3 juillet 1994, alors que la Capitale du pays était en train de tomber aux mains du FPR, à Gisenyi, les députés concourraient dans des élections burlesques du nouveau président de l’Assemblée nationale. Il fallait, disait-on, remplacer le Président intérimaire dont le mandat constitutionnel devait expirer dans 5 jours, à savoir le 8 juillet ! Tout cela pour se conformer à l’article 42 de la Constitution qui fixe le mandat intérimaire à 90 jours !

 

On notera cependant que sous le couvert de la conformité à la loi, «l’akazu », en faisant élire son leader, M. J. Nzirorera à la présidence du CND, hissait ainsi au sommet son nouveau chef incontesté. Le pouvoir réel se confondait désormais avec le pouvoir légal.

 

Une question reste cependant non résolue. L’article premier de l’Accord de Paix stipule : « Il est mis fin à la guerre entre le Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais ». L’on sait que dès le 6 avril 1994 le FPR a décidé de porter à nouveau les armes contre le pays.

L’entrée en guerre, après que l’Accord final de Paix a été conclu, constitue-t-elle simplement une violation du cessez-le-feu ou est-elle en même temps une rupture essentielle de l’Accord de Paix, et partant, de la Loi fondamentale ? Dans l’affirmative, s’il avérait que la partie qui a violé l’Accord de Paix par l’entrée en guerre était en même temps l’auteur de l’assassinat du Président de la République, assassinat à la base de la création du vide institutionnel, l’Accord de Paix serait-elle opposable à l’autre Partie en ce qui concerne en particulier les dispositions relatives au vide institutionnel ? Quelle validité aurait cette application si l’accord conclu continuait à être vidé en même temps de sa substance fondamentale : la paix ?


 

Titre 9 : LA PLANIFICATION DU GENOCIDE

 

L’analyse du génocide rwandais a fourbi beaucoup de thèses. Elles vont des plus farfelues telles celles qui situent sa préparation depuis 1959 aux plus criminelles, à savoir celles qui nient purement et simplement sa réalité même. Si le génocide est bien une réalité rwandaise, c’est la preuve de sa planification qui reste toujours problématique à telle enseigne qu’il se trouve des thèses qui stigmatisent le caractère spontané et « fou » des tueries pour refuser d’attribuer la qualification de génocide à une tragédie qui a pourtant emporté de manière systématiques en moins de cent jours des centaines de milliers de tutsi.

 

Si le terme planification signifie préparation méthodique et bureaucratique de longue date par l’Etat, je dis qu’une telle planification n’a pas eu lieu. Ici le génocide devient un fait d’Etat qui se situe de manière diachronique. Si par contre le même terme peut aussi traduire une préparation méthodique de longue date par des groupements privés qui attendent le moment de prise de pouvoir pour mettre à exécution leur plan, alors j’affirme qu’une telle planification a bien eu lieu. Dans cette acception, le génocide est un fait d’Etat qui se lie de manière synchronique. Dans la première hypothèse, l’élément criminel de qualification est bien la planification, par contre dans la deuxième, il s’agit de l’ordre ou de l’organisation. Ce sont ces aspects que je vais tenter d’élucider dans les lignes qui suivent.

 

1.      CE QUE LE GENOCIDE TUTSI N’EST PAS.

 

a.       Le génocide tutsi n’a pas été planifié par l’Etat avant avril 1994.

 

Avant le 6 avril 1994, on ne peut trouver de traces, ni de plan bureaucratique, ni d’ordonnances ni de décisions prises qui redescendraient et remonteraient ensuite les échelons administratifs pour former enfin une voûte et une planification stratégique d’une politique d’Etat d’élimination. Il n’existe pas, avant cette date, au niveau de l’Etat, une mobilisation idéologique de son appareil ni d’ordre efficace, explicite ou implicite, théorisé et véhiculé par les organes de l’Etat dans le sens de rendre le Rwanda « pur de tout tutsi ». S’il avait existé une pareille mobilisation de l’Etat, il serait alors aisé de comprendre le pourquoi de la guerre qui a éclaté en octobre 1990. Elle aurait eu l’objet de réaliser une telle idéologie. Or, à ce que l’on sache, ce n’est pas le gouvernement rwandais qui a eu l’initiative de la guerre en 1990. C’est plutôt le FPR qui, à partir d’un pays voisin, a préparé et porté la guerre au Rwanda.

 

Aussi, avant la même date, il n’y avait pas d’homogénéité ni de cohérence politique au même niveau de l’Etat. Celui-ci, par l’entrée au gouvernement de l’opposition le 16 avril 1992, était devenu bicéphale et était devenu le lieu de compétition de plusieurs partis politiques, voire de factions rivales au sein même d’une même formation politique. Or, le moins que l’on puisse dire est que ces partis et courants, participant au gouvernement, ne partageaient pas tous une unité idéologique. Ils connaissaient aussi une diversité ethnique qui les aurait empêchés de mijoter de tels plans macabres. On se souviendra du tollé général de condamnation du discours incendiaire et d’appel au meurtre des tutsi prononcé le 22 novembre à Kabaya par Léon Mugesera, membre du bureau politique préfectoral du MRND à Gisenyi.

 

Affirmer que le génocide aurait été planifié par l’Etat voudrait dire que ce serait l’opposition démocratique, parce que c’était elle qui dirigeait le gouvernement et l’administration au moment des faits qui aurait planifié le génocide. Ce qui nous situerait devant une absurdité impensable selon laquelle les planificateurs du génocide seraient en même temps les ordonnateurs de leur propre mort puisque ce sont eux-mêmes qui figurent parmi les premières victimes. Ce qui est inacceptable. Faut-il rappeler que le Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, les ministres et ses collaborateurs les plus proches, ont tous été massacrés dès les premières heures du déclenchement de la tragédie ?  Comment auraient-ils pu donner de tels ordres à leur administration ?

 

Et si beaucoup de faits plaident qu’ils ne sont nullement les auteurs du génocide mais les victimes, comment peut-on leur prêter l’intention d’avoir laissé leur administration préparer un tel drame ? En outre, le chef de la sûreté intérieure au moment des faits, était monsieur Augustin Iyamuremye, un des leaders du PSD, aujourd’hui dignitaire du pouvoir en place à Kigali. A supposer qui plus est qu’il se serait trouvé dans l’incapacité de déjouer le plan génocide secret peaufiné par l’autre tête de l’Etat, à savoir le Président de la République, comment n’aurait-il pas au moins cherché à dénoncer un tel plan bureaucratique ?

 

Ceci m’amène à avancer en même temps que la prétention selon laquelle ce serait le Président Habyarimana, en tant que Chef d’Etat, qui aurait planifié le génocide ne résiste pas non plus au même argumentaire. Comment aurait-il pu planifier une catastrophe dont le lancement devait dépendre de sa mort préalable ?  Le Président Habyarimana n’est pas mort, en effet, à la suite d’un accident fortuit, mais bien d’un attentat criminel prémédité.

 

Certains ont tenté de voir dans la définition de l’ennemi « ENI » établi après l’éclatement de la guerre par la commission militaire la confirmation de la planification du génocide. Mais cette preuve reste fragile dans la mesure où la lecture attentive de ce document fait une distinction précise entre la prise de pouvoir par les armes, laquelle est propre à l’ennemi, et la prise du pouvoir par la voie démocratique et pacifique, laquelle est acceptée. A supposer qui plus est que le bénéfice du doute profitant aux tenants de la thèse de la planification bureaucratique du génocide, il faudrait qu’ils montrent ensuite quelles sont les décisions, décrets, ordonnances, arrêtés ou instructions d’application concrète et pratique qui s’en sont suivis.

 

On a aussi voulu voir dans la distribution des armes par le Gouvernement en 1991 dans la région de Byumba les éléments d’une préparation de longue date. Il conviendrait, avant d’avancer une telle affirmation, dire qui, du FPR ou du Gouvernement, a pris l’initiative de la guerre et quelles sont les instructions données de leur usage. Il faudrait aussi rappeler que les armes ont été distribuées dans une région bien circonscrite en guerre, région qui a ensuite été occupée par le FPR dès février 1993, c’est-à-dire plus d’une année avant le déclenchement du génocide.

 

Par un autre procédé, James Gasana[99] arrive à la même conclusion :

« Pour montrer que la réalisation d’un génocide était impossible avant fin 1993, je reviendrai au problème du régionalisme. J’ai montré que comme facteur de tension politique, l’antagonisme régional nord - sud venait avant l’antagonisme ethnique. Mais ces deux antagonismes étaient concurrents, et quand l’occasion se présentait, l’un utilisait l’autre comme instrument politique. C’est ainsi que depuis fin 1990, les politiciens extrémistes recouraient à l’ethnisme pour contenir une puissante dissension contre le régime mis en place en juillet 1973. Le centre de gravité de cette dissension était une région qui jouissait d’un accès très limité au pouvoir. Comme le gouffre entre le nord politique et les dissidents était important et que le piège tendu par les tenants du pouvoir avait été dévoilé, notamment par les arrestations arbitraires du 4 au 5 octobre 1990, la poussée vers la dérive ethnique fomentée par les conservateurs des deux bords fut un échec. Comme nous l’avons vu, il s’est créé plutôt une alliance objective entre l’opposition politique interne et l’opposition armée externe pour renverser un régime attribué au nord. C’est d’ailleurs l’échec de l’ethnisme comme facteur politique qui a facilité la progression du FPR dont la véritable force a été l’appui politique que lui a apporté l’opposition politique intérieure ».

