LES COMMÉMORATIONS DU GÉNOCIDE AU RWANDA
Claudine
Vidal
La guerre civile, qui commença au Rwanda en octobre 1990,
demeura quasiment ignorée jusqu’au génocide d’une partie de la population,
perpétré d’avril à juin 1994[1]. La victoire, en
juillet 1994, du Front Patriotique Rwandais (FPR) mit fin au génocide et à la
guerre[2]. Début 1994, le pays
comptait sept millions et demi d’habitants, le nombre des victimes du génocide
et de la guerre a été estimé à un million et celui des réfugiés dans les pays
limitrophes à deux millions. C’est chiffrer l’ampleur du désastre, ce n’est pas
dire les deuils accablants, les haines,
les angoisses qui ont investi la société rwandaise. Comment les vainqueurs
allaient-ils reconstruire un pays et une société aussi profondément traumatisés,
dévastés ? Quel serait le contexte idéologique de l’après-guerre et de
l’après génocide ? Et surtout, comment le nouveau régime allait-il
s’attaquer à l’état d’esprit ethniste, cet alliage pernicieux de pratiques
politiques d’exclusion, de peurs, de passions identitaires forgées dans une histoire-ressentiment et
dans la mémoire des massacres, cette appartenance existentielle à une ethnie
fondée sur une vision haineuse de l’autre ethnie ? Un état d’esprit que
des politiciens exacerbèrent jusqu’au pire : l’adhésion à la destruction
totale de l’autre ethnie.
L’état d’esprit
ethniste
A la fin des années cinquante, avec
l’assentiment de la Belgique, le régime monarchique rwandais, dont la dynastie
régnante était d’origine tutsie, fut renversé par un groupe de politiciens
hutus. L’administration coloniale avait pourtant longtemps privilégié les
milieux dynastiques et réservé les plus hauts postes à des élites tutsies.
L’État républicain post-colonial se donna pour légitimité d’avoir vaincu la
“ féodalité tutsie ” et opéré une “ révolution
sociale ” , il devint en réalité un État ethniste dont les pratiques
d’oppression à l’égard des Rwandais tutsis expliquent l’exil massif de ces
derniers[3]. De fait, les régimes présidentiels
successifs ont systématiquement nourri une idéologie stigmatisant la minorité
tutsie. Leurs politiciens donnèrent libre cours à des discours dont les plus
modérés faisaient des Tutsis les oppresseurs immémoriaux de la majorité hutue,
tandis que d’autres, ouvertement racistes, incitaient à la haine d’une ethnie
“ naturellement ” perverse.
Durant plusieurs décennies, le
nationalisme racial hutu fut concrétisé
par des pogroms très meurtriers, par la quasi-exclusion des Tutsis de
l’armée et des hautes fonctions étatiques, par l’imposition d’un système de
quotas limitant leur accès aux études, aux postes salariés dans le secteur
public. Cependant, les passions identitaires, loin d’être généralisées,
n’étaient le fait que de certains milieux occidentalisés et touchaient plus les
régions du nord que les régions du sud. La guerre de 1990 les déchaîna.
L’ethnisme extrême devint alors une idéologie ralliant ses partisans dans les
couches privilégiées de la société : des dirigeants politiques, des
autorités administratives et militaires, des notables, des intellectuels. Les
organisateurs du génocide trouvèrent parmi eux des complices qui excitèrent les
populations au massacre.
On sait qu’à l’encontre des mythologies
inventant un passé précolonial dominé par le conflit ethnique, l’historiographie
en longue durée des relations entre Tutsis et Hutus a établi que ces relations
ont eu des formes et des contenus variables dans le temps et dans l’espace,
sans que pour autant aient jamais existé des entités ethniques territoriales et
politiques. On sait également que la conversion idéologique des ensembles
ethniques en communautés politiques antagonistes est un phénomène moderne,
contemporain de l’État post-colonial, non moins que les attitudes racistes qui
gagnèrent une partie de la société rwandaise[4]. Mais les atrocités de la décennie 90
ont radicalisé jusqu’à l’impensable la partition entre Hutus et Tutsis. Comment
les nouvelles autorités agiraient-elles pour que cette partition connaisse une
autre issue que celle d’une lutte à mort, menée par des politiciens ne voulant
plus connaître que l’argument des massacres ?
En 1990, le FPR s’affirmait porteur d’un projet démocratique
qui abolirait toute discrimination fondée sur le critère ethnique. C’était,
avec l’arrivée au pouvoir en juillet 1994, s’engager à éradiquer les pratiques
d’exclusion liées à ce critère, et à plus long terme, c’était entreprendre de
saper les fondations idéologiques de l’état d’esprit ethniste. Six ans après la
victoire, qu’en est-il de ce projet ?
En
1994, pour la première fois depuis l’indépendance du Rwanda, le gouvernement de
transition, l’Assemblée nationale, les ministères, les principales institutions
du pays rassemblèrent des personnalités d’origine hutue et tutsie[5]. Une mesure capitale fut prise
immédiatement : l’abolition des mentions ethniques sur les cartes
d’identité. Cette mesure en finissait avec une pratique instaurée par la
colonisation, pratique que les gouvernants hutus n’avaient jamais voulu
remettre en question. Durant les années 1990-1994, la mention tutsi avait
signifié arrestations, mauvais traitements, mise à mort. Cependant la
suppression administrative de l’identité ethnique ne pouvait avoir que des
effets limités si elle n’était pas associée à d’autres initiatives démontrant
que le pouvoir avait réellement l’intention de briser les grandes et les
petites habitudes politiques engendrées
par l’état d’esprit ethniste.
Il y eut répression judiciaire des
comportements ethnistes mais cette répression demeura sélective, elle ne
frappa que lorsque des Tutsis en avaient été les victimes. Quand il s’agissait
de Hutus, il en alla tout autrement : n’a jamais cessé de peser sur eux la
menace bien réelle d’être spoliés, arrêtés, assassinés, sans que les
responsables de ces exactions ou de ces meurtres soient effectivement
poursuivis et châtiés.
Massacres massifs de civils désarmés,
meurtres et disparitions de personnalités hutues, membres de l’appareil
administratif, judiciaire et militaire, journalistes, commerçants, arrestations
arbitraires, extorsions de biens et de fonds : le gouvernement de
transition n’aurait-il pas eu la
capacité de réprimer ces violences ou
bien les vainqueurs de juillet 1994 auraient-ils confisqué le pouvoir au prix
d’une politique de terreur[6] ? Il est vrai que le contexte de
l’après-guerre — impossibilité matérielle de reconstruire rapidement un
appareil judiciaire anéanti laissant libre cours au désir de vengeance, retour,
par dizaine de milliers, d’anciens exilés tutsis accaparant de force les
situations et les biens détenus par des Hutus, guérilla meurtrière menée par
des revanchards hutus qui continuaient à proclamer leurs intentions
génocidaires, misère profonde de la paysannerie soit la majorité de la
population — opposait des obstacles redoutables à la construction d’un État de
droit démocratique.
De 1990 à 1994, tandis que la presse et
les discours multipliaient violences verbales, insultes obscènes, menaces de
mort, les assassinats politiques, les attentats terroristes et les pogroms
démontrèrent concrètement la brutalisation croissante du conflit politique. Un
paroxysme de violence fut atteint durant le génocide par les cruautés
perpétrées dont il est essentiel de savoir qu’elles eurent un caractère public : la traque et le
carnage s’étaient déroulés au vu de tous. Dans ce pays parsemé de cadavres,
déserté jusque fin 1996 par le tiers de ses habitants, où les seuls garants de
l’ordre étaient des militaires en armes, comment restaurer le respect de la vie
humaine, empêcher que ne s’exerce le droit des plus forts aux dépens des plus
faibles, en l’occurrence aux dépens de la population hutue ?
A partir de juillet 1994, le nouveau
pouvoir, finalement, que ce fut par impuissance, que ce fut par acceptation
délibérée, n’empêcha pas que, sous de multiples formes, les persécutions
ethnistes continuent à être pratique courante. Les gouvernants ont-ils condamné
ces dérives, ont-ils rejeté les discours qui, stigmatisant globalement la
“ mauvaise ethnie ”, justifiaient les exactions commises contre des
individus ? Le “ programme de réconciliation ”, rendu public en
janvier 1995, supposait la détermination des autorités à mener un débat aussi
largement ouvert que possible sur les ressorts de l’idéologie ethniste. Il y
eut des conférences nationales et internationales sur le génocide, des
publications, émanant de personnalités rwandaises, qui déconstruisaient une
histoire nationale jusque-là conçue en termes de guerre des races. Cependant,
seule la minorité des milieux intellectuels restait concernée. Quel
“ travail de désethnicisation ” des rapports sociaux fut-il entrepris
en direction de la majorité pour que tous fassent cause commune contre les
politiques de la haine ethnique et les crimes immenses commis au Rwanda ?
Les commémorations annuelles du génocide constituèrent des moments essentiels
pour l’expression publique de ce travail : les manifestations et les
discours qui eurent lieu à leur occasion révélèrent progressivement sur quelle
politique de la mémoire et sur quelle histoire officielle du génocide le
pouvoir entendait refonder les rapports entre ethnies.
Première commémoration : deuil
national, responsabilités internationales
De Butare, une ville située au sud du
Rwanda, un prêtre, rescapé du génocide, écrivait en décembre 1994 à ses amis
européens : “ Pour un ancien Butaréen, presque tous les visages rencontrés
dans les rues sont inconnus.[7] ” Ce bref témoignage suggère, dans
sa simplicité, la désolation et la solitude des survivants[8]. Il en restait peu à Butare où le
massacre fut terrible. Mais les Rwandais tutsis de la diaspora, revenus
massivement, s’étaient rapidement installés si bien que dans les rues
familières les rescapés se sentaient étrangers. Ce qui était vrai de Butare, l’était
aussi des autres villes et des communes rurales. Isolés, privés de la plus
grande partie de leurs parents disparus dans le massacre, leurs habitations le
plus souvent détruites, très peu aidés et écoutés, très peu représentés dans
les milieux gouvernementaux, les survivants figurèrent dans les cérémonies
commémoratives mais ils n’en furent pas les concepteurs.
La
première commémoration fit coexister des significations hétérogènes :
deuil, impératif de justice, exigence de vérité, mise en accusation de la
communauté internationale. Le 7 avril 1995, la cérémonie, qui se déroula au
sommet de Rebero, une colline dominant la capitale, fut consacrée à
l’inhumation de 6 000 victimes anonymes ainsi qu’à celle du premier
ministre, Agathe Uwilingiyimana et d’autres personnalités hutues, tuées dès les
premières heures du génocide. Un prêtre catholique, un pasteur protestant, un
révérend adventiste, un imam bénirent ensemble les corps. Le président de la
République, d’origine hutue, et le vice-président, d’origine tutsie,
accompagnèrent la mise en terre des cercueils d’Agathe Uwilingiyimana et d’un
mort inconnu, symbolisant les Rwandais tutsis massacrés.
En même temps que se déroulait cette
liturgie, quelques participants montraient des pancartes stigmatisant
l’attitude de la communauté internationale. On pouvait lire : “ La
communauté internationale n’a rien fait pour stopper le génocide. Maintenant,
elle ne fait rien pour stopper les criminels. ” D’autres inscriptions
rappelaient à la communauté internationale son devoir de justice :
“ Punishing the genocide is an international legal obligation ”,
ou : “ Nous n’avons pas besoin de séminaire mais plutôt de
justice ”, ou encore : “ La communauté internationale a ignoré
le génocide et maintenant elle protège les tueurs. ” Le T-shirt
officiel, distribué pour la cérémonie, portait l’inscription :
“ Enterrons nos morts et non la vérité ”, une banderole redoublait le
message : “ N’oubliez jamais les victimes du génocide. Nous avons
besoin d’enterrer les morts, pas la vérité. ”
Les États occidentaux n’avaient délégué
aucun représentant, ministre, chef de gouvernement ou chef d’État, dont
l’importance aurait signifié leur intérêt pour la tragédie rwandaise. N’étaient
présents que les diplomates en poste à Kigali. Contrastait avec cette politique
générale de l’absence l’intervention d’une presse internationale qui, loin de se montrer indifférente, avait
envoyé de nombreux journalistes, tandis qu’avec le soutien de Reporters sans
frontières et World Media network, le fac-similé d’un numéro spécial de Kinyamateka, un journal rwandais, fut
traduit en 15 langues et publié par 40 journaux du monde entier[9].
