Interview du journaliste Phocas Fashaho de la Voix de l’Amérique avec Abdul Ruzibiza ancien officier de l’Armée du FPR, Dimanche le 2 mai 2004.

(traduit du kinyarwanda par E. Shimamungu)

 

Phocas Fashaho : Aujourd’hui nous allons voir que les milices Interahamwe et les Impuzamugambi qui ont perpétré des massacres pendant le génocide, n’étaient pas composés que de Hutu, ensuite nous allons dégager des conclusions sur les leçons que les Rwandais devraient tirer du génocide…

 

Phocas Fashaho : Comme je le disais tout à l’heure, les Interahamwe et les Impuzamugambi responsables des massacres pendant le génocide au Rwanda n’étaient pas uniquement composés de Hutu, c’est ce que nous dit Abdul Ruzibiza ancien militaire du FPR jusqu’en l’an 2001.

 

Abdul Ruzibiza : Nous avions constitué un groupe de « Techniciens » comme je vous l’ai dit, regroupés dans une unité dénommée « Network ». Le mot « Network » était entendu dans une large acception, il pouvait désigner les « techniciens », les « commandos », les « CDR » ou les « Interahamwe ». Nous utilisions tous ces termes. Je vais commencer par vous donner l’exemple de certaines personnes connues : Gahagati Kamugisha, c’était lui le commandant, il était Capitaine. Il logeait chez Mr Karemera qui est devenu député à Kicukiro. C’était lui le coordinateur de toutes les opérations au sein des Interahamwe et des Impuzamagambi. En voilà donc le premier. Celui-là, a été assassiné par le FPR, … l’APR, c’est-à-dire Kagame, au Bugesera ; son escorte a été informée qu’il s’est suicidé, aujourd’hui son escorte est traumatisée.

 

Phocas Fashaho : Ils ont bien dit qu’il s’était suicidé ?

 

Abdul Ruzibiza : ils ont affirmé qu’il s’était suicidé, qu’il s’était tiré une balle dans la tête par erreur à cause des problèmes familiaux parce que sa femme avait des relations extra-conjugales avec d’autres soldats… de faux prétextes sans fondement, mais il a été assassiné. Ça c’est la première chose.

L’autre c’est Mr Kiyago Ntukayajemo Godefroid. Il est en prison à Mulindi, c’est quelqu’un qui a travaillé au sein des Interahamwe pendant des années… pendant tout le temps qu’il a passé dans la ville de Kigali.

L’autre c’est Mr Mahoro. Il est Sous-Lieutenant.

Les autres sont Mr John Gasana, Alex Nkuranga qui fait maintenant partie du bataillon 99, Kiriri autrement connu sous le nom de Edriac Kirenga, il est aujourd’hui Capitaine au DMI, l’autre c’est Jean-Baptiste Mugwaneza, il est Lieutenant au 3ème bataillon ; l’autre c’est Mugisha Nterahamwe, il fait partie du bataillon 73, il y a ensuite Antoni Mulindahabi, Sous Lieutenant, il est aux arrêts, Alphonse Duniya, il est mort, ensuite il y a Jean Bosco Ndayisaba de Masaka, Charles Ngomanziza, … c’est lui qui a tué Gapyisi ; Callixte c’est un mugogwe du Rutchuru ; vous avez ensuite Rukwago ; vous avez ensuite le lieutenant Karegeya, un hutu qui vivait au Shagi ( ?) ; ensuite Claude Gashagaza de Kabuga, ensuite Jean-Pierre Gatashya, capitaine aujourd’hui invalide de guerre. Est-ce vraiment des choses à dire ? Ce sont des gens qui étaient sur les barrières avec les milices Interahamwe, avec les Abakombozi, partout. On ne peut pas énumérer toute la liste, je peux en citer jusqu’à 200.

 

Phocas Fashaho : Parmi ceux-là il y avait des Tutsi, c’était pas seulement des Hutu ?

 

Abdul Ruzibiza : Il n’y avait pas de Hutu…, celui qu’on croyait qu’il était Hutu, c’est Kiyago, certains disaient que c’était un Hutu du Burundi réfugié en Ouganda.

 

 

Phocas Fashaho : Tous les autres sont des Tutsi.