 

 

 

 

b.      Le génocide tutsi n’est pas basé sur une idéologie éliminationniste meurtrière.

 

Aujourd’hui, des explications tendant à faire accréditer la thèse selon laquelle le génocide tutsi relèverait du même ressort idéologique éliminationniste[100] que celui du génocide juif sont prodiguées. Certaines même ont élaboré le concept malheureux de « nazisme tropical[101]» sans se soucier d’en vérifier les éléments constitutifs. Pour accréditer une telle thèse, il faudrait examiner si les éléments constitutifs sont bien réunis.

 

L’idéologie éliminationniste est caractérisée par quatre éléments essentiels, à savoir :

-         la conscience collective de supériorité,

-         la magnificence de cette dernière,

-         la tradition politique d’extermination de groupes,

-         le dessein expansionniste.

 

Ces éléments sont totalement absents dans le génocide tutsi. Il n’existe pas, en effet, ce que nous appellerions un nationalisme hutu, une sorte de darwinisme social hutu fondateur qui conférerait à l’ethnie hutu, telle une race aryenne, une conscience collective d’appartenir à un groupe culturellement supérieur à la base de laquelle, parce que meilleure, plus forte et plus belle, elle justifierait son droit ou son devoir de gouverner et de régner sur les autres groupes ethniques ou culturels. Il n’existe pas non plus dans la tradition des royaumes hutu une pratique d’extermination collective de groupes dans le but d’assumer la suprématie politique. Les cas connus les plus récents de suppression de groupes, comme ceux des Abagereka[102] ou de Rucunshu[103] qui ont eu lieu dans la deuxième moitié du 19ème siècle, ne peuvent en aucun cas être attribuables à la tradition politique hutu.

 

Les théories racistes qui se sont développées et pratiquées pendant la colonisation n’ont pas été utilisées pour magnifier les hutu. Bien au contraire, elles ont été utilisées pour les marginaliser. La Révolution sociale de 1959, à la base de laquelle les hutu se sont émancipés ne pouvait pas non plus en conséquence puiser dans ce registre. Même dans ses excès, c’est au nom des principes d’égalité et de justice sociale que ladite Révolution a été menée et justifiée. Enfin, il n’existe pas de mythes ni de desseins expansionnistes pan-hutu dont la réalisation serait entravée par une quelconque présence de tutsi pour justifier ensuite leur élimination. Même si l’on peut déceler des sentiments anti-tutsi latents ou manifestes, nous le verrons quand nous aborderons la question du lit du génocide, il convient de constater qu’à la base du génocide tutsi, ce n’est donc pas l’idéologie pure enracinée dans un imaginaire fantasmagorique qui est à l’œuvre. C’est autre chose.

 

1.      CE QUE LE GENOCIDE TUTSI EST.

 

a.       Le génocide tutsi est un projet factieux de « l’akazu ».

 

Dès le moment où une élite factieuse, pourvue d’un plan génocidaire, explicite ou implicite, fut-il sommaire, prend le pouvoir et veut mettre en pratique son projet dans une société en crise et en état de psychose collective pour des motifs variés, le génocide deviendra possible dès lors que cette élite s’accapare brutalement de l’Etat et attire les éléments de violence pour la besogne. Dans ce contexte particulier, le génocide n’a pas à être élaboré longtemps en avance par l’Etat dans une sorte de « Generalplan Ost » de je ne sais quel commis d’Etat comme celui soumis au führer nazi par M. Konrad Meyer-Hetling[104], pour être exécuté ensuite. Il suffit, pour que cela soit possible, que le groupe porteur du projet maîtrise les instruments de violence, ordonne et entretienne, par la pression des armes et la communication, la panique générale.

 

Dans le cas qui nous concerne, il est indiscutable que depuis le début de la guerre en 1990 et l’ouverture au multipartisme, s’est constitué autour du clan présidentiel un groupe politique qui envisageait l’élimination de membres de l’opposition et de tutsi comme un moyen d’affaiblissement du FPR et de l’opposition politique et, partant, de son maintien au pouvoir. A combien de reprises, profitant d’événements tels que la violation du cessez-le feu ou de tensions politiques, n’a-t-il pas été tenté par le passage à l’action[105] ? 

 

Il s’agissait bien d’un dessein non d’une institution publique mais d’une faction politique, bénéficiant certes, directement ou indirectement, des dividendes versés par l’Etat. Ce groupement politique agissait cependant à titre privé, telle une société secrète, et non en raison de normes publiques bureaucratiques d’écartement systématique de tutsi qu’il aurait introduites et imposées à l’administration publique avant le 6 avril 1994. De telles normes bureaucratiques n’ont jamais existé.

 

A partir de cette dernière date du 6 avril, nous sommes en face d’une rupture institutionnelle essentielle : le vide du pouvoir. Tirant parti du vide de pouvoir survenu après l’assassinat du Président de la République, ce groupe politique a opéré tout de suite un coup d’Etat, a pris de fait les rênes du pouvoir, a soumis la population et l’administration sous son emprise et a mis en place une « équipe » gouvernementale sous ses bottes. A mon humble avis, c’est à partir de ce moment, à savoir le 7 avril, et de ce moment-là seulement, que le génocide qu’il ordonne devient un crime d’Etat et est organisé progressivement sur l’ensemble du territoire.

 

Le génocide devient possible puisque ledit groupe se hisse au pouvoir et envahit l’Etat grâce à l’élimination du Chef de l’Etat. L’acte fondateur du génocide[106] est donc bel et bien l’assassinat du Président de la République. Cet assassinat permet à la faction politique en question de dominer les rouages de l’administration, d’exercer ensuite le pouvoir réel sur l’Etat, de donner les ordres et de conduire enfin son projet génocidaire, fut-il sommaire. Le génocide se pose donc en termes de synchronie et non de diachronie comme si c’était dans son exécution même qu’il avait été planifié.

 

Dans une analyse antérieure, je notais :

 

« Que l’on croit ou non au phénomène ethnique dans notre pays, la réalité est qu’un groupe de population identifié comme Tutsi de l’intérieur, constituant une population de près de 800.000 âmes a été exterminée au 3/4, soit 600.000 personnes, suivant les plans et les ordres d’une élite politico-militaire secrète et raciste, dominant, paralysant et doublant les rouages de l’administration civile et militaire et qui à n’importe quel prix voulait se maintenir aux commandes de l’Etat. Les grands courtisans de l’ « Akazu » présidentielle, le bloc militaire des officiers ultra des « Amasasu », restent jusqu’à preuve du contraire les auteurs du génocide. Le Gouvernement intérimaire, mis en place trois jours après le déclenchement des massacres, emporte la responsabilité de ne les avoir pas arrêtés ».  

 

Si l’on doit parler du génocide comme fait de planification par l’Etat ou de crime d’Etat, c’est bien à partir du 7 avril 1994 et non pas avant que l’on doive voir comment les instruments d’Etat ont été ensuite utilisés dans cette horrible besogne. Certes, ce sont des motivations politiques à la base des massacres et il n’existe pas de doute que certains courants politiques avaient, avant cette date, l’intention d’éliminer tout ou partie de l’opposition et de la population intérieure tutsi. Ce sont ces courants qu’il faut viser et pourchasser sans la moindre faille.

 

Cependant, faut-il insister une nouvelle fois, il n’existait pas auparavant de plan étatique d’extermination. Il y a lieu même de penser qu’au niveau des auteurs de « l’akazu », vu la manière dont les tueries, après avoir été lancées au niveau central, ont ensuite été gérées d’une manière décentralisée, il n’existait pas de plan détaillé[107]. Ce serait plutôt, vu l’initiative laissée au chef local, une instruction globale qui aurait été donnée et non un mode d’emploi établi par je ne sais quel expert ès ethnies comme le fit un certain Erhard Wetzel.

 

Au fait, vu la réification ethnique rwandaise séculaire, le véhicule de l’histoire au moyen de la culture orale, l’ethnisme latent entre groupes, la conception très verticale du pouvoir, l’indifférenciation géographique ethnique, la misère et la famine ambiante, et surtout la psychose générale, la situation de guerre et le déplacement massif des populations, bref, tous ces éléments qui ont formé le lit du génocide, y avait-il encore besoin d’un plan d’extermination détaillé ou de listes de personnes à tuer pour exécuter ensuite les tueries ? Est-ce que le génocide a besoin d’une planification préalable de longue date par l’Etat pour être qualifié comme tel ? Est-ce que le fait que l’Etat ait ordonné les massacres et les ait ensuite encadrés ne suffit-il pas pour les qualifier de génocide ?

 

Ne sommes-nous pas en fin de compte prisonnier des tenants de la thèse aveuglante de la culpabilité collective hutu et du génocide rédempteur[108] lesquels pour se réaliser nécessitent, il est vrai, une théorisation préalable ainsi qu’une longue préparation ? Ne faudrait-il pas se rendre à l’évidence qu’une telle thèse est difficile à retenir et à prouver dans le sens où elle reste en définitive infirmée par la gouvernance antérieure, l’évolution sociale récente et le déroulement des faits ? La meilleure approche n’est-elle pas plutôt de partir des faits et tirer des conclusions théoriques si besoin est ?