Que signifiait, rapportée au contexte
rwandais, cette commémoration ? Et
tout d’abord, quelle résonance pouvaient avoir, dans le pays, les symboles de
deuil collectif qui s’adressaient à la souffrance des survivants ?
La décision d’associer, dans un même
geste commémoratif, les Tutsis mis à mort en raison de leur appartenance
ethnique, et des Hutus, opposants au régime Habyarimana, assassinés parce
qu’ils auraient peut-être eu assez d’influence pour faire cesser les tueries,
avait une haute valeur symbolique. C’était reconnaître que des Hutus avaient
été, eux aussi, la cible des organisateurs du génocide. Une telle
reconnaissance n’allait pas de soi : elle avait suscité d’âpres débats au
Conseil u Gouvernement. Le gouvernement, en l’ayant néanmoins imposée, refusait
officiellement de criminaliser globalement les Hutus, acceptait que le statut
de victime du génocide ne soit pas reconnu aux seuls Tutsis, n’érigeait pas un
monopole de la douleur.
Cette attitude publique signifiait-elle
que les vainqueurs de la guerre civile étaient réellement déterminés à
construire des relations entre les ethnies qui soient non plus des relations
d’anéantissement mais des relations politiques ? Si, au plus haut niveau,
certaines autorités avaient la conviction que l’établissement d’une paix
durable entre les ethnies devrait être l’objectif politique primordial du
pouvoir, cette conviction n’était pas perçue dans le reste du pays, ou alors
elle paraissait si peu vraisemblable que les populations hutues restées au
Rwanda redoutaient de devenir les victimes d’un nouveau génocide. La veille du
7 avril 1995, les observateurs constatèrent en effet que tous les milieux
hutus, des paysans aux intellectuels, étaient pris de panique : des
rumeurs avaient circulé qui annonçaient des représailles meurtrières massives.
Interrogé par une journaliste belge sur ce phénomène de panique, Paul Kagame,
vice-président du Rwanda et ministre de la Défense, considéré comme
“ l’homme fort ” du pays, avait répondu : “ Il y a
plusieurs manières d’analyser ce phénomène. La première explication, c’est que
cette peur peut être justifiée. Beaucoup de gens savent qu’ils ont commis ou
laissé commettre des crimes, et ils ont peur d’être tenus pour responsables. La
deuxième explication, c’est une longue histoire d’intoxication : on a
toujours dit à la population que les Tutsis étaient dangereux, qu’ils voulaient
le pouvoir.[10]” Par ailleurs, les Tutsis, rescapés du
génocide et anciens réfugiés revenus au Rwanda, craignaient qu’une attaque de
l’ancienne armée, basée dans les camps proches du Rwanda, fasse resurgir la
guerre civile. En fait, de chaque côté, quelques mois après la fin des combats
et la fuite des auteurs du génocide, dominait non pas un sentiment diffus d’insécurité
mais la peur bien précise d’être la cible de groupes militaires.
La première commémoration nationale avait
été précédée par des cérémonies locales d’inhumation, encadrées par des
responsables religieux ou par des autorités administratives. Ces cérémonies
révélèrent les divergences entre l’Église catholique et le pouvoir sur le sens
à donner aux formes collectives du
travail de deuil et du travail de mémoire qui devaient être entrepris. En
dehors du FPR et de son armée victorieuse, l’Église était, à la fin de la
guerre, la seule institution demeurant encore organisée. Une Église
décimée — des prêtres tutsis, très peu avaient survécu, de nombreux
prêtres hutus avaient choisi l’exil —, une Église accusée de collusion avec les
auteurs du génocide — et dont de nombreux édifices avaient été un piège mortel
pour les Tutsis qui avaient tenté de s’y abriter —, mais une Église qui
conservait encore ses réseaux, son influence, ses bâtiments.
Les formes d’inhumation furent liées aux
circonstances des massacres. Il y eut des tueries massives lorsque les victimes
avaient été regroupées dans certains lieux, églises, bâtiments administratifs,
paroisses, écoles. Selon les cas, les cadavres furent enterrés, ou encore le
lieu du massacre resta tel quel. Les bourreaux procédèrent aussi, en ville et
sur les collines, à des exécutions dispersées. Souvent, dans les habitations
des victimes, les corps étaient laissés sur place ou jetés dans les fosses
septiques. Des petits groupes en fuite furent tués au bord des routes, dans les
champs, ils étaient parfois sommairement enterrés.
Tout d’abord, ce furent des prêtres qui,
peu après la fin de la guerre, prirent l’initiative d’inhumer religieusement et
collectivement les corps dispersés sur les collines. L’accomplissement de ces
cérémonies a été parfois explicitement lié au travail de deuil et de mémoire.
Ainsi, dans le diocèse de Butare, la commission pour la relance des activités
pastorales recommandait-elle de : “ dresser, dans chaque communauté [n.d.a. : il s’agit des communautés
chrétiennes, non des communautés ethniques], une “liste de nos morts” [les
guillemets sont dans le texte] pour lesquels chaque communauté peut prévoir un
“monument” et une date spéciale de commémoration, pour marquer le lien avec nos
morts et la communion des Saints.[11] ” Dans l’esprit des rédacteurs de
ce texte, le deuil public devrait concerner les victimes tutsies et les
victimes hutues du génocide et de la guerre. Les rédacteurs ne l’ignoraient
pas, leur conception d’un travail de deuil allait très au-delà des
ressentiments intensément vécus par des populations traumatisées : ils
demandaient que, dans leur proximité de voisinage, les habitants de tel ou tel
quartier ou colline, de telle ou telle paroisse, reconnaissent publiquement la
souffrance de chaque groupe. “ Ce deuil sera sans doute le plus rude, car
c’est le renoncement au penchant naturel à la vengeance et à la répulsion
devant l’assassin des miens. Il faudra y mettre le temps qu’il faut (une
éternité !), mais il faudra bien y parvenir […].[12] ”
Quelques mois plus tard, les autorités
commencèrent à faire ouvrir des charniers et déterrer les ossements des
victimes pour les inhumer dans des lieux choisis pour la circonstance. Les
discours prononcés durant les cérémonies étaient radiodiffusés. Ce furent
souvent des moments où la violence verbale l’emporta sur le deuil, des
officiels stigmatisant les Hutus en bloc, ou des rescapés accusant publiquement
tel ou tel assistant hutu à la cérémonie d’avoir participé au génocide. Un
prêtre, André Sibomana, rédacteur en chef de Kinyamateka, ne manqua pas de relever le caractère violent de ces
cérémonies. Il écrivait dans l’éditorial du numéro spécial du 6 avril
1995 : “ Que peut-on faire pour que plus jamais cela ne se
reproduise ? Au lieu de cette réflexion, la commémoration et l’inhumation
des restes des victimes vont de pair avec l’incitation à la haine et à la
vengeance.[13] ” La commémoration nationale, en
ouvrant la voie à l’expression d’un deuil collectif qui honorerait toutes les
victimes des génocideurs, quelle que soit leur origine ethnique, avait opéré
une rupture avec des pratiques locales qui exacerbaient un deuil obsédé par le
ressentiment. Mais cette rupture, issue d’une décision prise par le pouvoir au
plus haut niveau, ne fut ni relayée par les autorités territoriales, ni
continuée par les commémorations nationales suivantes.
Les gouvernants n’avaient pas voulu que
la première commémoration du génocide soit consacrée à la seule expression de
la souffrance et du deuil. Pourquoi ont-ils jugé nécessaire de lier la
dénonciation des responsabilités de la communauté internationale à la liturgie
commémorative ?
Le génocide des Rwandais tutsis ne fut
pas ignoré du monde, ni pendant, ni après qu’il fut commis. En France, le
caractère exceptionnel des massacres qui débutèrent le 7 avril 1994 était
rapidement mis en évidence par la presse écrite : les 11 et 12 avril, des
envoyés spéciaux relatèrent les tueries qui frappaient systématiquement les Tutsis[14]. Des articles, de plus en plus nombreux,
et la télévision continuèrent à rendre publiques l’intensité et l’horreur des
massacres durant les mois d’avril à juin[15]. Le 27 avril, le pape fut le premier
chef d’État à employer le terme de génocide[16], suivi, quelques jours plus tard, par le
secrétaire général des Nations unies, il fallut attendre le 15 mai pour
qu’Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, prononce le mot. La
Commission des Nations unies pour les droits de l’homme ne parla que le 25 mai
1994 de “ certains actes s’apparentant au génocide ”, et désigna un
rapporteur spécial, le juriste ivoirien René Degni Segui qui concluait, le 28
juin — “ La qualification de
génocide doit d’ores et déjà être retenue en ce qui concerne les Tutsis[17]. ” — il préconisait dans ses rapports
suivants la création d’un tribunal pénal international[18].
Ainsi, à la différence du génocide juif,
l’information sur la mise à mort systématique de la minorité tutsie ne fut pas
refoulée. Il n’y eut pas de “ terrifiant secret ”, deux ou trois
semaines suffirent pour neutraliser le syndrome de refus de la réalité[19]. La rapidité avec laquelle la conviction
qu’il s’agissait bien d’un génocide gagna les opinions occidentales n’est pas
étonnante, elle tient à ce que cette notion, amplement médiatisée par les
recherches historiques, les discours et les commémorations concernant le
génocide juif, ne représentait plus une lointaine abstraction juridique, ne
désignait plus un crime inimaginable. Alors que les médias avaient rendu publique
la mise en œuvre de l’extermination au Rwanda, alors qu’ils étaient
vraisemblablement mieux informés que les simples citoyens, des acteurs
politiques, les seuls qui auraient pu tenter de s’opposer efficacement au
génocide — les membres du Conseil de Sécurité, des dirigeants d’États puissants
— dénièrent la nature du crime en s’abstenant de le nommer[20]. Les membres du Conseil de Sécurité
évitèrent ainsi l’obligation d’agir découlant de la reconnaissance du génocide,
au terme de la Convention de décembre 1948[21]. Ils acceptèrent même qu’au cours du
Conseil du 16 mai 1994, le représentant de l’État rwandais justifie les
massacres. Quant à la plupart des dirigeants nationaux, y compris des chefs
d’État africains, ils se contentèrent de demander l’arrêt des tueries sans
autrement les qualifier. Les responsables politiques “ savaient ”,
ils choisirent de refouler le terme de génocide durant quelques semaines. A
posteriori, rapporté à la durée ordinaire des pratiques diplomatiques, ce laps
de temps peut paraître bref : en réalité, la responsabilité, impliquée par
cette complicité du mensonge, est d’avoir laissé le champ libre aux bourreaux
car l’essentiel des tueries fut accompli en six semaines.
Abandonnées dès les premiers jours du
massacre, abandon dont le Conseil de sécurité avait montré l’exemple en
décidant, le 21 avril, de réduire de deux mille quatre cents à trois cents le
nombre des “ casques bleus ”, les victimes du génocide avaient été
pourchassées et avaient péri dans une solitude totale. La remémoration de
l’indifférence des Nations faisait intégralement partie du deuil, même si elle
rendait encore plus lourde l’amertume des survivants dont le droit à
l’existence avait été méprisé sans que, sous prétexte d’un hypocrite alibi de
non-ingérence, réagissent ceux qui auraient pu les secourir. Il reste que cette
remémoration donnait au pouvoir une scène publique où manifester, devant les
médias internationaux, que l’abandon passé se continuait dans le présent.
Rappeler à ses “ devoirs ” une communauté internationale défaillante
comportait des enjeux politiques fondamentaux. Une partie de ces devoirs
découlait de la passivité de la communauté internationale durant le génocide,
passivité qui, selon les nouveaux dirigeants, la mettait en dette vis-à-vis du
Rwanda. Elle devait garantir la sécurité du pays, menacée par les camps de
réfugiés hutus trop proches des frontières et noyautés par des groupes
militarisés, elle devait, de façon tout aussi urgente, aider à sa
reconstruction. Or, malgré des promesses verbales, l’aide n’arrivait pas. Les
autres devoirs tenaient au fait même de génocide : l’ONU, qui avait créé
le 8 novembre 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, devait
soutenir son action et tout mettre en œuvre pour faire arrêter les auteurs du
génocide en fuite à l’étranger.