Abdul Ruzibiza : Ce sont des Tutsi qui ont été utilisés pour tuer d’autres Tutsis. Certains étaient des pompistes, d’autres étaient des boys (garçons de ménage), d’autres étaient des enfants de rue, les autres étaient des motards… les autres faisaient partie purement et simplement des Interahamwe dans toutes les attaques qu’ils ont eu à diligenter. Il y a des personnes qui ont été des soldats et ceux qui le sont toujours, vivant à Kigali, comme Rugagi Eliyasi, il a quitté l’armée, Mulindahabi, et certains autres, ce sont des gens qui sont toujours vivants aujourd’hui. Nous avons travaillé ensemble au sein des Interahamwe. C’est vrai. Ce sont des choses qui doivent être connues par des Rwandais, des choses qui doivent être écrites, expliquées, pour que demain, même l’ONU, les Français, ou les Belges qui disent avoir honte de leur comportement de ne pas avoir porté secours Rwanda… Ils ne devraient pas avoir de remords. Les Rwandais qui ont été massacrés, l’ont été par leurs propres compatriotes, le génocide est un acte criminel. Pour avoir le courage de massacrer autant de gens, il faut être un criminel ; ce crime nécessite une préparation psychologique, une formation, un entraînement, l’exemple a été donné par un Tutsi, ce n’est pas pour dire que les Tutsi sont mauvais. Les Tutsi étaient au nombre de 23.000 au sein de l’APR, ceux qui ont été tués étaient des innocents. Tous ceux-là ont été sacrifiés, Kagame le voyait, il le voulait parce qu’il disait qu’au Rwanda il n’existait pas de Tutsi, que ceux qui sont restés là par cupidité pour travailler avec le régime Habyarimana, étaient des Tutsi uniquement par leur physionomie (la forme du nez), tandis que dans le fonds ils étaient des Hutu. A la fin de la guerre, même un enfant rescapé était reproché d’avoir survécu alors que les autres avaient été exterminés. Ce sont les vraies raisons de l’extermination des Tutsi, les gens doivent le savoir et le comprendre. Nous avons été victimes pour plusieurs raisons, mais l’extermination a été exécutée par l’ethnie Hutu qui se trouve aujourd’hui sur le ban des accusés. Néanmoins, en ce qui concerne Kagame, ses propres soldats ont opéré sur les barrières des Interahamwe, ce sont eux qui ont massacré les Bagogwe, même après la fin de la guerre, les Inkotanyi ont massacrés les réfugiés Bagogwe à la machette, même les plus jeunes et les bébés, pour se faire des raisons d’attaquer le Zaïre ! C’est ainsi que cela s’est passé également à Byura pour les Banyamurenge… Pour Kagame, un Tutsi qui ne provient pas d’Ouganda, est seulement Tutsi par sa phsionomie (son nez). Tout cela je le dis avec fureur, parce que cela fait mal, mais il est nécessaire que les gens le sachent et le comprennent, ça fait de la peine.

 

Phocas Fashaho : Il est temps de conclure, est-ce que les Rwandais peuvent réellement se réconcilier après le génocide de 1994 qui a monté les uns contre les autres. Ce n’est pas facile mais c’est possible, et c’est ce que nous dit M. Abdul Ruzibiza :

 

Abdul Ruzibiza : Pour vivre ensemble, il faut le vouloir, ça c’est la première chose. Ensuite pour vouloir vivre ensemble, il faut être sur la même longueur d’ondes pour se comprendre. En effet comme dit le proverbe « les idées de même nature s’attirent ». Les gens qui pensent la même chose peuvent se retrouver sur plusieurs sujets, ils se comprennent, ils deviennent amis. On ne peut choisir par-ci un Hutu, par-là un Tutsi et les obliger à partager de la bière de sorgho dans une même cruche, à rigoler ou à s’amuser ensemble pour en faire des amis. Cela est impossible, et c’est ce que fait le gouvernement actuellement.

 