 

b.      Le génocide tutsi est de type pragmatique.

 

Quand on regarde la succession des événements qui ont conduit au génocide, il apparaît clairement que son exécution est basée sur des motivations essentiellement pragmatiques, c’est-à-dire politiques et économiques.

 

Politique d’abord,  dans le sens où les premières personnes à être assassinées par les éléments de la garde présidentielle sont des leaders[109] de l’opposition politique ou des personnes ayant une position institutionnelle non contrôlable autrement que par la liquidation physique. Politique ensuite, dans le sens où la liquidation de tutsi fait partie d’une stratégie de sauvegarde du pouvoir et de dissuasion du FPR, lequel risquait de voir détruite son réservoir politique. Politique toujours, dans le sens où « l’akazu » cherche à se rallier le plus grand nombre de personnes possible dans le crime et ainsi ne pas à devoir répondre ultérieurement de l’élimination des leaders de l’opposition hutu du sud survenu dès l’aube du 7 avril. Politique enfin, dans le sens où, dans les régions exemptes de milices « Interahamwe », les massacres ne s’y dérouleront qu’après les y avoir exportés. Les cas de résistance contre les massacres opposés par les populations des préfectures de Butare et de Gitarama ont été cités plus haut dans le texte.

 

Les motivations sont aussi économiques dans le sens où, surtout en milieu rural, les massacres sont d’abord précédés de pillage de biens meubles, suivis ensuite d’accaparement des terres des personnes éliminées. M. Niwese[110] le rend dans ces termes :

 

« Il fallait voir avec quelle rapidité, hommes, femmes, et enfants pillaient la maison de quelqu’un à qui on collait l’étiquette de tutsi. … Quelqu’un pouvait être appelé tutsi tout simplement parce que sa vache était convoitée. Il était illogique de lui ravir son bétail sans qu’il soit appelé ainsi. Et lorsqu’il était appelé ainsi, son sort était connu ».

 

La paysannerie était en effet entrée depuis longtemps dans une situation extrême de pression sur les ressources[111] marquée par des conflits fonciers, par un déficit alimentaire chronique et par une famine endémique. C’est dire que la spéculation foncière reste un ressort important de l’implication de beaucoup de personnes de conditions modestes dans les massacres. Assurés par avance de l’impunité, on peut notamment saisir pourquoi ces personnes ont été enrôlées en grand nombre dans le crime et pourquoi les massacres ont été exécutés avec une telle ampleur et avec autant de rapidité.

 

c.       Le génocide tutsi est de type rétributif.

 

Le génocide rwandais est aussi rétributif[112] dans le sens où il a été organisé et a pris forme en réaction à une menace - réelle ou imaginaire – en provenance du groupe victime. A la suite de l’assassinat du Président Habyarimana, assassinat qui est plus qu’un coup d’Etat, son auteur, en l’occurrence le FPR, veut accéder aux commandes de l’Etat après avoir décapité complètement les institutions publiques et après avoir lancé une guerre éclair. Voyant la probabilité élevée pour le FPR de victoire militaire et de prise de pouvoir, à son tour « l’akazu », opère son propre coup d’Etat et procède à l’élimination de la base politique potentielle du FPR, à savoir les tutsi, et de ses alliés politiques, c’est-à-dire les hutu de l’opposition.

 

L’on se rappellera effectivement qu’en date du 15 février 1994, M. Joseph Nzirorera, secrétaire national du MRND, chef incontesté des « Interahamwe » et ténor du courant ultra de « l’akazu », avait tenu aux délégués de la société civile des propos accréditant cette vision défensive de la commission du génocide[113].  Aussi, la radio RTLM, dans le but d’inciter au génocide, a-t-elle puisé dans le registre de la résistance populaire contre un nouvel asservissement des hutu en cas de victoire du FPR. Il a martelé la cervelle des gens en parlant des tueries systématiques réelles perpétrées des hutu de la zone sous son contrôle par la rébellion. Il a stigmatisé le sort du million de réfugiés, déracinés, tombés dans la misère et dans l’errance à cause du FPR, fatalité que risquait de subir ensuite l’ensemble de la population hutu. Ainsi la RTLM justifiait-elle l’appel au meurtre en réaction aux exactions du FPR.

 

C’est dans ce sens que le génocide tutsi peut-être qualifié de rétributif ou de défensif. C’est aussi peut-être un des mobiles de son caractère massif et très meurtrier.

 

 

 

 

 

 

1.      LE GENOCIDE AURAIT PU ETRE EVITE.

 

a.       Les massacres ne furent pas une surprise.

 

Bien avant le 6 avril 1994, la communauté internationale était au courant d’une forte probabilité de massacres de tutsi et de l’opposition, en cas de reprise des hostilités. Un rapport des services secrets américains[114] avait, déjà fin janvier 1994, donné une estimation de 500’000 pertes de vies humaines en cas de recrudescence des affrontements entre le FPR et les FAR. Des organisations de la société civile, après avoir recueilli les projets des différents protagonistes, avaient alerté la communauté internationale de l’imminence d’une catastrophe humanitaire et avaient, en vue de sa prévention, demandé le maintien et le renforcement de la mission de la MINUAR[115]. Début avril 1994, l’approche menaçante d’une guerre lancée par le FPR[116] était la chose la plus communément partagée au sein des chancelleries en place à Kigali.

 

Tout cela pour dire que nul ne fut surpris par la guerre et par les massacres qui suivirent. Il est vrai que personne, sauf peut-être ceux qui ont préparé et exécuté l’attentat aérien, ne pouvait penser que la guerre et les tueries allaient être d’abord précédées par un crime d’une très haute portée symbolique et d’une extrême gravité : l’assassinat du Président de la République. Alors peut-être aurions-nous pu faire des prévisions d’une catastrophe humanitaire d’une très grande ampleur. Cependant, quel que soit le scénario retenu, il n’est pas compréhensible que la MINUAR qui était sur place et dont la mission était le maintien de la paix n’ait envisagé d’autres esquisses que celui de plier bagage et de laisser le Rwanda baigner dans le sang.

 

b.      Il existait une force consistante d’arrêt des massacres.

 

Certainement. Le génocide aurait pu être évité si la communauté internationale avait cherché à exercer la pression nécessaire sur les belligérants. Et elle en avait les moyens. La MINUAR avait une force de 2'486 militaires. La veille de l’attentat présidentiel un corps de près de 400 marines américains s’était positionné à Bujumbura. Le 9 avril, un contingent de 590 hommes d’élite français était arrivé à Kigali. Le 10 avril, 1'100 militaires belges avaient déjà pris place à Kigali. Le 13 avril, un contingent de près de 100 militaires italiens était venu lui aussi participer à l’opération d’évacuation des étrangers. Il semble aussi que des militaires canadiens étaient aussi présents. Cela fait un total de plus de 4'536 soldats étrangers d’élite qui étaient stationnés à Kigali au début des massacres.

 

Des experts militaires[117] ont estimé qu’il aurait suffit de 2'000 à 2'500 « hommes décidés » pour mettre fin aux massacres. Le chiffre le plus élevé a été estimé à 5'000 soldats dans le cas de massacres généralisés à l’ensemble du territoire. Ceci pour dire que, s’il y avait eu volonté politique, dans tous les cas d’hypothèse, le nombre de militaires nécessaires pour arrêter les tueries était disponible depuis le début. Au contraire, au lieu de sauver des innocents, après avoir assuré le rapatriement des étrangers, toutes les troupes s’envolèrent[118]. La Belgique, le 14 avril, devait ensuite annoncer le retrait de ses troupes, lesquelles constituaient pourtant son noyau dur. Les Etats Unis et la Grande Bretagne soutenaient au Conseil de sécurité  > le démantèlement des Casques Bleus. Et le 21 avril, l’effectif de la force onusienne était réduit à 270 personnes ! La non intervention pour arrêter le génocide, les massacres et la guerre n’a donc pas été commandé par des considérations techniques. Il s’est agi bel et bien de choix politique.

 

c.       Les tentatives de la MINUAR de cessez-le-feu.

 

Le commandant de la MINUAR, Roméo Dallaire, a fait tout de même quelques tentatives d’obtenir un cessez-le-feu entre les belligérants. Il n’a pas toutefois été capable de mettre dans la balance la force de frappe onusienne ni celle d’autres Puissances qui étaient toujours présents au moment où il commençait les pourparlers. Quels sont les faits à notre connaissance pour illustrer ces tentatives.

 

Le 9 avril, c’est-à-dire deux jours avant la prestation de serment du nouveau gouvernement, le nouveau président intérimaire, M. Thédore Sindikubwabo, a invité le général Dallaire dans ses appartements à l’hôtel des Diplomates pour lui demander entre autres d’établir les contacts avec le FPR pour obtenir le cessez-le-feu. Le 12 avril, à savoir le jour même où les troupes du FPR faisaient la jonction entre Mulindi et Kigali à partir de la vallée de Nyabugogo et du plateau de Kacyiru, dix officiers supérieurs du commandement des forces rwandaises ont diffusé à la radio nationale et remis au général une lettre qui lui demandait de servir d’intermédiaire pour faciliter des rencontres avec le FPR aux fins de suspension des hostilités et de pacification du pays. Le communiqué était libellé comme suit :

                Suite aux événements tragiques qui ont endeuillé le pays à partir du 06 avril 1994, fait de nombreuses victimes innocentes, et entraîné la détresse de tout le peuple rwandais, ainsi que l’assassinat ignoble de 10 militaires de la MINUAR et d’autres ressortissants étrangers, le Commandement de Forces Armées Rwandaises estime qu’il est plus que temps de mettre fin à cette tragédie.