La commémoration de 1995 a étroitement
lié travail de deuil et nécessité de justice. C’était prendre en compte une
dimension essentielle de la souffrance des rescapés : au Rwanda, les
massacres de populations tutsies qui eurent lieu de 1959 à 1973, et qui
reprirent en 1990, n’avaient jamais donné lieu à des poursuites judiciaires[22]. Organisateurs et exécutants avaient
beau être connus, tant au niveau national, qu’au niveau local, ils demeurèrent
impunis, certains furent même récompensés.
Le tribunal pénal international se
mettait difficilement en place et, en avril 1995, les rescapés pouvaient douter
à juste titre de son efficacité. Quant à l’appareil judiciaire rwandais, il
avait été dévasté : magistrats tués, en fuite, infrastructures détruites[23]. Les fonds nécessaires à sa
reconstruction, à la formation de nouveaux magistrats, n’avaient pas été
versés, seules quelques ONG avaient tenté de participer à la reconstruction.
Cependant, il y avait discordance entre l’exigence de justice proclamée par les
autorités et la stratégie judiciaire effectivement mise en œuvre. Celle-ci
accusait des retards tenant moins aux difficultés matérielles qu’à un blocage
politique, ce qu’illustre, parmi d’autres traits, le fait que les magistrats de
la Cour Suprême n’étaient toujours pas nommés[24].
Toutefois, dans le cadre de la première
commémoration, il y eut une manifestation symbolique de justice. Le 6 avril, le
tribunal de première instance de Kigali faisait comparaître six accusés de
crimes contre l’humanité. Le substitut du
procureur, ayant montré la nécessité de procéder à des vérifications, le
président du tribunal ajourna la séance et reporta le procès sine die.
La
possibilité de reconstruire des liens sociaux, que n’empoisonnerait pas
l’arbitraire ethnique, avait un rapport avec l’état de la justice. Mais, dans
une situation d’hyper violence marquée par des vengeances meurtrières, des
assassinats de personnalités en vue, des arrestations sans preuves pour
participation au génocide, les déclarations officielles sur la justice
restaient incantatoires tant qu’avaient lieu de telles exactions, tant qu’elles
ne faisaient l’objet d’aucune poursuite sérieuse et tant que ceux qui s’y
opposaient risquaient leur vie. Le personnel judiciaire lui-même n’était
nullement à l’abri. Ainsi, le juge Gratien Ruhorahoza, président du tribunal de
première instance de Kigali, “ disparut ” après avoir fait libérer 40
prisonniers, accusés de génocide mais, selon lui, sans éléments suffisants pour
maintenir leur incarcération. Le 7 avril 1995, François-Xavier Nsanzuwera,
président du Collectif des Ligues et Associations de défense des droits de
l’Homme au Rwanda et procureur général de la République, venu participer à la
commémoration organisée à Paris, ne retourna pas au Rwanda : ayant
critiqué le système des arrestations arbitraires, il savait sa vie menacée.
En réalité, la guerre civile continuait.
Le 22 du même mois d’avril 1995, l’armée
rwandaise tirait au fusil, à la mitrailleuse, au lance-grenades, des heures
durant, sur la foule désarmée d’un camp de déplacés hutus qui avait été
installé à Kibeho, dans la préfecture de Gikongoro[25]. Il y eut plusieurs milliers de
victimes. Depuis le début de l’année, les autorités avaient fermement incité
ces réfugiés de l’intérieur à revenir chez eux, mais sans succès. Ces derniers
se refusaient à partir : les fonctionnaires et les militaires de l’ancien
gouvernement, craignant pour certains la conséquence de leurs actes durant le
génocide, pour d’autres, d’être assimilés aux premiers en raison de leurs
fonctions passées, voulaient continuer à s’abriter dans la masse des déplacés
et menaçaient les candidats au départ ; mais par dessus tout, les réfugiés
redoutaient les nouvelles autorités et l’armée, omniprésente dans les communes[26]. Des observateurs avaient même constaté
qu’à la veille du 6 avril 1995, des paysans qui s’étaient décidés à regagner
leur région, revenaient dans les camps[27]. L’officier, qui avait commandé les
opérations de fermeture du camp de Kibeho, jugé par un tribunal militaire, en
décembre 1996, fut condamné au motif de “ négligence ” à dix-huit
mois de prison avec sursis. Il reçut, plus tard, le commandement de la région
militaire de Kigali.
7
avril 1996 : l’exposition des cadavres
Depuis la
première commémoration du 7 avril 1995, les cérémonies commémoratives, les
projets muséographiques, l‘élaboration d’une histoire du génocide ont été
conçus et dirigés par les autorités étatiques. Les rescapés ont-ils été consultés,
ont-ils exprimé comment ils auraient voulu que soient honorés leurs morts et
préservée la mémoire du génocide ? En 1995, fut organisée une association
nationale des rescapés du génocide, elle prit le nom d’Ibuka, qui signifie
“ Souviens-toi ”. Ibuka développera en propre des initiatives
mémoriales mais les orientations politiques données aux commémorations
resteront le fait du gouvernement, de même que les formes de leurs
représentations publiques. Or, de 1995 à 1996, les modalités de la commémoration
nationale n’eurent plus rien de commun, ce fut une toute autre politique de la
mémoire qui fut exprimée, ce fut aussi la première fois qu’au Rwanda
l’exposition de cadavres fut associée à un rite funéraire.
La première commémoration nationale avait
créé un cimetière et enterré les morts religieusement, elle restait ainsi en
continuité avec des pratiques funéraires en usage. Ces pratiques étaient
d’origine occidentale. Elles dataient en effet de la colonisation et de la
christianisation du Rwanda qui avaient introduit l’usage des cimetières. La
culture rwandaise précoloniale, à l’exception des funérailles royales,
environnées de longs rituels très élaborés, ne s’intéressait pas aux cadavres.
Les corps, enveloppés dans une natte, étaient soit portés et abandonnés dans la
forêt, soit ensevelis près de l’habitation et, dans ce dernier cas, aucun signe
ne marquait le lieu de l’inhumation : ni tombe, ni cérémonies. Sur les
collines, dans le monde paysan, la pratique d’enterrer les corps dans le domaine
familial a d’ailleurs persisté jusqu’à nos jours. Les anciens Rwandais, s’ils
ne fétichisaient en aucune façon la dépouille de leurs morts, ne les oubliaient
pas pour autant. Le nom des parents disparus était conservé par le culte des
ancêtres, dont les procédures conservaient la mémoire des liens généalogiques
entre les défunts et les vivants. Les Rwandais authentiquement christianisés[28], qui ne pratiquaient plus les rites
traditionnels, n’avaient cependant pas été influencés par le décorum funéraire
occidental. En témoignent les cimetières auxquels ne sont apportés aucun soin
particulier et qui ne comportent que des croix de bois. Une attitude bien
différente de celle qui consiste, par exemple en certaines régions de l’Afrique
de l’Ouest, à exposer le cadavre somptueusement paré de même qu’à construire
des tombeaux monumentaux.
Synthétisant cette attitude, un
interlocuteur rwandais nous disait : “ Les Rwandais ont horreur des
cadavres. ” En temps ordinaire, la simplicité des pratiques d’inhumation
ne faisait pas obstacle au travail de deuil car on savait comment la mort
s ‘était produite et ce qu’était devenu le corps. Mais les rescapés du
génocide eurent à éprouver un surcroît de souffrance : ignorer où se
trouvaient les corps de leurs disparus. Beaucoup les recherchèrent[29]. Quand une fosse était ouverte dans un
endroit où ils pensaient que les leurs avaient été massacrés, ils espéraient
reconnaître quelque signe d’identification, un morceau de vêtement par exemple.
D’autres tentaient de savoir auprès des voisins hutus où les corps avaient été
enterrés. Des Rwandais, vivant à l’étranger, vinrent eux aussi chercher les
restes de leur famille avec l’aide de témoins hutus. Enquêtes douloureuses et
difficiles car les témoins, s’ils savaient quelque chose, craignant l’accusation
d’avoir participé à la tuerie, redoutaient de parler. Néanmoins, cela nous fut
raconté, certains purent localiser les corps. Parfois, les cadavres furent
découverts là où les assassins les avaient tués ou jetés. Le profond espoir des
survivants était de donner une sépulture à leurs disparus, très peu d’entre eux
le réalisèrent[30].
La recherche des corps signifiait la
volonté de restituer aux défunts leur dignité humaine, dignité que les
instigateurs et les exécutants du génocide avaient déniée tant par leur
propagande que par la cruauté des souffrances qu’ils avaient infligées aux
victimes. Ainsi, un survivant qui avait découvert les restes de sa famille et
organisait leur inhumation : “ Avec des amis et des connaissances, on
va les transférer dans leur propriété et les enterrer là. Parce que l’on se dit
qu’il est significatif de le faire. Ce sont nos parents. On les a tués,
pourchassés comme du gibier, on les a enterrés comme des chiens. Il faut leur
rendre leur dignité.[31]” Pour les autres endeuillés, ne put être
apaisée cette souffrance qu’exprimait la veuve de Joseph Kavaruganda, un
magistrat hutu — il était Président de la Cour de Cassation et de la Cour
Constitutionnelle — assassiné le 7 avril 1994 : “ Beaucoup d’entre
nous, comme moi-même, n’avons même pas eu le droit à la dépouille de nos morts
jusqu’à aujourd’hui pour honorer, au moins, leur mémoire et — vous le savez
bien — quand on retrouve le corps, ce n’est qu’un demi-mort. Sinon on est perdu
définitivement.[32] ” En consacrant une tombe à un mort
inconnu, la première commémoration avait exprimé cette douleur liée aux corps
perdus, elle avait érigé une sépulture qui serait le symbole de celle qui
manquait aux survivants pour commencer leur deuil.
La cérémonie du 7 avril 1995, outre ses
significations politiques, avait orienté la pensée collective de la mort vers
un travail de deuil qui associerait étroitement la recherche de la vérité au
souvenir des victimes mais sans que cette association, jusqu’alors bannie au
Rwanda, bouleverse les attitudes habituelles à l’égard des cadavres. Sur ce
dernier point, la commémoration de 1996 opéra une rupture symbolique radicale.
Cette rupture avait été précédée par des pratiques publiques d’inhumation qui
suscitèrent des réactions notamment de la part de certains milieux religieux,
ainsi qu’en témoigne un texte édité, en 1995, par la Commission pour la relance
des activités pastorales du diocèse de Butare (CRAP).
Cette Commission avait, dès septembre
1994, incité les communautés chrétiennes à entretenir les fosses communes et
prévoir des “ monuments ”, car “ pour guérir du mal, il faut en
parler et le mettre en lumière et non l’occulter comme cela a eu lieu dans le
passé.[33] ” Un an plus tard, la Commission
constatait que les fosses, se trouvant sur des terrains paroissiaux, avaient
été entretenues et que des pierres tombales commençaient à être installées.
Cependant, les rédacteurs regrettaient qu’en certaines localités, les populations
aient eu peur de parler : “ On continue à cacher des endroits où
furent ensevelies des victimes du génocide et des autres massacres. Ce refus
d’indiquer ces lieux relève de la peur des représailles de la part des rescapés
du génocide ou des forces de l’ordre.[34]” La pastorale du deuil, telle que
l’entendait la Commission, devait comprendre toutes les victimes, les victimes
du génocide mais aussi les victimes tuées par l’armée du FPR, à titre de
vengeance. Ces massacres, dénoncés par des observateurs et des religieux
étrangers ainsi que par des Rwandais, étaient violemment niés par le FPR si
bien que leur évocation faisait l’objet d’un tabou qu’il était dangereux de
transgresser[35]. Inciter à révéler l’emplacement des
charniers contenant les restes de ces victimes pour en faire des sépultures
consacrées, c’était opposer de front l’impératif religieux au calcul politique,
c’était aussi vouloir que le travail de vérité soit total et n’exclut aucune
catégorie de victimes. Les auteurs n’ignoraient évidemment pas que la mention
“ des autres massacres ”, aussi allusive fut-elle, violait la loi du
silence, ils ne lui donnèrent pas d’autre développement, comme si cette mention
n’avait de sens que pour les communautés chrétiennes. Par contre, ils se
montrèrent autrement plus explicites à l’égard des pratiques gouvernementales.