Deuxièmement, l’unité serait possible s’il y avait une justice. Actuellement une ethnie est frustrée pour être accusée d’avoir perpétré le génocide, tandis que l’autre ethnie est prise pour victime. Cette deuxième ethnie a été victime, mais ses militaires ne sont pas innocents. Ces soldats ont fait l’exception et devraient être poursuivis comme Kabirigi et les autres Interahamwe. Ils ont commis des crimes plus lourds que les Interahamwe parce qu’ils l’ont fait avec une grande technicité, une grande cruauté en sacrifiant leurs congénères, tout ce monde là doit être arrêté et mis sous les verrous. Quant à tous ceux qui restent, je leur donnerai une leçon : tous ceux qui ont tué, ceux qui ont massacré les gens, c’était la responsabilité de ce côté-ci ou de ce côté-là, en vue de garder le pouvoir ou de le prendre pour se l’approprier. En effet, le FPR avait planifié de massacrer des Hutu pour en diminuer le nombre et trouver de la place pour les Tutsi de l’extérieur, prétendant que Habyarimana aurait dit que : « lorsqu’un verre est plein, pour ajouter un peu plus d’eau il faut en verser ». Ainsi donc il fallait en faire sortir ou les massacrer pour pouvoir entrer. Tout cela a fait comprendre aux gens… d’où venait cette cruauté. Je pense que les paysans, les gens de basse condition, les éleveurs et les agriculteurs pourraient vivre ensemble s’ils savaient que tout cela s’est fait sur leur dos pour les intérêts du pouvoir. Moi je ne suis pas un gouvernant, mais je pourrai trouver le remède par-là. J’exhorterais les gens à faire cause commune pour bien vivre ensemble, je ferai en sorte que la justice soit opérationnelle que les justiciables soient rétablis dans leurs droits, que les sinistrés soient indemnisés, les blessés soient soignés. Mais pour le gouvernement actuel, ce n’est pas comme ça. Il ne peut rien faire même pour ses propres invalides de guerre. Ils n’ont pas de quoi les occuper et le moment venu ils sont démobilisés et renvoyés chez eux parce qu’ils en ont marre et qu’ils ne peuvent pas continuer à les payer. Et c’est maintenant même qu’on s’étonne d’où viennent toutes ces informations. Kagame lui-même peut-il s’étonner, la façon dont il a trahi les Tutsi, n’est-ce pas une raison pour délivrer tous ces secrets. Qui dit que tout ce que je dis là, je suis le seul à pouvoir le dire ? L’on dit que je me comporte comme un Interahamwe, un Tutsi bête qui donne les secrets de ses congénères. Croit-il que je suis le seul à avoir pris le chemin de l’exil parmi tous les Tutsi qu’il a trahis ? Combien d’officiers supérieurs ont-ils quitté le pays ? Combien de Ministres tutsi sont partis, Sebarenzi, Kajeguhakwa ne sont-ils pas des Tutsi ? Lorsque Habyarimana est mort, Kajeguhakwa ne se trouvait-il pas au CND ? N’a-t-il pas vu les véhicules qui sont partis pour exécuter cet attentat ? Voyons tous les autres qui se trouvaient au CND… lorsque Lizinde est parti, ne le savait-il pas ? N’est-il pas parmi ceux qui ont participé au complot dans une réunion pour assassiner Habyarimana ? Pasteur n’était-il pas là ? Tout ce monde là, est-ce que Kagame les a ménagés ? Pourquoi doit-il se poser des questions sur les raisons pour lesquelles je donne toutes ces informations ?  C’est celle-là la raison pour laquelle je dis tout cela. Il se trompe ! Tout ces gens là en qui il a mis sa confiance, peuvent être les mêmes personnes qui le trahissent, peut-être que cela passe aussi par moi, mais il y a beaucoup de personnes qui l’accusent. Pouvoir vivre avec les Rwandais en ce qui me concerne, dépend de tout ce que je suis en train de faire, de la justice, si elle est établie, si ceux qui se prennent pour des anges aujourd’hui soient dénoncés et reconnus publiquement comme de véritables démons ; c’est seulement après cela que les Rwandais pourront vivre ensemble.

 

Phocas Fashaho : C’est ainsi, le génocide qui a emporté plus de 800.000 personnes c’est l’innommable qui ne devrait plus avoir lieu dans l’histoire du Rwanda. Pour que cette catastrophe n’ait plus lieu il faut que les raisons qui l’ont rendu possible soient dévoilées, pour que personne ne s’y laisse prendre. Il apparaît ainsi que les Rwandais ont été exterminés par la soif du pouvoir de leurs politiciens. Les Hutu qui avaient le pouvoir ne voulaient pas le partager, les Tutsi du FPR voulaient également ce pouvoir et ne voulaient pas le partager avec les Hutu. Toutes les questions qui se posent autour de ce problème pourraient trouver des réponses dans cette soif du pouvoir des politiciens. C’est pourquoi pour protéger le Rwanda d’une autre catastrophe comme celle de 1994, devrait éradiquer ce comportement de vouloir s’accaparer le pouvoir et en interdire les autres, il faudrait également éradiquer la culture de l’impunité. L’adage selon lequel « chaque pouvoir doit avoir ses victimes » doit sortir de la tête de tous les Rwandais, toute vie d’un citoyen rwandais doit être respectée, protégée comme pour tout être humain. Si ce n’est pas cela, Dieu lui-même sera le seul juge.