            A cet effet, il est hautement souhaitable que le Commandement des Forces Armées Rwandaises et le Commandement du FPR se rencontrent immédiatement pour examiner ensemble comment pacifier le pays sans plus tarder, et contribuer à la mise en place rapide des institutions de transition à base élargie, pour éviter de continuer à verser inutilement le sang des innocents.

            Le Commandement des Forces Armées Rwandaises reconnaît les efforts inlassables de la MINUAR, parfois contrariés, pour l’application intégrale de l’Accord d’Arusha, et lui demande de servir d’intermédiaire pour les rencontres proposées ci-haut.

            Afin de faciliter ce dialogue et arrêter des mouvements de panique de la population, il est souhaitable que les combats soient suspendus. Pour ce faire, une trêve est proposée par les Forces Armées Rwandaises aux Forces du FPR, qui commencerait à partir du 13 avril 1994 à 12 heures.

            Au nom du Commandement des Forces Armées Rwandaises, les Officiers Supérieurs qui ont participé à la Réunion:

 

Colonel Léonidas RUSATIRA, Colonel BEM Marcel GATSINZI, Colonel BEMS Félicien MUBERUKA, Colonel BEMSG Aloys NTIWIRAGABO, Colonel André KANYAMANZA, Colonel Joseph MURASAMPONGO, Colonel Edouard HAKIZIMANA, Lieutenant-colonel BEM Ephrem RWABALINDA, Lieutenant-colonel BEMS Augustin RWAMANYWA, Lieutenant-colonel Emmanuel KANYANDEKWE.

 

Fait à Kigali, le 12 Avril 1994.

 

Une première rencontre fut ensuite fixée le 14 avril. Mais le FPR n’y vint pas. Le 15 avril, le FPR imposa les conditions préalables au cessez-le-feu, à savoir :  l’arrêt des massacres dans tout le pays, la dissolution de la garde présidentielle. L’armée rwandaise accepta le 18 avril les conditions d’ « arrêter et faire arrêter les massacres par l’un et par l’autre » et demanda que soit observée une trêve afin d’arrêter les massacres et de conclure enfin un cessez-le-feu. La MINUAR, l’OUA et la Tanzanie élaborèrent les 24 et 25 avril un projet d’accord de cessez-le-feu et son opérationnalisation. Ce fut peine perdue, car le FPR refusa d’entrer en matière[119]. Et toutes les initiatives tentées ultérieurement en mai et en juin par les Nations unies connurent le même sort.

 

L’obtention de trêve échouée, aucune autre initiative salvatrice ne fut non plus lancée. Sans s’engager dans les combats, on aurait pourtant pu tenter de brouiller la radio RTLM. On aurait pu, pourquoi pas, lancer une radio concurrente de paix, cette fois-ci. On aurait pu créer des espaces, notamment dans les préfectures comme Gitarama ou Butare qui ont connu des massacres ultérieurement, des espaces exempts de violence ethnique ou militaire. On aurait pu offrir des sauf-conduits et un espace médiatique à des personnes civiles et politiques opposées au génocide pour que ces dernières dénoncent le meurtre d’innocents. Non, rien n’y fit. Les tutsi de l’intérieur, sans qu’aucun effort international vraiment sérieux ne soit entrepris pour les sauver, furent abandonnés, livrés à eux-mêmes, et succombèrent, sans que leurs cris purent être entendus, dans un génocide à huis-clos.

 

Et le FPR dont certains pouvaient penser qu’il allait intervenir ou obtempérer aux propositions de trêve et de cessez-le-feu, les sacrifia à la victoire militaire. Comme s’il s’agissait du prix à payer pour légitimer ensuite sa prise de pouvoir. Monsieur Jacques Castonguay le rend si bien [120] :

« Mais demander à une armée en voie de gagner une guerre de cesser le feu, alors même que ses objectifs initiaux ne sont pas encore atteints, n’est pas une mince tâche ».

 

Ou encore Alison Des Forges[121] :

« La stratégie du FPR, admirée par d’autres experts militaires, offrait peut-être la meilleure chance de remporter une victoire militaire, mais ne représentait pas le meilleur programme pour sauver des tutsi ».

 

Comme quoi devant les enjeux de pouvoir, sont insignifiantes les solidarités ethniques.

 

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CONCLUSION.

 

Tous les facteurs et stratégies politiques des acteurs internes et externes ont donc eu pour effet vicieux de freiner le processus politique de démocratisation des institutions publiques rwandaises. Démocratie et guerre ont été, dans ce contexte de concurrence interne et externe, intimement liés et conflictuels.

 

Dans la perspective interne, le pouvoir de Habyarimana et la rébellion du FPR, les deux seuls qui possédaient les moyens de violence, à savoir l’armée, ont été les seuls à pouvoir en bénéficier. Ils se sont les deux servis de la guerre pour contrôler le processus politique. On ne gère pas la guerre dans un contexte de compétition libre. La guerre requiert principalement la discipline excessive et restreint les libertés de manière implicite ou explicite. La guerre est avant tout un Etat d’exception, voire de radicalisation qui profite à ceux qui disposent déjà d’un pouvoir de coercition. On ne démocratise pas en tant de guerre. Il s’agit d’un axiome politique. Cela les démocrates et l’opposition l’ont appris à leurs dépens[122]. Ils en ont payé les deux prix les plus forts : le génocide et les crimes contre l’humanité commis par les deux acteurs armés et la fin de l’expérience démocratique dont on ne voit pas comment il renaîtra.

 

Dans la perspective géopolitique, la démocratie a été considérée non seulement comme le système idéal de garant de la stabilité politique et économique, mais aussi comme une possibilité de renouvellement ou de confirmation de l’élite politique aux fins de sauvegarde des intérêts des acteurs internes et externes. La guerre au Rwanda n’aurait pas été possible sans la mise en avant des intérêts subits de ces Puissances. Le génocide rwandais qui a emporté certainement plus de deux millions et demi de vies humaines n’aurait pas pu se passer sous les yeux fermés et la voix aphone, peut-être permissive, de la communauté internationale s’il n’y avait pas des avantages supérieurs de real politik à conquérir. Peut-être ces Puissances ont-elles atteint leurs buts. Mais à quel prix humain, pour le Rwanda, le Congo et le Burundi ?

 

La notion de complice, la bipolarisation ethnique, le climat de terreur et la stratégie du chaos que les courants radicaux des deux pôles politiques, à savoir le pôle présidentiel et le FPR ont réussi à imposer, montrent à quel point le respect de l’intégrité personnelle et les valeurs démocratiques ont été de manière drastique réduites, sinon annihilées. Le génocide et les autres graves violations du droit humanitaire ont été facilités par l’instauration progressive de cet environnement favorable à leur éclosion.

 

Dans un tel climat, l’attentat contre l’avion présidentiel et la reprise de la guerre par les belligérants restent les actes majeurs qui ont rendu possible la commission de crimes tant odieux que massifs. Les auteurs de tels actes ne pouvaient pas ne pas savoir les conséquences tragiques qui allaient survenir, ils doivent répondre de leurs crimes devant la justice internationale. Le génocide aurait pu être évité si la communauté internationale avait déployé les moyens dont elle disposait sur place et si elle avait crée l’espace physique et médiatique pour les personnalités et les organisations civiles et politiques favorables à la paix et opposées aux massacres. La non intervention internationale a laissé le libre champ aux tueurs, lesquels ne toléraient aucune résistance ouverte.

 

Trop de sang ont coulé et beaucoup de parents de victimes crient toujours justice. Le Rwanda est en train dans une dictature des plus opaques qui refuse toute imputabilité et nie aux citoyens les libertés fondamentales. L’auguste Tribunal que vous constituez sera-t-il capable de ressusciter cet espoir de justice et de démocratie profondément enfoui par l’exclusion et la violence ? J’ai la certitude qu’elle le pourra si elle juge, sans épargner aucun bloc politique et/ou militaire, les vrais cerveaux et les principaux auteurs de violation grave du droit humanitaire et si elle instaure les fondements d’une réconciliation nationale basée sur la justice, la démocratie et la non discrimination des victimes. C’est le minimum que nous puissions lui exiger. C’est sa mission principale. Il n’existe pas à ce que je sache dans le droit international de pratique similaire à la « real politik » qui serait la « real justice » à laquelle le tribunal se conformerait et s’interdirait de rendre justice.

 

La seule pratique judiciaire que je connaisse est, quel que soit l’auteur et quelle que soit sa puissance, celle de dire le droit par l’application de la rigueur de la loi et le respect scrupuleux de la procédure pour condamner le coupable, acquitter l’innocent et réhabiliter la victime. En agissant ainsi, le Tribunal aura certainement contribué à restaurer dans l’autorité l’état de droit et, partant, le courant démocratique aujourd’hui dans l’impossibilité d’éclore et de s’exprimer tant que subsiste l’impunité.