Les
critiques de la politique menée par le gouvernement durant l’année 1995 en
matière d’inhumations locales des victimes du génocide sont résumées en une
phrase : “ L’horreur ne justifie pas l’horreur en retour. ” Le
texte procède à une description réaliste des inhumations. Le projet
gouvernemental est, rappelle-t-il, d’ensevelir les morts en des emplacements
qui deviendront des lieux du souvenir. Pour cela, sont rassemblés les restes
découverts en divers endroits et déterrés les cadavres des fosses communes.
L’ouverture de celles-ci et l’exhumation des corps créent des moments
terribles. “ Le procédé fait choc et fait frémir. Dans certaines régions,
on a pu déterrer plus de 20 000 personnes à la fois. […] Une atmosphère de
jugement dernier plane lorsque les vivants se trouvent face à ces masses de
squelettes et de crânes qui nous donnent mauvaise conscience. ” De tels
spectacles sont effroyables mais les rédacteurs leur reconnaissent un but
immédiat : “ Ce procédé, sans pudeur, on le sent, vise à dévoiler ce
que les assassins de la mémoire et tous les fossoyeurs de la vérité tentent
vainement de faire oublier chez nous ou à l’étranger. ” Il reste que les
autorités détruisent ce que le travail de vérité aurait pu avoir de
positif : parce qu’à la violence passée, elles ajoutent de nouvelles
violences.
Les
exhumations sont ordonnées même si des cérémonies funéraires avaient déjà eu
lieu : le travail de deuil déjà commencé se voit donc purement et
simplement ignoré, de même ne sont pas respectés “ les cheminements déjà
accomplis par la population ”. Elles sont pratiquées par des prisonniers
et par la population, que celle-ci soit ou non d’accord : “ L’usage
de la contrainte pour exécuter ces déterrements et transports des corps n’est
pas mesure rare. ” Il n’y a pas de précautions prises qui indiqueraient le
souci de respecter les restes des victimes : les squelettes sont traînés
par les excavateurs “ comme un fagot de bois derrière soi ”. Ces
opérations suscitent un climat de vengeance plus qu’une demande de justice.
“ Certains rescapés du génocide y trouvent occasion pour prononcer des
paroles dures, ‘‘bons de colère’’ adressés aux présumés coupables. ”
En septembre 1994, lorsqu’elle appelait à
l’organisation de cérémonies funéraires, la Commission exprimait
essentiellement la nécessité de commencer un travail de deuil. Un an plus tard,
elle ajoute que de telles cérémonies participent aux “ mesures de
‘‘Reconstruction-Réconciliation’’ de notre pays ”, reconnaît et loue
“ l’intention pédagogique de ces cérémonies officielles d’inhumations
collectives ”. Mais le texte affirme sans ambiguïté l’échec d’une
pédagogie basée sur l’usage de la force : “ Vu que ces cérémonies
sont des moments de vérité où le peuple accepte son histoire et l’assume pour
l’avenir, le recours à la violence pour les préparer sape certainement
l’atteinte de ce but. ”
Que propose la Commission ? Les
rédacteurs rappellent qu’il y a eu polémique entre partisans et adversaires du
déterrement mais pensent qu’elle doit être dépassée. Lorsque des fosses
communes existent déjà dans des terrains paroissiaux ou communaux, le
déterrement ne s’impose pas mais il faut ériger des pierres tombales. Dans
certains cas, lorsque les corps ont été jetés dans des lieux insalubres, ou
lorsque les fosses sont éparpillées, il faut rassembler les morts dans une
sépulture qui, au niveau de la cellule ou du secteur[36], sera le lieu du souvenir. L’essentiel
est de construire une concertation, secteurs par secteurs, entre les autorités
et toute la population, car “ le respect dû aux morts incombe à chaque
citoyen ”. La “ thérapie collective ”, que devraient réaliser
les cérémonies officielles, exclut en fait toutes les formes de violence
imposées, autoritairement, par des responsables politiques qui ne jugent pas
nécessaire de “ descendre sur le terrain ”. Enfin, les cérémonies
commémoratives ne devraient pas être purement laïques et devraient comporter,
comme à Kigali le 7 avril 1995, un rituel spécial, prévoyant des formes de
célébration œcuménique.
Pour les survivants du génocide, les
inhumations collectives, entreprises par l’Église ou par les autorités,
pouvaient aider au travail de deuil lorsqu’ils arrivaient à établir un lien
entre les morts retrouvés et leurs propres disparus. Un survivant en témoignait :
“ J’ai essayé de chercher le corps de ma femme, des enfants, mais je n’ai
pas réussi. Dernièrement, on a fait un enterrement de tous les restes des gens
qui habitaient à Ngoma. Parce que ma femme a été massacrée à Ngoma, dans sa
famille, avec ses parents, ses frères et ses sœurs, j’ai supposé que ma femme
était enterrée parmi les autres. De toute la famille, on n’a pu retrouver
qu’une petite fille, un parent rescapé avait reconnu les habits qu’elle portait
ce jour là. On l’a mise dans un cercueil. Il y a beaucoup d’os, de crânes, on
ne peut pas s’en sortir, on les met dans des bâches en plastique, on les
enterre. On a creusé des grands trous, on y a déposé tous les corps, à peu près
4 100 personnes : on avait compté les crânes. On les a enterrés, on a mis
des croix.[37]”
Enterrer publiquement les seules victimes
du génocide privait les Hutus, dont les familles avaient été tuées par le FPR
en juillet 1994, de mener leur deuil. Des fosses existaient où les restes de
ces morts avaient été enterrés. Des témoins en connaissaient les emplacements
mais il aurait été dangereux de les montrer. C’est pourquoi des rumeurs
circulaient sur l’existence de ces fosses. D’autres rumeurs, se basant sur le
bon état des cadavres exhumés dans le cadre des cérémonies d’inhumation
collective, laissaient soupçonner qu’il ne s’agissait pas des victimes du
génocide mais de celles du FPR[38].
L’interdit jeté par les autorités
politiques sur la reconnaissance de ces victimes et l’impossibilité qui
s’ensuivait de leur donner une sépulture réelle ou symbolique était source de
souffrance, il contribuait aussi à ce que, pour une partie d’entre elles, les
populations hutues n’acceptaient pas de partager la douleur des survivants
tutsis du génocide. La privation de deuil, subie par la population hutue,
aggravée par les contraintes de silence, endurcissait les réactions. A un
prêtre du diocèse de Butare qui, à la fin de l’année 1994, demandait à tous de
participer à une inhumation religieuse de Tutsis tués durant le génocide, il
fut répondu : “ Et nos morts de juillet ? ”[39]
Le nouveau
régime engagea une lutte ouverte contre l’influence d’une Église catholique
dont la puissance n’avait fait que grandir depuis les années 1920. En même
temps que les autorités politiques dénonçaient les compromissions bien réelles
de la haute hiérarchie de l’Église avec le pouvoir avant avril 1994, qu’elles
stigmatisaient l’attitude de nombreux ecclésiastiques refusant d’admettre qu’il
y avait eu, parmi eux, des acteurs du génocide, elles entendaient que l’Église
reconnaisse sa culpabilité et fasse publiquement preuve de repentir. Dans ce
contexte d’affrontement, la commémoration du génocide constituait un enjeu
symbolique crucial. Aussi, durant l’année 1995, avec ou sans l’assentiment des
religieux, le pouvoir avait-il entièrement repris l’initiative des cérémonies
locales d’inhumation collectives. Par ailleurs, le 1er novembre 1995, jour de
la Toussaint, jusqu’alors férié, fut déclaré jour ordinaire.
Un
journaliste américain qui, en 1995, eut des entretiens avec des responsables du
FPR, rapporte que, pour ces derniers, les cérémonies d’inhumation devaient
constituer des moments d’exhortation au repentir, repentir sans lequel aucune
réconciliation ne pourrait avoir lieu[40]. Selon ce journaliste, les cérémonies
devenaient une tribune où ce message politique prenait le pas sur le deuil et
sur l’accompagnement religieux de l’assistance : “ […] les membres du
nouveau gouvernement sillonnaient maintenant le pays pour répandre l’évangile de la réconciliation
(souligné par nous) par l’aveu de responsabilité dans le génocide.[41] ” Le vocabulaire de l’auteur
suggère la volonté de donner aux actes commémoratifs le sens d’une religion
laïque, intention que confirme la description d’une cérémonie à laquelle il a
assisté[42]. “ […] on dépouilla le tapis
d’herbe tendre pour faire apparaître un charnier. On en retira les corps brisés
et on les étendit sur un long présentoir. Convoqués par les chefs de leurs
villages, les paysans des alentours étaient venus assister à la scène, et
sentir l’odeur de la mort, tandis que le président Bizimungu arrivait avec une
demi-douzaine de ministres et de nombreuses autres personnalités. Des soldats
distribuèrent des gants en plastique transparent aux villageois et leur firent
ranger les débris de cadavres dans des cercueils et emballer le reste dans de
grandes feuilles de plastique vert. Puis il y eut des discours et des
bénédictions. Un soldat m’expliqua que, dans son allocution, le président avait
demandé aux paysans où ils se trouvaient lorsque ces morts avaient été tués
dans leurs villages, puis ils les avaient exhortés au repentir. Après quoi les
morts furent placés dans de nouvelles fosses communes et recouverts à nouveau
de terre. ”
Ce
reportage confirme les observations de la Commission de relance des activités
pastorales sur le parti de l’horreur
choisi par les autorités. Dans un
pays où la tradition n’avait rien construit sur la dépouille charnelle des
défunts — ni attention donnée au cadavre, ni souvenir du corps conservé par une
construction —, où seule importait la conservation du nom des disparus, garants
de l’unité généalogique des vivants, l’exposition des cadavres mettait les
assistants dans une situation qui excluait la possibilité de donner à la mort
une signification humaine. La cérémonie, précisément par le choc de l’horreur,
cet état de peur immense où tous les liens affectifs rassurants sont rompus,
rendait à nouveau présente la dimension d’inhumanité du génocide. De plus, le
discours officiel, globalisant la culpabilité des assistants hutus, signifiait,
pour ceux qui l’entendaient, non pas le sentiment de culpabilité métaphysique
que certains religieux tentaient de faire partager et de lier à l’expression du
repentir, mais la menace que tout Hutu risquait d’être accusé de participation
criminelle au génocide.
La
commémoration nationale de 1996 maintint l’esprit des cérémonies d’inhumations
collectives conduites localement par les autorités. D’immenses charniers, qui
dissimulaient des milliers de cadavres, venaient d’être mis à jour, à Murambi,
dans la préfecture de Gikongoro. Vingt sept mille cadavres furent déterrés pour
être réinhumés et mille huit cent soixante-quatre furent exposés dans les
classes d’une ancienne école technique, posés sur des claies en bois et sur des
bâches au sol[43]. Un rescapé raconta comment les Tutsis
avaient été traîtreusement rassemblés dans le site de l’école et massacrés.
Puis, en les montrant du doigt, il accusa des gens, qui étaient dans la foule,
d’avoir tué. Après quoi, sous les applaudissements de la foule, il se tourna
vers la tribune d’honneur et désigna
l’évêque de Gikongoro, Mgr Augustin Misago qui aurait, lui aussi, à
rendre des comptes[44].
Le 7 avril
de cette année était un dimanche de Pâques. La Conférence des Évêques
catholiques du Rwanda avait souhaité que la commémoration soit reportée au
lundi 8 avril. “ En tenant compte de la sensibilité de notre peuple, il
convient que chacun des deux événements soit célébré avec un relief et un
cachet propres : le jour de la joie pascale est à distinguer
psychologiquement du jour de recueillement en mémoire de la perte de nos
compatriotes.[45] ” Cette requête des évêques avait
suscité des discussions intenses au sein du clergé : elle correspondait
aux vœux d’une hiérarchie et d’un parti soucieux de conserver les apparences
d’une Église inébranlable, elle scandalisa un autre parti, engagé dans une
autocritique sans complaisance pour “ faire surgir une nouvelle manière
d’être de l’Église[46]”, et qui associait la commémoration du
génocide et les cérémonies pascales à une pastorale d’humilité et d’espérance[47].