 


LISTE DES ABREVIATIONS

 

ADL

Association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques

AFP

Agence France Presse

ANT

Assemblée nationale de transition

CCOAIB

Conseil de concertation des organisations d’appui à la base

CEPGL

Communauté économique des pays des Grands Lacs

CDR

Coalition pour la défense de la République

CIA

Central Intelligence Agency (Etats-Unis d’Amérique)

CLADHO

Comité de liaison des associations de défense des droits de l’homme

CND

Conseil national de développement

FAR

Forces armées rwandaises

FAO

Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

FDC

Forces démocratiques de changement

FMI

Fond monétaire international

FRODEBI

Front démocratique burundais

FPR

Front patriotique rwandais

GP

Garde présidentielle

GTBE

Gouvernement de transition à base élargie

MDR

Mouvement démocratique républicain

MINAGRI

Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts

MINADEF

Ministère de la Défense

MINUAR

Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda


 

MRND

Mouvement révolutionnaire national pour le développement (1975-91); Mouvement républicain national pour le développement et la démocratie (depuis 1991)

NRA

National resistance army (Ouganda)

ONG

Organisation non-gouvernementale

OTAN

Organisation du traité de l’Atlantique Nord

ONU

Organisation des Nations Unies

OUA

Organisation de l’Unité africaine

PARMEHUTU

Parti du mouvement de l’émancipation hutu

PDC

Parti démocrate chrétien

PECO

Parti écologique

PL

Parti libéral

PNUD

Programme des Nations Unies pour le développement

PSD

Parti social démocrate

RPF

Rwandese patriotic front

RTLM

Radiotélévision libre des Mille Collines

TPIR

Tribunal pénal international pour le Rwanda

USAID

United States Agency for International Development

 


 

PRINCIPAUX DOCUMENTS CONSULTES.

 

1.      Accord de cessez-le-feu de Nselé (ex-Zaïre) du 29 mars 1991 et du 16 septembre du 16 septembre 1991 de Gbadolité (ex-Zaïre).

2.      Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993 entre le Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais.

3.        Agence de presse AFP du 4 avril 1994.

4.      Association des droits de l’homme et des libertés publiques « ADL », Rapport sur les droits de l’homme au Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992.

5.      Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts du MDR, Kigali, février 1992.

6.      BAUER, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris, Autrement, 2002.

7.        CASTONGUAY, Jacques, Les Casques bleus au Rwanda, Paris, L’Harmattan.

8.        Collectif de la société civile représenté par les organisations de femmes « Pro Femmes Twese Hamwe », les Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et les ONG de développement « CCOAIB », Déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise sur pied des institutions de transition définies dans l’Accord de paix d’Arusha.

9.        Communiqué du haut commandement des Forces armées rwandaises du 12 avril 1994, Kigali.

10.     Constitution de la République rwandaise du 10 juin 1991.

11.     Déclaration des organisations rwandaises et internationales œuvrant pour le développement au Rwanda du 11 mars 1992.

12.     DES FORGES, Alison, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala.

13.    GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002

14.    GASANA, James, World Watch Review, « Remember Rwanda ? », volume 15, Number 5, September/October 2002, Washington DC.

15.     GUICHAOUA, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995

16.    Journal Kanguka n°73, février 1993 : « A quand l’arrivée du FPR pour que les hutu prennent aussi l’exil de trente ans » ?

17.    Journal The People du 4-8 mars 1994, Kampala.

18.    Journal Uganda Confidential du 28 février au 7 mars 1994, Kampala.

19.    KAJEGUHAKWA, Valens, De la terre de paix à la terre de sang et après ?, Paris, Rémi Perrin, 2001, 359 p.

20.     La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une atmosphère de fin de règne », 31 octobre 1989.

21.    Le Soir du 6 décembre 1993.

22.    LEMARCHAND, René, Les génocides se suivent et ne se ressemblent pas : l’holocauste et le Rwanda, Document m’envoyé par l’auteur.

23.    Les productions agricoles, Rapports de la Commission nationale d’agriculture, République rwandaise, 1991.

24.     Lettres du Premier ministre adressées au Président de la République les 22 octobre 1992 et 27 mars 1993.

25.     Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 sur les partis politiques

26.    Manifeste et Programme du PSD, mai, 1991.

27.     NIWESE, Maurice, Le peuple rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris, L’Harmattan.

28.     NSENGIMANA, Nkiko « La libération de M. Jean Bosco Barayagwiza », Revue Dialogue, Bruxelles, décembre 1999.

29.     NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Contributions au combat contre le négationnisme du génocide et la délation politique », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, juin 1999.

30.      NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, «  Pour une démocratie de concordance et citoyenne ». Propositions provisoires pour la constitution d’une plate-forme alternative à la dérive du régime de Kigali, Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, juillet 1998.

31.     NSENGIMANA, Nkiko « La guerre du Rwanda : les déterminants internes et externes », Revue Dialogue, Bruxelles, décembre 1997.

32.     NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, «  Breaking Hutu-Tutsi enmity in Rwanda through reconciliation », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, octobre 1997.

33.     NSENGIMANA, Nkiko, et GASANA, James, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans le droit d’un courant démocratique au Rwanda,

34.     NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, «  D'un génocide l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans l'autorité d'un courant démocratique au Rwanda », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, Mai 1997.

35.     NSENGIMANA, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer sans tricher », Revue Dialogue, Bruxelles, avril-mai 1996.

36.     NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James «  Les voies pacifiques de la résolution de la crise politique rwandaise », Propositions pour la relance du processus de réconciliation nationale, Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, mai 1996.

37.     NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Bâtir une nouvelle espérance pour le Rwanda. Eléments de propositions pour un contrat social ». Africa Diasporama N° spécial 5&6, Lausanne, juin 1995.

38.    Programme politique du FPR, Muvumba, mai 1992. Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel du 15 août 1991.

39.     Protocole d’accord du 30 octobre 1992 sur le Partage du pouvoir entre le Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais..

40.    Protocole d’accord entre le Gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du 30 octobre 1992

41.     Protocole d’entente entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition ». Il est daté du 7 avril 1992.

42.    PRUNIER, Gérard, Rwanda : le génocide, Dagorno

43.    Rapport de la Commission politico-administrative sur les troubles dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février 1993

44.    Société civile, c/o Centre Iwacu, Déclaration de la société civile au Rwanda dans sa réunion du 31 mars 1994.

45.     VAITER, Marc, Je n’ai pas pu les sauver tous, Paris, Plon, 1995.

46.     VANSINA, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001.

 

 

 



[1] ICTR, Offer of Appointment under a Consultant Contract, Ref. ICTR/PER/02/fm, 25 June 2002.

[2] Elle le manifestera notamment à travers la rencontre de Bruxelles du 29 mai au 3 juin 1992, dans laquelle l’opposition non armée, appelée « Forces démocratiques de changement – FDC- » scellera dans le communiqué conjoint du 3 juin un accord politique avec la rébellion de concertation et de coordination permanente de l’information, la diplomatie et la sensibilisation de la population.

[3] La journaliste belge de la « Libre Belgique » dans sa livraison du 25 mai fait la même analyse et avance que la vielle opposition hutu-tutsi d’antan qui entraîna en 1959 la révolte des premiers n’était plus le premier élément de tension politique. Elle avait cédé le pas à l’antagonisme entre sud et nord.

[4] Une loi non écrite inaugurée dès l’avènement de la deuxième République en 1973 voulait que, en vue de s’assurer une clientèle politique docile, chaque préfecture dispose d’au moins d’un portefeuille au niveau du Gouvernement, du Comité central du parti unique MNRD et de la haute administration. Les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri disposaient bien entendu de plusieurs. Cela explique notamment pourquoi le Président Habyarimana, à la faveur de la constitution du premier gouvernement multipartite du 16 avril 1992, pour s’assurer de la représentation de chaque préfecture, exigea parité dans la répartition des 19 portefeuilles ministériels entre l’opposition politique et son parti. Avec le multipartisme, cela répondait bien sûr aussi à une stratégie électorale.

[5] L’appellation « sud » recouvre en fait le sud et le centre du pays, c’est-à-dire principalement les préfectures de Gitarama, Butare, Gikongoro, Kibuye. Par extension, elle incluait aussi les préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo.

[6] Elle meurt en 1989 dans un accident de voiture jamais élucidé. Sont aussi morts dans des accidents de route non expliqués le ministre de la santé François Muganza ainsi que l’abbé Silvio Sindambiwe, journaliste de l’illustre journal Kinyamateka. Ils représentaient tous les têtes montantes de l’opposition.

[7] Journal, La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une atmosphère de fin de règne », 31 octobre 1989.

[8] Nota bene. Le café intervenait pour plus de 70% des exportations totales du pays.

[9] Dès le coup d’Etat de juillet 1973, afin de mieux contrôler l’opposition hutu du sud, le régime Habyarimana noue alliance avec l’élite commerciale tutsi et soutien sa consolidation en lui accordant beaucoup d’avantages commerciaux et fiscaux qui lui permettent de dominer les secteurs pétrolier, bancaire, import/export et les marchés publics. La contrepartie est la prise de participation fictive dans les sociétés, la distribution de dividendes et de prébendes ainsi que l’entretien du réseau de contre-espionnage privé du régime.