Le
gouvernement n’accéda pas à la requête des évêques, maintint la date du 7 avril
et conduisit une cérémonie purement civile : des religieux étaient
présents, mais il n’y eut pas, comme en
1995, de bénédiction œcuménique. En Afrique noire, quelle que soit l’infinie
diversité des pratiques funéraires traditionnelles et actuelles, quelle que
soit la multiplicité des croyances religieuses, la relation aux morts est
consubstantielle au sacré. C’est ainsi que, pour le faire comprendre, des
intellectuels africains ont exprimé l’intensité de cette relation en expliquant
que les religions africaines sont d’abord culte des morts. Dans le contexte
africain, il est impensable d’honorer les morts sans religion. A cet égard, la
décision de désacraliser une cérémonie funéraire, prise par les autorités
rwandaises en 1996, constituait une révolution mentale. De même que celle
d’exhiber les cadavres. Quatre ans plus tard, à Murambi, où les corps sont
toujours exposés, répondant à une journaliste qui lui faisait remarquer qu’il
n’est pas dans la tradition africaine de laisser des morts sans sépulture, un
représentant de la commission Mémorial du génocide répondait : “ Le
génocide non plus n’est pas dans la tradition africaine. Nous voulons
décourager toute velléité de recommencer.[48] ”
Le 7 avril
1995, la première cérémonie avait donné à la mémoire du génocide des fondations
politiques : la nécessité du travail de vérité, l’instauration de la
justice, la dénonciation de l’attitude internationale de non intervention. En
1996, les ordonnateurs de la commémoration choisirent de la submerger par la
violence des émotions liées au spectacle des cadavres. Ce fut le même parti qui
présida à la constitution d’autres mémoriaux du génocide. Ainsi, deux églises
rurales, proches de Kigali, à l’intérieur desquelles furent massacrées des
milliers de personnes, restèrent en l’état, montrant leurs murs défoncés par où
les tueurs lançaient des grenades. Dans l’une de ces églises, l’église de
Ntarama, les corps des victimes ont été
laissés tels quels, à la place même où elles avaient été abattues.
La
conception de ces mémoriaux donnait au génocide une immédiate évidence, physique
et émotionnelle. Mais cette évidence ne se substituait-elle pas à une autre
dimension, elle aussi essentielle : savoir comment, par quels cheminements
politiques, ce crime d’État avait été perpétré, et avec quelles complicités
actives et passives ? Ne faisait-elle pas obstacle au devoir de vérité et
au travail d’histoire qui lui est intimement associé ? Maintenir le
souvenir d’une tragédie telle que le génocide au Rwanda, mais pas seulement
dans les cercles restreints de ceux qui ont à intervenir dans cette région,
dépend largement des médias. Certains de ces médias s’en tiennent au voyeurisme
des cadavres, les montrent en photographies, les décrivent, à quoi ils ajoutent
le récit atroce d’un rescapé et se dispensent souvent d’aller plus loin dans
l’analyse[49]. Or, les opinions publiques occidentales
tendent à méconnaître, ou à oublier quelles furent les responsabilités de leurs
propres États par rapport aux massacres. Il n’y a guère de chances non plus
pour que le spectacle horrifiant des morts leur apprenne quoi que ce soit sur
le génocide, sinon qu’au Rwanda aussi, les hommes sont capables du pire.
La
commémoration de 1997 dans un état de quasi-guerre civile
Durant
l’automne 1996, l’armée rwandaise attaqua les camps de réfugiés hutus installés
à l’est du Zaïre depuis l’exode massif de juillet 1994. L’opération précipita
un très important mouvement de retour : en quelques semaines, plusieurs
centaines de milliers de réfugiés, qui vivaient dans les camps congolais et
tanzaniens, revinrent au Rwanda. Leur réinstallation ne soulevait pas que des
difficultés matérielles. Les maisons et les propriétés de beaucoup d’entre eux
avaient été occupées par des Tutsis de la diaspora qui avaient regagné le
Rwanda après la victoire du FPR. Ces derniers n’étaient pas décidés à appliquer
les textes officiels qui en prescrivaient la restitution pourvu que le
propriétaire ne soit pas poursuivi pour génocide. Du coup, les accusations de
complicité dans le génocide provoquèrent, peu après leur retour, l’arrestation
de nombreux rapatriés. La sécurité intérieure du Rwanda fut menacée dans
certaines régions où des rebelles commirent des attentats meurtriers. Il
s’ensuivit des répressions sanglantes de la population accusée de les soutenir.
A l’extérieur, au Zaïre, l’armée rwandaise poursuivit la traque et le massacre
systématiques de dizaines de milliers de civils hutus qui avaient fui lors de
la destruction des camps. Enfin, à la recrudescence d’assassinats de
personnalités hutues, d’enlèvements et de disparitions, s’ajouta, au début de
l’année 1997, le meurtre d’expatriés occidentaux, travaillant au Rwanda[50].
La
troisième commémoration nationale du génocide
se déroula dans la préfecture de Gisenyi, région dont les habitants,
pris entre la rébellion et les ripostes de l’APR, subissaient toutes sortes
d’exactions. Les cérémonies furent célébrées dans la sous-préfecture de
Kibilira. Le choix de ce lieu avait une signification historique : le 11
octobre 1990, soit onze jours après l’attaque du Rwanda par le FPR, des
autorités et des notables lancèrent des bandes d’assassins sur les paysans
tutsis de Kibilira. Les tueries avaient duré deux jours, elles furent
interrompues en raison des pressions exercées sur la Présidence par quelques
ambassades. C’est à Kibilira que, pour la première fois, un massacre de civils
tutsis, hommes, femmes et enfants, avait été conçu et commis en tant que
riposte à l’agression des combattants du FPR[51].
A cette date, beaucoup de Tutsis avaient trouvé un abri dans l’église de
Muhororo car les prêtres et les religieuses de la paroisse avaient réussi à
dissuader les agresseurs de violer le sanctuaire[52]. Il n’en fut pas de même en 1994 :
ceux qui avaient cherché refuge dans l’église et les bâtiments de la paroisse
ne furent pas épargnés par les tueurs, ils périrent ainsi que deux prêtres et
quatre religieuses. Les restes de 23000 victimes du génocide avaient été
rassemblés et exposés au moment de la cérémonie avant d’être inhumés dans des
fosses communes creusées devant le portail de la paroisse.
Un
important déploiement de mesures de sécurité rappelait concrètement que cette
préfecture, située au nord du Rwanda, subissait un quasi-état de guerre civile.
L’ancien président du Rwanda, et une bonne partie des hauts dignitaires de son
régime, étaient issus de cette préfecture. Célébrée dans de telles
circonstances, la commémoration ne pouvait guère être associée à un message
d’apaisement. Le discours officiel reconstitua l’histoire de la haine
ethnique : le génocide de 1994 — des témoins rescapés et leur porte-parole
dénoncèrent les autorités et les notables qui avaient organisé localement le
massacre ; la tuerie de 1990 à Kibilira et l’extermination, en 1992, de
centaines d’éleveurs ; les pogroms de 1959 particulièrement violents dans
cette même région. C’était rappeler que, depuis la fin des années cinquante,
les populations paysannes hutues du nord avaient adhéré aux enrôlements
politiques meurtriers contre les Tutsis. Quelle était l’origine de cette
haine ? Le président de la République déclara que l’intervention des Européens en fut la cause, car elle provoqua un conflit ethnique entre
les Hutus et les Tutsis, conflit qui n’existait pas avant la domination
européenne : “ La division ethnique, après des siècles d’unité nationale,
est l’œuvre indéniable de la colonisation[53]”.
Depuis la
victoire de juillet 1994, intellectuels et autorités expliquaient, répétaient
que la causalité profonde du désastre tenait à la perversité d’une politique
coloniale qui avaient dressé Hutus et Tutsis les uns contre les autres,
accusaient le régime précédent d’avoir justifié ses pratiques ethnistes en
s’appuyant sur une histoire conçue par les Européens, une histoire dévoyée qui
identifiait le Rwanda précolonial à la tyrannie tutsie. Selon le nouveau
pouvoir, la réconciliation exigeait le retour à l’authenticité de la tradition
rwandaise, une tradition de paix entre Hutus et Tutsis. En ce moment de
commémoration, la leçon d’histoire, prononcée devant tout le gouvernement et
des milliers de paysans, cherchait à ouvrir un avenir des relations entre Hutus
et Tutsis qui serait débarrassé des fantasmes historiques les plus nocifs.
Les observateurs du Rwanda s’étonnent souvent
de l’intensité des argumentations historiques et de la place essentielle
qu’elles tiennent dans le discours politique[54]. C’est que ces argumentations
construisent une vision éternisante des rôles tenus par les Hutus et par les
Tutsis, figés dans un face à face où, selon la version défendue, les uns
occupent la position de victime et les autres celle de bourreau. Les nouvelles
autorités cherchaient à briser ces figurations essentialistes de l’ethnicité en
mettant au premier plan l’intervention coloniale : le colonisateur fut
l’oppresseur de tous les Rwandais et c’est à partir de cette réalité qu’il
était nécessaire de repenser l’histoire des Tutsis et des Hutus. Et, toujours
selon cette même logique qui consiste à attribuer aux politiques occidentales
la capacité d’avoir engendré, dans le passé, les maux qui déchirèrent la
société rwandaise, le pouvoir rendait ces politiques, notamment celles de la
France et des Nations unies, responsables de la tragédie de 1994. Ce thème sera
central à la commémoration de 1998.
La
commémoration de la résistance, le 7 avril 1998 à Bisesero
Attaques et assassinats perpétrés par des
“ infiltrés ” hutus continuèrent, durant l’année 1998, dans le nord
du Rwanda et gagnèrent jusqu’à la préfecture centrale de Gitarama. L’armée
nationale (APR) et les autorités locales exerçaient des représailles très
lourdes à l’égard des populations soupçonnées de protéger les rebelles. Durant
la première semaine d’avril, consacrée à la mémoire du génocide, les dépêches
annoncèrent une recrudescence des offensives de la guérilla qui avaient causé
la mort d’au moins 135 personnes, dont des soldats de l’APR. Les cérémonies
d’inhumation se déroulèrent dans plusieurs préfectures et la dernière eut lieu
le 7 avril à Bisesero, une région montagneuse située à l’ouest du pays, en
préfecture de Kibuye. Cet endroit symbolisait la résistance héroïque des
victimes. D’autres lieux où les Tutsis luttèrent pour leur vie sont connus mais
ce fut à Bisesero que leur défense désespérée tint le plus longtemps, du 8
avril au 1er
juillet 1994[55]. Repliés sur la colline, armés de
pierres et de lances, ils subirent les assauts des miliciens et de militaires
qui, eux, se servaient de grenades et d’armes à feu. Sur les cinquante mille
Tutsis que comptait la préfecture de Kibuye, environ 2000 survécurent qui
s’étaient repliés à Bisesero[56].
Le président de la République, les autres
représentants du gouvernement et une foule de plusieurs milliers de personnes
gravirent les pentes de la colline mémorial jusqu’au sommet, à l’emplacement
d’un futur monument[57]. Trois tombes avaient été creusées,
l’une pour les héros de la résistance, la deuxième pour ceux qui avaient été
identifiés par leur famille et la troisième pour les morts inconnus. Un amas de
crânes et d’ossements marquait l’entrée de la “ piste des
souffrances ”. Le chef de l’État rendit hommage aux résistants qu’il
promit d’élever au rang de héros nationaux. Dans son discours, il rappela que
les pays européens ainsi que les Nations unies étaient “ principalement
responsables du type de chaos que nous avons dans le pays ” et que les
“ victimes des atrocités ont besoin d’assistance et y ont droit car
l’Europe est responsable de ces atrocités.[58] ” Il accusa enfin les États
européens de ne pas livrer à la justice les organisateurs du génocide qui
vivaient librement dans leur territoire.
Aucun délégué de l’ONU et des États
occidentaux n’assistait à cette quatrième commémoration sinon les diplomates en
poste à Kigali. Cependant, l’envoyé spécial de l’Union européenne pour la
Région des Grands Lacs, Aldo Ajello, déclara que la communauté internationale
avait une “ responsabilité d’omission ” dans le génocide. L’absence
répétée de hauts responsables politiques occidentaux aux cérémonies de
commémoration signifiait symboliquement le refus de s’engager dans une démarche
de “ repentance ”, démarche qui entraînerait l’acceptation de verser
des réparations aux victimes du génocide. Le gouvernement rwandais, dès son
arrivée au pouvoir, avait déclaré que réclamer de telles réparations était
légitime mais n’avait jamais obtenu aucune déclaration ni aucun geste allant
dans ce sens. A Bisesero, le discours présidentiel assura qu’il n’y avait ni
déclaration de rancune, ni hostilité à l’égard de certains pays européens
compromis dans la tragédie, le Rwanda espérait seulement qu’ils admettent leurs
responsabilités.
Pourquoi associer la question des
réparations à la commémoration ? C’était tenter de donner une suite
concrète au bref passage du président des États-Unis à Kigali. Bill Clinton,
qui effectuait une tournée dans six pays d’Afrique noire, avait accepté que son
avion fasse, le 25 mars 1998, une escale de trois heures sur l’aéroport de la
capitale rwandaise. Il ne s’inclina pas devant le mémorial du génocide érigé à
son intention dans l’enceinte de l’aéroport, donnant pour prétexte que ses
services de sécurité le lui déconseillaient. Il reconnut cependant que la communauté
internationale ainsi que les nations africaines devraient accepter leur part de
responsabilité dans le génocide[59]. Toutefois, il ne dit rien des
États-Unis eux-mêmes et de leur attitude anti-interventionniste. Enfin, le
président américain promit de faire débloquer deux millions de dollars en
faveur d’un fonds d’aide aux survivants du génocide. Bill Clinton n’avait guère
montré la voie de la reconnaissance des responsabilités américaines : il
s’était borné à des généralités critiques concernant le rôle de la communauté
internationale, il n’avait pas évoqué l’attitude de son propre pays, il s’était
refusé à tout geste symbolique qui aurait pu être interprété comme une
contrition. Le même jour, le responsable de l’ONU chargé des questions
humanitaires, Sergio Vieira de Mello, regrettait la “ passivité ” de
la communauté internationale qui aurait pu s’opposer efficacement aux massacres[60].
La nécessité de justice ne fut pas
évoquée par la commémoration de 1998 sous le seul angle des réparations dues
aux victimes, elle apparut, pour la première fois au Rwanda, comme le châtiment
de crimes ethnistes. Les tribunaux rwandais, privés de moyens et dépendants des
luttes politiques qui se déroulaient dans les plus hautes instances de l’État,
ne pouvaient guère répondre aux attentes des survivants. Le premier procès pour
génocide eut lieu le 27 décembre 1996 ; en avril 1998, n’avaient été jugés
que 329 accusés, tandis qu’étaient emprisonnés 130.000 inculpés. Cependant, au
cours d’une cérémonie d’inhumation qui se déroulait pendant la semaine de la
commémoration, le président de l’Assemblée nationale de Transition annonça la
prochaine exécution de condamnés à mort pour participation au génocide. Le 24
avril 1998, 22 condamnés furent fusillés publiquement. Les exécutions eurent
lieu en cinq endroits différents. A Kigali, quatre condamnés subirent la
sentence devant une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La
radio nationale avait appelé la population à assister aux exécutions.
L’Association rwandaise de défense des Droits de l’Homme et des Libertés
Publiques (ADL) dénonça l’exécution en public[61], l’association Ibuka se déclara
satisfaite que le gouvernement ait utilisé le meilleur moyen pour décourager
les tueurs. Ibuka cependant critiqua de façon acerbe les pratiques funéraires
liées à la commémoration, jugeant indécent de se complaire à “ balader ”
les ossements des victimes sous prétexte de les enterrer en dignité. La
véritable dignité serait de venir en aide aux rescapés[62].
Les
finalités politiques de la commémoration en 1999
En juillet 1998, le Rwanda s’engagea dans
une intervention armée en République démocratique du Congo, intervention de
plus en plus importante à mesure que divers belligérants entraient dans ce
conflit régional qui devint la “ guerre du Congo ”[63]. Grâce aux succès militaires de l’armée
rwandaise, la création d’un glacis sécuritaire aux frontières du pays, qui
avait été l’objectif des attaques d’octobre 1996 contre les camps de réfugiés
hutus, était devenue l’occupation armée d’une partie du Congo. Le gouvernement,
mis en place le 19 juillet 1994, s’était fixé une durée limitée à cinq ans. Le
8 février 1999, les autorités déclarèrent maintenir l’état d’exception et
prolonger de quatre ans la période de transition. Cependant, au mois de mars,
furent organisées les élections d’autorités intermédiaires entre la population
et les autorités supérieures : les dirigeants des cellules et des secteurs[64].
Il reste que le nouveau régime rwandais n’avait jamais effectivement
rompu avec ses origines militaires et, au détriment d’autres modes d’action,
recourait plutôt à l’usage des armes pour étouffer toute velléité de
contestation. La guerre menée au Congo renforça cette tendance à la
militarisation des relations de pouvoir : le quadrillage administratif de
l’espace public, qui déjà enserrait la population dans un réseau pyramidal
de responsables la contrôlant de près, fut renforcé par un dispositif
paramilitaire. Dans chacune des quelques dix mille cellules que compte le
Rwanda, furent formés et armés cinq responsables de la local defense force censés combattre en cas d’attaque, en réalité,
chargés de faire la chasse aux “ infiltrés ” et à leurs complices. Il
s’ensuivit une brutalisation croissante des rapports d’autorité mais, durant
cette année, la rébellion intérieure perdit peu à peu ses capacités d’attaquer.
La cinquième commémoration du génocide
eut lieu à Kibeho, dans la préfecture de Gikongoro. L’ancien président de la
République du Mali, Toumani Touré, représentait la mission de l’Organisation de
l’Unité africaine (OUA) chargée d’enquêter sur le génocide. L’Union européenne
et les États-Unis avaient envoyé des représentants spéciaux. Cette
commémoration ne fut pas consacrée au travail de deuil. Elle ne tenta pas non
plus de dépasser le climat de guerre civile entre les ethnies. Au contraire,
les autorités choisirent ce moment pour signifier qu’elles engageaient une
lutte ouverte contre l’Église catholique et contre le principal parti hutu, le
Mouvement Démocratique et républicain (MDR).
Durant la cérémonie d’inhumation, des
rescapés accusèrent publiquement l’évêque de Gikongoro, Mgr Misago, déjà mis en
cause lors de la commémoration du 7 avril 1996 et présent à la cérémonie,
d’avoir personnellement dirigé des réunions de tueurs durant le génocide. Le
président de la République, Pasteur Bizimungu, s’empara de ces accusations et
prononça un violent réquisitoire contre l’Église catholique[65]. Il rappela que les responsables de
l’Église protestante avaient pris la décision de demander pardon au peuple
rwandais parce que certains de leurs membres n’avaient pas montré le bon
exemple durant le génocide et opposa à cette contrition exemplaire l’attitude
de la hiérarchie catholique. Loin de prendre le chemin du repentir, l’Église ne
souhaitait pas que les lieux consacrés, où furent massacrés ceux qui avaient
espéré s’y abriter, deviennent des mémoriaux du génocide. Le Saint-Siège venait
de préciser que l’église de Kibeho devrait servir exclusivement à Dieu et non à
la mémoire du génocide, à quoi le Président rétorquait : “ Si
l’Église regrette les briques et les vitres qui ont servi à la construction de
cette église, l’État rwandais décidant de faire de cette église un mémorial,
que l’Église nous le dise et on lui construira un nouveau bâtiment. ” Plus
grave encore, l’Église ne déchargeait pas l’évêque Misago de ses
responsabilités alors qu’elle ne démentait pas les très graves présomptions de
génocide qui pesaient sur lui. Le Président demanda enfin que Mgr Misago soit
éloigné du Rwanda “ même s’il était innocent ”. Chacun pouvait
comprendre la signification du discours : l’arrestation de l’évêque était
imminente. Désormais, le pouvoir n’hésiterait pas à frapper la haute hiérarchie
catholique et les rumeurs prévoyaient que l’archevêque de Kigali, Mgr Thaddée
Ntihinyurwa, pourrait connaître le même sort[66].
La
commémoration de 1999 reprit à nouveau l’histoire de la haine ethnique mais non
plus cette fois en stigmatisant la seule politique coloniale. Le discours
officiel dénonça les politiciens rwandais hutus qui avaient exploité cette
politique pour s’emparer du pouvoir et massacrer les Rwandais tutsis. En 1963,
une attaque d’exilés tutsis, qui avait pourtant été rapidement repoussée, eut
pour conséquence, en guise de représailles, le massacre de populations tutsies
qui n’avaient aucun lien avec la guérilla. Les pires tueries, perpétrées par
des bandes de tueurs organisés, avaient
eu lieu dans la préfecture de Gikongoro. Deux dignitaires hutus de la Première
République, André Nkeramugaba et Bonaventure Ubalijoro, qui furent l’un, préfet
et député de Gikongoro, le second, ancien chef des renseignements puis, de 1996
à 1998, président du Mouvement Démocratique Républicain[67], avaient été récemment emprisonnés sous
l’accusation d’avoir perpétré des crimes contre les Tutsis durant les années
1960. Bien que la loi organique sur le génocide, en vigueur au Rwanda, limitât
la poursuite aux crimes ayant eu lieu entre octobre 1990 et décembre 1994, le
procureur de la République de Kigali et
le secrétaire général de Ibuka estimaient qu’il fallait étendre cette loi dans
le temps. Le Président, dans son discours de Kibeho, se félicita de leur
arrestation car, s’ils avaient eu déjà dans le passé un plan de génocide
— “ Ils s’étaient fixés l’objectif d’exterminer les Tutsis jusqu’au
nouveau-né. ” —, ils n’avaient toujours pas abandonné ce plan. La
leçon à tirer de cette double inculpation fut exprimée sans ambiguïté :
les notables hutus des partis actuels n’étaient aucunement à l’abri
d’accusations de génocide, accusations liées à leur passé[68] — “ De tels criminels ne se sont
toujours pas amendés à ce jour. Bien au contraire. Nous apprenons qu’ils ne
cessent de parcourir le Rwanda pour semer la division. Ils devraient être
arrêtés dans la mesure du possible. ”
À Kibeho, là où se déroulait la
cérémonie, l’armée rwandaise avait tiré, le 22 avril 1995, sur une foule de
déplacés hutus, dont les trois quarts étaient des femmes et des enfants,
faisant un nombre considérable de morts (cf.
supra). Le Président n’eut qu’un mot sur leur sort : il s’agissait de
tueurs et non de victimes innocentes comme l’avait prétendu la communauté
internationale. C’était refuser le statut de victime à tout Hutu, quand bien
même il n’aurait aucunement participé au génocide. La logique ethniste restait
vivace au cœur du discours officiel : tout Hutu est suspect puisque son
ethnie s’est rendue coupable du génocide[69]. Et toujours selon cette même logique,
le Président fit part d’une “ idée ” sur laquelle les responsables du
pays devraient réfléchir : les actes de génocide ayant été commis
“ au nom des Hutus ”, même si tous n’y avaient pas participé, les
Hutus ne devraient-ils pas demander collectivement le pardon d’un crime commis
en leur nom[70] ?
La qualité de victime ne pouvait donc
être reconnue qu’aux seuls Tutsis : était annihilé le fait que de très
nombreux Hutus ont été tués, eux et toute leur famille, sur ordre des
responsables du génocide parce qu’ils étaient des opposants notoires à la
politique de massacres. Dans certaines régions, également, de simples Hutus ont
sauvé des Tutsis au péril de leur propre vie. Cependant, le discours des
autorités ne donne pas à ces “ justes ” la place qui devrait leur
revenir et suspecte de “ négationnisme ” les projets visant à
rappeler cette vérité. En novembre 1999, l’association Ibuka terminait le
recensement des victimes du génocide en préfecture de Kibuye. Il avait été
décidé de ne pas distinguer victimes tutsies et victimes hutues, ce que dans
son allocution aux cérémonies de présentation du recensement, le président
d’Ibuka annonça en ces termes : “ D’avril à juillet 1994, un
génocide fut perpétré au Rwanda. Plusieurs personnes, des Batutsi en
particulier et tous ceux qui pouvaient s’identifier à eux soit par alliance,
amitié ou même par leur physionomie dans les milieux non familiers, y ont
trouvé la mort la plus atroce.[71] ” Il ne s’agissait pas
d’identification. Certes, des Hutus ont été tués à cause de leur physique qui
les désignait comme Tutsis à leurs assassins. Mais ceux qui perdirent la vie,
parce qu’ils avaient cherché à protéger des Tutsis pour des raisons morales ou
politiques, agissaient en êtres humains et non pas en Hutus
“ identifiés ” à des Tutsis, autrement dit en simili-Tutsis
s’opposant à des Hutus.