[10] Lire le livre de Kajeguhakwa, Valens, De la terre de paix à la terre de sang et après ?, Paris, Remi Perrin, 2001, 359 p. Une véritable épopée et une construction patiente de la revanche politique !

[11] Les productions agricoles, Rapports de la Commission nationale d’agriculture, République rwandaise, 1991.

[12] Ce sont les représentants de la société civile qui les premiers, à savoir les 20 et 21 décembre 1990 dans une table ronde tenue à Kigali, proposèrent la modification de la Constitution afin de consacrer juridiquement le pluralisme politique et réclamèrent la tenue d’une conférence nationale souveraine « Rukokoma » chargée de rédiger la Constitution et de déterminer la conduite de la transition. Cette idée de la Conférence nationale sera ensuite reprise par l’opposition. Aucun des partis politiques n’ayant l’assurance de maîtriser ses conclusions, les partis renoncèrent à la tenir. Voir lettre du conseil de concertation des ONG « CCOAIB » du 4 janvier 1991 adressée au président de la commission nationale de synthèse.

[13] Sur le lien entre violence et rareté des ressources, voir GASANA, James, World Watch Review, « Remember Rwanda ? », volume 15, Number 5, September/October 2002, Washington DC, pp.24-33.

[14] Entretien au mois d’octobre 1990, juste après le déclenchement de la guerre, avec le journaliste Bob Scot de la radio « Voice of America ». L’enregistrement est disponible auprès de l’auteur.

[15] Confusion sans doute avec Bashiru.

[16] Il s’agit des commandants Chris Bunyenyezi et de Stephen Nduguta. Voir notamment, PRUNIER, Gérard, Rwanda : le génocide, Dagorno, p.93.

[17] Il s’agit bien de prétexte. En effet, ni leur conception politique ni leur pratique politique ne peut leur conférer un statut démocratique. Je me souviens combien en 1992 dans les négociations politiques d’Arusha leurs émissaires se sont vigoureusement opposés au premier protocole sur l’Etat de droit. N’eût été la pression des pays occidentaux, les dés étaient pipés pour le début des négociations. Les chefs politiques et militaires du FPR avaient auparavant servi des régimes qui étaient loin d’être des exemples de démocratie, à savoir ceux d’Oboté I en 1966, d’Amin Dada en 1971 et de Museveni en 1986 partisan du « no party system » !

[18] Au sommet franco-africain de la Baule en France en 1990, il s’était fait le porte-parole des Chefs d’Etat réticents à la démocratisation. Il y a défendu le paradigme surprenant de « démocratie à l’africaine » à son sens déjà appliqué dans les pays africains. 

[19] On verra comment, dans le sens de s’assurer le maximum de sièges dans le parlement de transition, les formations politiques qui redoutaient le renforcement de l’opposition non armée dans la période de transition ont créé une myriade de minuscules partis politiques satellites. Pour le MRND, il s’agit de : MFBP, PD, PARERWA, PDI/1, PECO, PPJR, RTD. Pour le FPR, il s’agit de : UDPR, PSR, PDI/2. Le cas de la CDR, proche de l’aile dure du MRND est à mettre à part, compte tenu de l’autonomie réelle qu’il a développée ultérieurement. 

[20] Craignant que les militants à la base ne soient détournés par les partis politiques concurrents moins exigeants, les partis politiques n’ont pas instauré ni exigé à leurs adhérents de s’acquitter de la moindre cotisation. Il n’était pas rare de voir des militants échanger les bons publics d’essence aux stations. Cela accrédite la stratégie de la séquestration de l’Etat empruntée par les formations politiques.

[21] Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts du MDR, Kigali, février 1992. Programme politique du FPR, Muvumba, mai 1992. Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel du 15 août 1991. Manifeste et Programme du PSD, mai,1991.

[22] Se dénomme désormais Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement en remplacement de l’ancien parti unique du Mouvement révolutionnaire national pour le développement. Il ne change pas de sigle cependant.

[23] Se dénomme Front Patriotique Rwandais. Il s’agit de la mutation militaire du « Rwandese Alliance for National Unity).

[24] Mouvement Démocratique Républicain. Se veut la rénovation du MDR Parmehutu, Parti du mouvement de l’émancipation hutu, à la base de la Révolution sociale de 1959.

[25] Les préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo viennent en deuxième position. Les adhérents sont par contre marginaux dans Gitarama, Butare, Gikongoro et Kibuye.

[26] Alors qu’au début du processus démocratique, un bon nombre de tutsi avait adhéré au MRND et que l’on pouvait même les trouver au sein de l’appareil dirigeant du parti, celui-ci se verra vider de presque ses adhérents tutsi après le discours pyromane et raciste prononcé le 22 novembre 1992 lors d’un meeting politique à Kabaya Gisenyi par M. Léon Mugesera, un des pontes politiques du MRND. Jean Rumiya, tutsi, ancien membre du comité central claquera la porte après avoir accusé Mugesera d’appeler ouvertement au meurtre et de lancer l’épuration ethnique.

[27] Voir GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 192 et 217.

[28] Et ainsi, faire admettre aux yeux de l’opinion que le MRND reste le parti à la fibre patriotique qui défend seul la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale du pays.

[29] « Interahamwe » signifie : « Ceux qui partagent un dessein commun » ou « Ceux qui ont grandi ensemble ». Cette milice sans lien juridique mais proche du MRND, a été créé par deux anciens membres éminents du MRND Kigali : M. Désiré MURENZI et M. A. GASANA. Ces derniers disputaient le leadership préfectoral à une autre grande figure du MRND, M. Faustin Munyazesa. Les deux premiers sont ressortissants de la même commune Gikomero. M. Murenzi était le président des « Interahamwe ». Directeur général d’une importante société publique de lubrifiants « PETRORWANDA », il y a été ensuite évincé par « l’akazu » et a rejoint le FPR. M. Gasana, après avoir été ministre des affaires étrangères est aujourd’hui ambassadeur du gouvernement rwandais à Washington.

[30] C’est lors du congrès du parti tenu les 3-4 juillet 1993 que le courant réformateur obtint le départ du Chef de l’Etat au poste de président du parti. Ce dernier sera assumé par M. Mathieu Ngirumpatse. Il était le candidat du compromis entre les deux tendances.

[31] C’est le cas notamment du colonel Alexis Kanyarengwe, propulsé, sans base, à la tête du FPR. Mais aussi du fonctionnaire international Seth Sendashonga ou du banquier Pasteur Bizimungu. Les militants hutu au sein du FPR se comptent finalement sur les doigts d’une seule main !

[32] L’appellation pro-hutu pourrait aussi convenir.

[33] Géographiquement, appelé le « Plateau dorsal ».

[34] Quand M. Nsengiyaremye rentre d’exil fin novembre 1993, il s’évertuera, sans beaucoup de succès à colmater les brèches d’un parti qui était en train de prendre l’eau d’un peu partout. Il réussira néanmoins à empêcher la tenue d’un congrès extraordinaire qui allait consacrer la légalité de la tendance pro-MNRD et renouer le contact politique avec M. Twagiramungu. Lorsque la  guerre éclate le 6 avril 1994 et le génocide se déverse ensuite sur l’étendue du territoire national, ces deux événements empêcheront définitivement la mise en application des modalités de réforme du parti et de participation commune au gouvernement de transition que les deux leaders venaient de convenir. Voir liste des membres du gouvernement de transition à base élargie du 18 mars 1994 dans GUICHAOUA, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995, p.755.

[35] Le FPR ne puise en effet que dans l’électorat des réfugiés qui représentent un pourcentage très faible par rapport à la population totale. Et si l’on étend son électorat à l’ensemble la population tutsi de l’intérieur, il convient de souligner que cette dernière reste minoritaire en termes de poids démographique dans le sens où la population tutsi constituait seulement près de 10% de la population nationale. Il convient d’ajouter aussi que sur ce même terrain, il se trouve en position faible, car en compétition avec le PL.

[36] Le Parti démocrate chrétien a souvent joué l’ambivalence entre le pôle présidentiel et le pôle de l’opposition non armée. Le parti socialiste rwandais a aussi flirté un peu avec l’opposition non armée, beaucoup avec le FPR.

[37] Le PSD, le PL, mais aussi le courant Twagiramungu, selon la conjoncture, seront utilisés à cette fin par le MRND et le FPR.

[38] Les excellents rapports entre le Premier ministre Dismas Nsengiyaremye du MDR représentant le courant indépendant et le Ministre de la défense James Gasana du MRND, chef de file du courant rénovateur, faciliteront les rapprochements.

[39] Emmanuel Gapyisi, un autre membre éminent du courant indépendant au sein du MDR, essaiera de développer et d’appliquer la stratégie du « ni le MRND, ni le FPR » à travers le forum « Paix et Démocratie », lequel voulait amener à la mise en quarantaine des deux pôles militaires. Il sera assassiné le 18 mai 1993, probablement par le FPR. Cependant le MNRD ne fit rien non plus pour lever les soupçons qui pesaient sur lui dans cet assassinat politique. Voir aussi Gasana, J. op. cit., p.198.