7 avril 2000 : la
repentance de la Belgique
Durant les douze mois qui
s’écoulèrent entre avril 1999 et avril
2000, les opérations militaires menées par l’armée rwandaise s’amplifièrent. La
rébellion interne finit par être matée mais la guerre au Congo devint de plus
en plus intense : les populations congolaises considéraient les Rwandais
comme des envahisseurs et ces derniers usaient de la force pour imposer leur
présence, des groupes armés lançaient des attaques, enfin, il y eut, en août
1999, un affrontement très sévère avec l’armée ougandaise pour le contrôle de
Kisangani si bien que les relations entre les deux anciens alliés se
détériorèrent gravement. Le 30 août, le général Paul Kagame, vice-président de
la République et ministre de la Défense, justifia devant l’Assemblée nationale
la politique militaire du Rwanda : il s’agissait d’assurer la sécurité du
pays toujours menacée par les rebelles hutus, réorganisés et réarmés par le
président Kabila, de là l’aide militaire apportée à la rébellion anti-Kabila[72]. Mais le front où combattaient les
soldats rwandais était si éloigné des frontières du pays que leurs familles
pensaient qu’ils risquaient leur vie non pour protéger le Rwanda mais pour
satisfaire les appétits de conquête de la hiérarchie politico-militaire. Par
ailleurs, l’enrôlement forcé de jeunes gens était pratiqué et redouté. Toujours
dans son discours du 30 août, Paul Kagame avait affirmé que l’économie
rwandaise n’était pas handicapée par la guerre grâce aux sacrifices des
soldats. Cependant, en novembre 1999, le président de l’Assemblée nationale
proposait d’instituer une “ contribution volontaire ” des citoyens et
des entreprises aux dépenses militaires. Au même moment, le Premier ministre
demandait des secours à la communauté internationale pour lutter contre la
famine au Rwanda.
Les quatre années de prolongation du
gouvernement, promulguées en février 1999, ne suscitèrent pas une atténuation
des conflits aux plus hauts niveaux de la hiérarchie politico-militaire. Ces
derniers ne firent que s’exacerber au point que le premier trimestre de l’année
2000 vit la démission de Joseph Sebarenzi Kabuye, président de l’Assemblée
nationale (le 6 janvier), celle de Pierre-Célestin Rwigema, Premier ministre
(le 28 février), et, le 23 mars, celle du président de la République, Pasteur
Bizimungu[73]. Les démissions et les départs, publics
ou clandestins, de personnalités hutues qui faisaient partie de l’appareil
politico-administratif ou d’organisations de la société civile, avaient
commencé dès 1995. Mais de nombreux rescapés tutsis, hommes d’affaires,
avocats, médecins, intellectuels, recherchaient eux aussi des pays d’accueil.
De même, des membres de la diaspora tutsie, revenus après 1994 et qui furent
liés aux milieux dirigeants, reprenaient le chemin de l’exil. L’un d’entre eux,
Jean-Pierre Mugabe, ancien directeur d’un journal proche du FPR, publia une
lettre ouverte au général Paul Kagame : il le dénonçait comme dictateur
sanglant et comme l’organisateur de l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana, attentat qui, le 6 avril 1994, déclencha le génocide[74].
Le 17 avril 2000, Paul Kagame, président intérimaire, devint chef de
l’État du Rwanda.
Ainsi, la sixième commémoration du
génocide eut-elle lieu dans un contexte politique qui tranchait sur celui des
années précédentes : le pouvoir était maintenant officiellement contrôlé
par celui que les médias avaient longtemps appelé “ l’homme fort ” du
Rwanda. Un chef de guerre, en fait, qui avait conduit le FPR à la victoire
militaire sur l’ancien régime, et qui continuait de faire la guerre à
l’extérieur du pays. A l’intérieur, lui et son petit groupe monopolisaient
désormais l’autorité : au prix d’une longue série d’épurations au
Parlement et dans les autres instances étatiques, au prix également d’une
surveillance étroite de la population par des services de renseignements et un
appareil policier redoutés. Un ancien député, Jean Mbanda, osa, le 5 mai,
adresser une longue lettre ouverte aux chefs des partis politiques. Après avoir
recensé les critères qui, selon lui, faisaient reconnaître une dictature, il
demandait : “ En comparant la situation politique qui prévaut
actuellement dans notre pays et celle qui prévalait avant avril 1994 à cette
grille de définition de la dictature, y a-t-il l’un ou l’autre critère qui
n’était pas rempli avant 1994 ? Y en a-t-il un seul qui ne soit pas rempli
actuellement ? ” Il fut arrêté quelques jours plus tard.
Le 7 avril 2000, furent réinhumés à
Kigali, au mémorial de Gisozi, les corps transférés de fosses communes qui
avaient été creusées durant le génocide dans un quartier de la ville,
Nyamirambo, pour y jeter des milliers de morts. D’autres charniers, de moindre
importance mais toujours dans ce même quartier, furent également repérés. Une
journaliste observa que les victimes enterrées le plus profondément, étaient
quasi intactes. Aussi des rescapés cherchaient-ils à reconnaître les leurs.
Elle recueillit le témoignage de l’un d’entre eux. “ Isaac Bynshi, un
soldat de 18 ans, seul survivant d’une famille de 57 personnes, est venu avec
sa sœur. Il assure que tous les siens se trouvent là, entassés, en partance
pour le mémorial de Gisozi, et il nous montre une silhouette recroquevillée,
avec sous les vêtements à peine souillés une peau brune et incroyablement
lisse : C’est notre mère, nous
l’avons reconnue à ses dents écartées, les mêmes que les miennes. Isaac,
comme d’autres rescapés, essaiera d’éviter à sa mère d’être enfouie dans le
mémorial anonyme. Il tentera d’emporter son corps vers le cimetière tout
proche, de lui offrir une sépulture décente, qu’il couvrira de pierres et de
fleurs.[75] ” Le jeune homme a-t-il réalisé son
projet d’une inhumation privée ? Le reportage ne le dit pas. Cependant,
lors de la cérémonie au mémorial de Gisozi, un reportage indiquait que certains
cercueils portaient un nom de famille lorsqu’un survivant avait pu identifier
les cadavres[76].
Ces brèves indications, reportées par des
journalistes, font écho au conflit entre rite privé et rite public, entre désir
de deuil intime et politique commémorative, qui opposa parfois des rescapés aux
autorités politiques. Il arriva en effet que les autorités interdisent à des
survivants de donner une sépulture privée aux corps de leurs parents enfouis
par les tueurs dans un endroit qu’ils localisaient avec certitude, ou bien
qu’ils avaient reconnus lors d’une exhumation. Ainsi, deux survivants d’une
famille se virent-ils refuser d’inhumer leur père : l’autorité locale leur
expliqua que son corps ne leur appartenait pas mais appartenait à l’État. Il
leur fallut exercer toutes sortes de pressions durant un an pour obtenir
l’autorisation de l’enterrer de façon privée[77]. D’autres doivent encore attendre que
l’ordre soit donné d’ouvrir des fosses où ils savent qu’ont été enfouis les
leurs.
La sixième commémoration fut en soi un
événement politique : le premier ministre belge, Guy Verhofstadt, vint au
nom de son pays, demander pardon pour le génocide. “ Je l’affirme, la
communauté internationale toute entière porte une immense et lourde
responsabilité. J’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des
autorités politiques et militaires belges. Pour que le Rwanda puisse tourner
son regard vers l’avenir, vers la réconciliation, nous devons d’abord assumer
nos responsabilités et reconnaître nos fautes. Au nom de mon pays, je m’incline
devant les victimes du génocide. Au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je
vous demande pardon.[78] ” Au cours des six années écoulées,
la Belgique et la France avaient mené des investigations parlementaires sur
leurs responsabilités politiques dans le génocide, une commission d’enquête
indépendante, mandatée par l’ONU, avait reconnu que l’Organisation avait
“ failli ” au Rwanda et conclu : “ Cette responsabilité
internationale exige que l’Organisation et les États membres présentent des
excuses claires au peuple rwandais.[79]” Le secrétaire général de l’ONU, Kofi
Annan, avait reconnu l’échec, exprimé son “ profond remords ”,
n’était cependant pas venu à Kigali présenter “ personnellement ” des
excuses, ainsi que le lui avait demandé la présidence rwandaise. Enfin, un
groupe de personnalités désignées par l’OUA travaillait à une enquête sur
l’abandon du Rwanda par les États africains au moment du génocide.
Mais, en 2000, la Belgique fut seule à
accomplir une démarche fondatrice de nouvelles relations avec un gouvernement
rwandais que la guerre, menée au Congo, isolait de plus en plus : aucune
autre délégation étrangère n’était présente, pas d’envoyés de l’Ouganda ou de
l’Afrique du sud comme il y en eut aux cérémonies précédentes. Paul Kagame,
assumant provisoirement les fonctions présidentielles, loua “ l’héroïsme ”
de l’attitude du Premier ministre belge, qui osait demander pardon malgré
l’opposition que cette démarche pouvait susciter dans son pays. Puis il aborda
le thème central de son discours : la défense de l’engagement militaire en
République démocratique du Congo. Quant aux accusations qui l’impliquaient dans
l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il les stigmatisa comme un
mensonge révisionniste, relayé par les médias internationaux.
La démarche du Premier ministre belge et
le discours de Paul Kagame renforcèrent une finalité qui fut constante aux
cérémonies commémoratives : légitimer devant la communauté internationale
la domination de fait du FPR au nom des victimes du génocide. Mais les rescapés
tutsis, que leur formation rendait capables d’occuper de hauts postes dans la
hiérarchie étatique, s’en estimaient, et non sans raison, exclus par les Tutsis
de la diaspora qui avaient accaparé les meilleures positions. En mai 1999,
s’était élevé un conflit très violent entre Ibuka et le FPR, conflit qui
démontra que l’Association restait la dernière force d’opposition au FPR
capable de s’exprimer publiquement. Au cours de la cérémonie du 7 avril 2000,
le président de l’Association interpella le gouvernement au nom des rescapés. Il exposa combien ces derniers, qui avaient
tout perdu, étaient délaissés par les pouvoirs publics : aucune
indemnisation ne leur avait jamais été accordée, une justice véritable ne leur
était toujours pas rendue[80]. Devant les médias internationaux, dans
le temps même de la commémoration, les responsables d’Ibuka, en critiquant
l’indifférence des autorités à l’égard des rescapés, s’affirmaient, à
l’encontre du FPR, comme les représentants authentiques des victimes.
La
violence de la commémoration
La cérémonie commémorative, organisée par
les pouvoirs, procède d’un inévitable rapport de force : d’abord parce
qu’elle capte les paroles muettes des victimes pour leur donner un sens façonné
par des finalités actuelles, ensuite parce qu’elle s’empare du deuil privé des
survivants et le transforme en deuil collectif au nom de considérations qui
sont formées en dehors d’eux. Sur ce dernier point, la violence symbolique
exercée à l’encontre des individus endeuillés peut être tempérée par des formes
et des discours qui respectent leurs souhaits et qui, tout au moins, ne briment
pas leur propre travail de deuil. La commémoration figure le désastre par le
recours à une histoire officielle qui tend à interdire, supplanter ou refouler,
selon les situations, une connaissance libre et plurielle de ce qui s’est
passé. La mémorisation du désastre ritualisée par la commémoration publique est
sélective : elle ne retient que certaines victimes, ou encore les
hiérarchise, ce qui revient à exercer symboliquement une violence
supplémentaire à l’égard des victimes exclues ou marginalisées. Le pouvoir
commémorateur effectue une récupération idéologique du désastre, en
instrumentalise la mémorisation au profit de ses projets politiques. Une
histoire comparative des commémorations des désastres extrêmes au XXe siècle (et à des périodes précédentes)
mettrait en lumière comment chacune d’entre elles incarne spécifiquement ces
invariants : par la diversité de leurs formes, de leurs messages, de la
façon dont elles se composent avec l’environnement mental et politique, par la
plus ou moins grande intensité de la violence symbolique qu’elles imposent aux
individus.
Au Rwanda, les cérémonies nationales,
loin d’euphémiser la violence inhérente au
processus commémoratif, l’ont produite de façon explicite. On a pu
constater que les cérémonies, si elles comportaient des éléments rituels
répétitifs, rendaient publics des discours et des pratiques qui différaient
chaque année. En réalité, à chaque commémoration, le pouvoir a instrumentalisé
la représentation du génocide en fonction des conflits politiques du moment. La
politique de la mémoire, l’histoire officielle du génocide produite dans le
temps de la commémoration furent essentiellement pour les autorités l’occasion
de donner un prolongement idéologique aux rapports de force dans lesquels elles
étaient engagées.