[40] Le MRND a négocié avec le FPR, de manière exclusivement bilatérale et secrète, une loi d’amnistie générale couvrant les crimes politiques commis durant le long règne du Président Habyarimana. Celui-ci n’a jamais daigné évoquer cette question très sensible avec l’opposition interne. L’assassinat des politiciens du sud par le régime Habyarimana est resté comme un boulet politique indécrottable qui a empêché ensuite une quelconque sérénité des rapports entre le Président Habyarimana et son opposition interne.

[41] C’est paradoxalement la période où la stratégie pacifique du MDR est en train de gagner des points, notamment l’acquisition de la conclusion de l’Accord de paix, que le MDR perd le terrain.

[42] A côté des négociations officielles entre le Gouvernement rwandais et le FPR se déroulent des négociations secrètes parallèles entre le MRND et le FPR. Deux rwandais ont joué un rôle majeur dans ces contacts. Il s’agit du consul honoraire Charles Shamukiga et du banquier Pasteur Musabe.

[43] Ceci explique pourquoi, redoutant l’entrée en vigueur de l’Accord de paix, lequel aurait renforcé le processus démocratique et, partant, l’opposition interne, les mouvements politiques MRND et FPR ont créé beaucoup de partis lilliputiens pour s’assurer des soutiens et accroître leur capacité de contrôle du parlement de transition prévu par les accords de paix. Ces partis existaient parce qu’ils avaient été créés mais ne jouissaient d’aucun poids politique réel. Du fait même de leur existence, ils avaient droit à un siège au sein du futur parlement !

[44] Voir, Rapport de la Commission politico-administrative sur les troubles dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février 1993.

[45] A supposer qui plus est que le MRND et le FPR étaient parvenus à se mettre d’accord pour mettre en place le gouvernement de transition, ils l’auraient fait après s’être entendu d’anéantir le troisième pôle afin que ce dernier n’ait aucune possibilité d’influence future des les institutions. Chacun des deux pôles dominants veut s’assurer l’exclusivité politique.

[46] De son retour d’exil, M. D. Nsengiyaremye et F. Twagiramungu ont tenté de se rapprocher afin d’imposer à nouveau un pôle démocratique pacifique, de briser la bipolarisation et de sauver le processus de paix. Ils ont réussi entre autres d’empêcher la tenue d’un congrès du MDR qui aurait consacré la légalité du MDR « Power » et l’alliance avec le MRND. Trois semaines avant l’effondrement du processus de paix et le génocide, ils étaient parvenus à s’entendre sur la composition du gouvernement de transition dans lequel leurs deux tendances se retrouveraient. Bloqués par le MRND et le FPR, ils n’ont pas pu faire prévaloir l’application des accords de paix. Voir la composition du Gouvernement du 18 mars 1994. Il convient aussi de noter les initiatives d’indépendance par rapport au FPR développée par le PSD, en particulier  par son secrétaire exécutif, Félicien Gatabazi. Cette tentative d’émancipation lui sera fatale. Il mourra, en effet, assassiné, le 21 février 1994.

[47] Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda.

[48] Le document s’intitule : « Protocole d’entente entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition ». Il est daté du 7 avril 1992.

[49] Voir la Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 sur les partis politiques.

[50] En effet, injonction avait été faite aux préfets et aux bourgmestres de n’accorder ni autorisation ni lieux publics aux partis politiques désireux d’organiser leurs premiers congrès constitutifs. Les Eglises avaient aussi reçu des pressions du même genre. Bravant une prohibition non légale, le Centre IWACU ouvrira, dans la matinée du 1er juillet 1991, les portes au PSD et sera suivi par l’hôtel Mille Collines qui l’accordera au MDR. Quatre jours plus tard ce sera le tour du PL au Centre IWACU.

[51] Le PDC était, en ce moment, un minuscule parti satellite du MRND.

[52] Cette manifestation gigantesque et rare, qui regroupait entre 50'000 personnes (selon les forces de l’ordre) et 100'000 personnes (selon les organisateurs) a ébranlé, de par son nombre et de par sa discipline, le camp présidentiel.

[53] Les faits que le Président Habyarimana lui-même se soit rendu en 1988 en Uganda élever au rang de Général, Fred Rwigema, chef incontesté du FPR et qu’il ait élevé une année plus tard le Président ugandais Museveni à la distinction rwandaise la plus haute de «Grand Officier de l’Ordre des Mille Collines » en 1989, sont largement commentés.

[54] Voir notamment Déclaration des organisations rwandaises et internationales oeuvrant pour le développement au Rwanda du 11 mars 1992.

[55] Voir notamment les lettres du Premier ministre adressées au Président de la République les 22 octobre 1992 et 27 mars 1993.

[56] Voir les différents protocoles d’accord entre le Gouvernement et le FPR. De même une commission nationale d’évaluation des agents de l’Etat a été mise en place en juillet 1992. Elle s’est principalement penchée sur l’administration territoriale. Quant à la fonction publique, vu que souvent les hauts fonctionnaires adhéraient au parti de leur ministre, un consensus tacite semble s’être conclu entre les partis pour gérer la situation telle quelle. 

[57] Il convient d’ajouter bien entendu : le Président de la République qui est MRND, le Premier ministre qui est issu du MDR et le chef de cabinet à la Présidence de la République qui est membre du MRND.

[58] Il a été convenu que les attributions du ministère de la famille (MRND) ne devaient pas empiéter celles du ministère des affaires sociales (PL).

[59] Voir Guichaoua, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, p.750 sq.

[60] Avant cette date tous les ministres étaient issus du parti unique MRND.

[61] Le chef de cabinet a rang de ministre. Il s’agit de Monsieur Daniel Mbangura.

[62] Il s’agit du chef de cabinet à la Présidence, Monsieur Enoch RUHIGIRA :

[63] Il s’agit de M. Enoch Ruhigira.

[64] Toujours le chef du cabinet présidentiel.

[65] C’est parmi ces déplacés, appauvris et désespérés que le gros des recrutements des « Interahamwe » sera opéré.

[66] Il a été tué par « l’akazu » en avril 1994 lors du génocide.

[67] Journal Kanguka n°73, février 1993 : « A quand l’arrivée du FPR pour que les hutu prennent aussi l’exil de trente ans » ?

[68] Cela s’est effectué en connivence avec le PSD et le PL et Faustin Twagiramungu. Nous ne sommes pas à la première contradiction et aux alliances changeantes.

[69] Voir notamment l’accord de cessez-le-feu de Nselé (ex-Zaïre) du 29 mars 1991 et du 16 septembre du 16 septembre 1991 de Gbadolité (ex-Zaïre). Mais aussi les autres rencontres de très haut niveau à Gbadolité le 26 octobre 1990 et à Goma (ex-Zaïre) le 20 novembre 1990.

[70] Voir Gasana, James, Rwanda, du Parti-Etat à l’Etat-Garnison, p.128.

[71] Tiré tel quel de Gasana, James, op. cit., p.135.

[72] La mort du Président burundais Ndadaye entraîne un flux de 350'000 réfugiés burundais dont certains excitent la population hutu à s’en prendre aux tutsi. Des troubles éclatent au Bugesera et font cinq morts tutsi, des maisons sont incendiées et près de 400 personnes se réfugient à la paroisse de Ruhuha. Voir aussi le journal Le Soir du 6 décembre 1993, l’interview du Premier ministre Madame Agathe Uwilingiyimana.

[73] Article 21 du protocole d’accord entre le Gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du 30 octobre 1992.

[74] C’est le commandant de la gendarmerie de Rwamagana, le major Michel Havugiyaremye, qui en novembre 1993 a, le premier, rapporté notamment au Parquet général de Kigali des entraînements de miliciens effectués par la garde présidentielle en la personne du major L. Nkundiye, lequel venait d’être affecté dans la région du Mutara. L’essentiel des troupes « Interahamwe » est composé de jeunes déplacés de guerre, de réservistes et de déserteurs de l’armée.

[75] Selon Des Forges, Alison, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala, p.214, « Avant le début du mois d’avril, le FPR disposait d’environ 600 cellules dans tout le pays, dont 147 à Kigali. Chaque groupe rassemblant de six à douze membres, on comptait donc entre 3'600 et 7'200 personnes qui avaient déclaré ou ouvertement ou en privé leur soutien au FPR. La capitale abritait le plus grand nombre d’entre eux, c’est-à-dire entre 700 et 1'400 personnes ».

[76] Certes le courant Power du MDR représenté par M, F. Karamira et M. D. Murego a passé alliance avec le MRND, mais la revivification, timide il est vrai, du tandem Twagiramungu – Nsengiyaremye commence à être redouté du fait de l’indépendance qu’il allait pouvoir développer dans la suite.

[77] Dans leur déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise sur pied des institutions de transition définies dans l’Accord de paix d’Arusha, le collectif de la société civile représenté par les organisations de femmes « Pro-femmes Twese Hamwe », les Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et les ONG de développement « CCOAIB » demandent notamment à la Radio Muhabura du FPR et la Radio RTLM du camp présidentiel de cesser de propager des discours ethnisants. Le collectif condamne aussi la distribution des armes qui était en train de se dérouler.

[78] Journal Uganda Confidential du 28 février au 7 mars 1994 et le journal The People du 4-8 mars 1994.

[79] Propos tenus par M. P. Mazimhaka en date du 12 février 1994 devant les délégués de la société civile dont je faisais partie. Nous rendions visite au FPR dans le cadre de pression politique en vue de la mise en place des institutions de transition.

[80] Propos nous tenus par M. J. Nzirorera, secrétaire national du MRND, en date du 15 février 1994 dans le même cadre au moment de la rencontre avec les responsables du MRND.

[81] Journal Le Soir du 6 décembre 1993, op. cit.

[82] Agence de presse AFP du 4 avril 1994.

[83] Voir lettre des membres MRND du gouvernement au Premier ministre dans Gasana, James, op. cit. p.242.

[84] Beaucoup de gens croyaient, à tort, que le FPR pouvait créer ses propres zones de sécurité pour accueillir les fuyards. Rien n’y fit. On a assisté par contre à des liquidations massives de populations civiles sous son contrôle dont les plus spectaculaires sont celles qui ont eu lieu au stade de Byumba en mai 1994. L’on a aussi constaté que plusieurs personnes qui s’étaient réfugiées dans les enceintes de la MINUAR à Kigali étaient ensuite extraites et éliminées par le FPR. Des centaines de cadavres auraient été notamment découverts entassés dans le bâtiment appartenant au colonel Aloys Nsekalije sis au quartier commercial Remera III.

[85] Certains officiers, qui par ailleurs se sont illustrés ultérieurement dans le sauvetage de vies humaines, auraient pu coordonner leurs forces respectives et apporter un concours important à la MINUAR. Il s’agit à l’époque notamment des officiers supérieurs : Rusatira, Gatsinzi, Rwabalinda, Murasampongo, Habyarimana, Ndengeyinka, Nzapfakumunsi, Cyiza, Nsanzimfura, Kanamugire. Des officiers belges nous avaient également assurés qu’en cas de massacres et de reprise de la guerre, si la décision des Nations Unies était de retirer la MINUAR, ils allaient échanger le béret bleu (des Nations Unies) contre le béret rouge (belge).

[86] Surtout les radios RTLM et Muhabura.

[87] La radio RTLM fustigeait les gens qui de leur propre initiative fuyaient leurs habitations pour des zones plus sûres. A Kigali, les « Interahamwe » étaient en train d’instituer une carte de résistants pour les personnes qui y étaient restés malgré la guerre avec le FPR. En cas de victoire sur ce dernier, le retour des fuyards devait être sanctionné par une amende salée.

[88] Les « Interahamwe » font subir des traitements dégradants inimaginables à leurs victimes, avant de les achever. Des tortures, des viols, des enterrements alors que la victime vit toujours, des brûler à vif, l’utilisation des fosses communes, l’éventrement de femmes enceintes.

[89] Gasana, James et Nsengimana, Nkiko, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans le droit d’un courant démocratique au Rwanda, p.7.

[90] Nsengimana, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer, se souvenir sans tricher », Revue Dialogue, Bruxelles, avril-mai 1996.

[91] Association des droits de l’homme et des libertés publiques « ADL », Rapport sur les droits de l’homme au Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992, p.12.

[92] On se souvient de ce qu’en novembre 1992, M. L. Mugesera, leader du MRND à Gisenyi, après avoir prononcé un discours incendiaire contre l’opposition démocratique et contre l’ethnie tutsi, a été obligé de s’exiler parce qu’un mandat d’amener lui avait été établi. A la suite, un tutsi éminent et membre du MRND, M. J. Rumiya, dénonçant le comportement raciste de son collègue de parti, avait solennellement claqué la porte du MRND.

[93] Les partisans d’une position centrale et indépendante des deux blocs sont marginalisés et réduits au silence.

[94] Les familles de Emile Rwagasana ou de François Ndolimana ont été éliminées parce qu’on les savait proches de M. D. Nsengiyaremye. D’autres sont mortes, parce que proches de M. F. Twagiramungu. D’autres, parce que l’on avait entendu à la radio Muhabura la voix d’un parent proche.

[95] Vaiter, Marc, Je n’ai pas pu les sauver tous, Paris, Plon, 1995, p.99.

[96] On se rappelle le cas de l’allemand antinazi Friedrich Hielscher qui, par des mobiles fallacieux, réussit à entrer dans les rouages nazis, se rendit par deux fois en 1941 et en 1942 dans le ghetto de Lodz,  rencontra des membres du corps de police et les employés du camp de concentration et put savoir le sort qui était réservé à tous les juifs déportés. Il découvrit et témoigna plus tard que les juifs déportés étaient gazés !

[97] Article 3 du Protocole d’accord du 30 octobre 1992 sur le Partage du pouvoir.

[98] Article 3 de l’Accord de Paix du 4 août 1993.

[99] Gasana, James, op. cit., p.282.

[100] Le terme est emprunté à Bauer, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris, Autrement, 2002, 291p.

[101] Malheureux dans le sens où le terme « tropical » employé fait référence à quelque chose d’exotique, de pas froid du tout, mais plutôt ensoleillée et effleurée par un bel alizé.

[102] Il s’agit d’un lignage du clan des «bega » exterminé au début du règne de Rwabugiri vers l’année 1869.  

[103] Ce coup d’Etat qui eut lieu en 1896 fut marqué par le massacre du roi Rutalindwa lui-même et beaucoup de membres de son lignage du clan des « nyiginya ». Voir aussi Vansina, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001, p 210 sq.

[104] C’est le plan d’extermination des polonais présenté à Hitler en 1941 par M. Meyer-Hetling a présenté en 1941.

[105] Les événements tragiques de Kibilira en 1990, Bugesera en mars 1992, Ruhengeri-Gisenyi en janvier 1993, Kigali en février 1994 sont là pour l’attester.

[106] Compte tenu de la situation institutionnelle brouillée, de l’expérience de tueries et du climat de psychose prévalant avant le 6 avril 1994, la personne qui a descendu l’avion présidentiel avait sans doute le dessein de provoquer le vide de pouvoir et ne pouvait pas ne pas savoir qu’il facilitait en même temps les massacres de populations innocentes.

[107] A moins bien sûr, que ce soit « l’akazu » elle-même qui aurait décidé de l’élimination de son fédérateur, hypothèse de jour en jour fragile et invraisemblable.

[108] Terme emprunté à Bauer, Y., op. cit., pp51-79.

[109] Il s’agit, ainsi que je l’ai présenté plus haut : du Premier ministre, Mme A. Uwilingiyimana, des ministres F. Nzamurambaho, F. Rucogoza, L. Ndasingwa, B. Ngulinzira, des chefs de partis comme F. Ngango, T. Gafaranga, du président de la Cour constitutionnelle J. Kavaruganda, du directeur de cabinet ministériel D. Havugimana.

[110] Niwese, Maurice, Le peuple rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris, L’Harmattan, p.55.

[111] Sur les liens, entre la gestion des ressources naturelles et les conflits, voir Gasana, James, « Remember Rwanda ? », World Watch, vol.15, n°5, Washington DC, septembre/octobre 2002, pp.24-33.

[112] Le terme est emprunté dans une analyse de Lemarchand, René, Les génocides se suivent et ne se ressemblent pas : l’holocauste et le Rwanda.

[113] A ce propos, lire le titre 6 en haut dans le texte. 

[114] Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala, p.187.

[115] Société civile, c/o Centre Iwacu, Déclaration de la société civile au Rwanda dans sa réunion du 31 mars 1994.

[116] Le chef d’état major des FAR avait confirmé l’information au commandant du secteur Kigali de la MINUAR. Dans les chancelleries que je visitais, le projet d’une guerre éclair de 72 heures dont le prix maximum serait de 20'000 morts avait été diffusé par le FPR. Dans le journal Ugandais « The People » cité plus haut, le général Kagame disait qu’il pouvait prendre le pouvoir à tout moment.

[117] Voir Des Forges, Alison, op. cit., p.713.

[118] Est-ce que les troupes étrangères n’intervinrent pas parce que le 10 avril 1994 le FPR le leur avait empêché ? Ou était-ce délibéré ? Il est vrai en effet qu’en date du 10 avril, le FPR avait enjoint aux troupes belges et françaises de se retirer dans les soixante-douze heures, au quel cas, elles seraient traitées comme des troupes hostiles. Voir aussi, Des Forges, Alison, op. cit. p.713.

[119] « Le FPR continua jusqu’à la fin du mois de mai à exiger que la force de maintien de la paix se limite strictement à des tâches d’assistance humanitaire, plutôt qu’elle entreprenne des efforts plus actifs pour protéger les tutsi ». Des Forges, Alison, op. cit., p.816.

[120] Castonguay, Jacques, Les Casques bleus au Rwanda, Paris, L’Harmattan, p.163. Pour de plus amples informations sur la négociations de cessez-le-feu, consulter les pp. 162-173.

[121] Des Forges, Alison, op. cit., p.814.

[122] J’ai moi-même essayé d’attirer l’attention à l’opposition sur les conséquences graves qui pouvaient survenir de sa participation au gouvernement en tant de guerre, de la persuader à mettre à profit cette période pour la construction de projets de société de sortie de guerre. J'ai aussi cherché à la convaincre de laisser le pouvoir en place et la rébellion gérer une guerre dont ils connaissaient seuls les dimensions ainsi que les tenants et les aboutissants. Ce fut en vain.