A
l’exception de la cérémonie de 1995 où la représentation du génocide ne
heurtait pas le travail de deuil des survivants, les commémorations firent
usage d’une dramaturgie volontairement et spectaculairement effrayante,
ajoutèrent à l’horreur passée par le voyeurisme du cadavre. Des survivants
tutsis ont exprimé leur ressentiment à l’égard d’un pouvoir qui traitait sans
respect les ossements des victimes, parce qu’il ne s’agissait pas de leurs
proches. Ils ont aussi regretté que de telles cérémonies contribuent à
replonger cruellement les participants dans la violence plutôt que de les aider
à la dépasser. “ Comment parler de la réconciliation si l'exposition des
squelettes consiste à rappeler à certains que les autres ont tué les leurs ?
C’est maintenir les uns dans une position de culpabilité éternelle, ce n’est pas seulement raviver la
haine chez les autres, c’est ne pas permettre à leurs plaies de cicatriser. La
haine grandissante d'un côté, de l’autre la peur permanente.[81] ”
Les commémorations du génocide, depuis
1996, non seulement excluent du deuil national les victimes hutues des
“ génocideurs ”, mais refusent explicitement le statut de victime aux
très nombreux autres hutus qui, sans avoir été des bourreaux, furent massacrés
à titre de représailles et pour instaurer un climat de terreur. Des survivants
hutus ont dit leur souffrance de se voir confisquer le droit à l’expression
publique du deuil et de la douleur. En octobre 2000, fut organisé un sommet national
sur l’unité et la réconciliation, il permit sans conteste un début de
discussion. La question du droit au deuil pour tous, qui signifiait également
exigence d’expression de toutes les vérités, fut ouvertement posée. Ainsi un
participant hutu la formula-t-il : “ On ne le dit pas assez fort,
mais le problème de la mémoire des Hutus est un préalable pour que les gens
puissent s’asseoir ensemble et discuter sincèrement sur les vrais problèmes du
pays, parce que tant qu’une seule partie de la population du Rwanda sera
autorisée à pleurer ses morts, à crier sa détresse, sans que l’autre partie
puisse faire son deuil, la réconciliation devra attendre. ”[82]
[1]. La population rwandaise est répartie en trois catégories sociales : les Hutus, les Tutsis et les Twas. Ces catégories, qui préexistaient à la colonisation, se transmettaient en filiation paternelle. Elles ont eu des implications sociales et politiques bien différentes selon les périodes historiques. La majorité des Rwandais était d’origine hutue. Les Twas constituait un ensemble ultra minoritaire : moins de 1% de la population.
[2]. Organisation de la diaspora tutsie, le FPR a déclenché la guerre contre le régime du général président Habyarimana le 1er octobre 1990 en attaquant depuis l’Ouganda voisin. Mené par Paul Kagamé, il a pris le pouvoir à Kigali en juillet 1994. Sa victoire a mis fin au génocide des Tutsis.
[3]. Selon les estimations de l’administration coloniale, 15% de la population rwandaise était d’origine tutsie.
[4]. Claudine Vidal, “ Situations ethniques au Rwanda ”, in Au cœur de l’ethnie, Jean-Loup Amselle, Élikia M’Bokolo, Paris, La Découverte, 1985 ; Sociologie des passions, Paris, Karthala, pp.19-83.
[5]. Il n’y eut pas d’élections mais une cooptation menée par le FPR. Le gouvernement, mis en place le 19 juillet, s’était fixé une durée limitée à cinq ans, et, dès janvier 1995, les nouvelles autorités rwandaises présentaient à des bailleurs de fonds potentiels un Programme de réconciliation nationale, de réhabilitation et de relance socio-économique. Cinq ans plus tard, qu’en était-il de ce Programme ? Le 8 février 1999, les autorités déclarèrent qu’elles maintenaient l’état d’exception et prolongeaient de quatre ans la période de transition.
[6]. Une liste sélective des rapports et des enquêtes publiés par la Commission des droits de l’homme de l’ONU et par des ONG internationales sur la politique de terreur menée au Rwanda par le FPR depuis 1994, a été publiée dans : Rony Brauman, Stephen Smith, Claudine Vidal, “ Politique de terreur et privilège d’impunité au Rwanda ”, Esprit, août-sept. 2000.
[7]. Abbé Modeste Mungwarareba : “ Lettre de Butare ”, décembre 1994.
[8]. Sylvie Umubyeyi, exprima la même plainte à un journaliste : “ Maintenant quand je visite Butare, j’ai de la peine, parce qu’il n’y a plus de vie pour moi. Si là où on a vécu, on ne trouve personne avec qui on bavardait, on s’attriste. […] Au centre-ville, je croise un grand nombre de visages nouveaux et je ne rencontre personne que je fréquentais autrefois. ” Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000, p. 217.
[9]. Il y eut également, organisées par des associations rwandaises et des associations locales, des cérémonies de commémoration en Belgique, en France, en Suisse, et dans d’autres pays.
[10]. Le Soir, 7 avril 1995, “ Paul Kagame. À propos de la sécurité et de la réconciliation au Rwanda ”, propos recueillis à Kigali par Colette Braeckman.
[11]. Diocèse de Butare, Publications pour la relance des activités pastorales, Document n°2 : “ Propositions concrètes pour le travail de deuil ”, 26 septembre 1994.
[12]. Ibid., document n° 3, 12 décembre 1994.
[13]. Kinyamateka, 6 avril 1995, reproduit dans Le Soir, 6 avril 1995.
[14]. Jean-Philippe Ceppi, “ Kigali livré à la fureur des tueurs hutus ”, Libération, 11 avril 1994. Renaud Girard, “ Rwanda : voyage sur la route de l’horreur ”, Le Figaro, 12 avril 1994. Jean Hélène, “ Le Rwanda à feu et à sang ”, Le Monde, 12 avril 1994. J.-P. Ceppi employait la notion de génocide pour qualifier les massacres.
[15]. Marc Le Pape, “ Des journalistes au Rwanda. L’histoire immédiate d’un génocide ”, Les Temps Modernes, Les politiques de la haine, Rwanda-Burundi, 1994-1995, 583, juill.-août 1995.
[16]. Reuters, “ Vatican Calls for Rwandan Peace Conference ”, 27 avril 1994.
[17]. Nations unies, Conseil économique et social - E/CN.4/1995/7-28 juin 1994, Commission des droits de l’homme - Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda ; rapport E/CN.4/1995/12 du 12 août 1994, rapport E/CN.4/1995/70 du 11 novembre 1994.
[18]. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda fut créé par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies le 8 novembre 1994.
[19]. Walter Lequeur, Le terrifiant secret. La “ solution finale ” et l’information étouffée, Paris, Gallimard, 1981.
[20]. Human Rights Watch, Fédération internationale des droits de l’homme, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p. 749.
[21]. La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1948 et est entrée en vigueur en 1951.
[22]. Sous la pression de la Belgique, des auteurs d’exactions à l’encontre des Tutsis furent arrêtés en 1961, mais ils furent libérés en 1962, après la proclamation de l’indépendance.
[23]. Selon Alphonse-Marie Nkubito, ministre de la Justice, il restait 195 magistrats sur 850 d’avant le 6 avril 1994. A.-M. Nkubito, “ Situation judiciaire au Rwanda ”, in Rwanda. Un génocide du XXe siècle, R. Verdier, E. Decaux, J.-P. Chrétien, eds, L’Harmattan, Paris, 1995, pp. 223-230.
[24]. Sur les ambiguïtés de l’action gouvernementale en matière judiciaire : Éric Gillet, “ Les juridictions nationales ”, in Rwanda. Un génocide du XXe siècle, op. cit., pp. 107-113.
[25]. En avril 1995, il restait 250 000 personnes regroupées dans des camps de déplacés au sud-ouest du pays. Depuis octobre 1994, les autorités souhaitaient les fermer.
[26]. Médecins sans Frontières, Rapport Kibeho, mai 1995, Amsterdam, Barcelone, Bruxelles, Genève, Paris ; Jean-Hervé Bradol, Anne Guibert, “ Le temps des assassins et l’espace humanitaire ”, Hérodote, 86/87, 1997, pp. 128-130.
[27]. “ Kibeho, la pire manière de crever l’abcès… ”, C. Braeckman, Le Soir, 24 avril 1995.
[28]. La conversion des Rwandais (et des Burundais) au catholicisme avait été massive. Mais ce succès quantitatif (unique en Afrique noire) fut une victoire plus politique que religieuse. Les autorités traditionnelles, ralliées à l’Église catholique, imposèrent la nouvelle religion. Il s’ensuivit que beaucoup de “ chrétiens ”, contraintss à un christianisme de façade, pratiquèrent clandestinement la religion de leurs ancêtres.
[29]. La quête des corps disparus et la demande de rapatriement des corps dans les caveaux familiaux fut aussi une expression du deuil, en France, après la première Guerre mondiale. Stéphane Audouin-Rouzeau, “ Corps perdus, corps retrouvés. Trois exemples de deuils de guerre ”, Annales, janv.-fév. 2000.
[30]. Jean-Marie Quéméner, Éric Bouvet, Femmes du Rwanda. Veuves du génocide, Paris, Catleya Éditions, 1999. Deux des femmes, rencontrées par les reporters, ont choisi d’être photographiées, l’une devant la tombe de son mari et de ses cinq enfants, tombes matérialisées par deux croix de ciment (page 25), l’autre dans une pièce de sa maison, où elle a enterré ses morts et fait construire des stèles (page 76). “ Ici, dans cette tombe, j’ai enterré mes enfants, mon mari, ma sœur et deux de mes frères. Dans celle-là, mon frère, celui qui habitait ici. Et là : sa femme. A côté, leur fils aîné. Là, au bout, c’est maman. ”
[31]. J. R., entretien à Butare, 25 octobre 1995.
[32]. Témoignage de Madame Annonciata Kavaruganda, Actes de la commémoration - memorial day – du génocide et des massacres politiques au Rwanda, Bruxelles, 7-8-9 avril 1995, Memorial Day, Ibuka-Mémoire et justice, C.R.D.D.R, Bruxelles, 1996, p. 25.
[33]. Diocèse de Butare, Publications pour la relance des activités pastorales, Document n°2 : “ Propositions concrètes pour le ‘‘travail de deuil’’ ”, sept. 1994.
[34]. Diocèse de Butare, ibid., Document n°11 : “ Travail de deuil. Inhumation en dignité dans le contexte de ‘‘Reconstruction-Réconciliation’’ au Rwanda ”, sept.-oct. 1995.
[35]. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait envoyé, au Rwanda, début août 1994, des enquêteurs pour étudier les conditions d’un retour le plus rapide possible des deux millions de réfugiés massés au Zaïre et en Tanzanie. La mission constata que l’armée du FPR avait commis, après la victoire, des tueries massives dans la population hutue. Robert Gersony, responsable de la mission, fit un rapport au HCR qui le transmit au Secrétaire général des Nations unies. Le “ Rapport Gersony ” ne fut pas rendu public. Cependant, il y eut des “ fuites ” auprès de la presse américaine qui en fit état. En avril 1996, le représentant du Rapporteur spécial sur le Rwanda de la Commission des droits de l’homme de l’ONU qui demandait au HCR communication du “ Rapport Gersony ” se fit répondre : “ Nous vous informons que le ‘‘Rapport Gersony’’ n’existe pas [souligné dans le texte] ”. Le fac-simile de cette lettre a été reproduit par Human Rights Watch, Fédération internationale des droits de l’homme, op. cit., p. 846.
[36]. Les circonscriptions territoriales du Rwanda sont les préfecture et les communes, ces dernières étant subdivisées en “ secteurs ”, comprenant des “ cellules ” regroupant une cinquantaine de familles.
[37]. Entretien avec N. L., Butare, 31 octobre 1995.
[38]. Selon un médecin légiste qui travaillait dans le cadre de la Commission d’enquête de l’ONU, la faible décomposition des cadavres s’expliquait par les conditions dans lesquelles ils avaient été enterrés.
[39]. Entretien avec un prêtre de Butare, 3 novembre 1995.
[40]. Il s’agit de Philip Gourevitch dont les reportages au Rwanda ont été rassemblés dans : We wish to inform you that tomorrow we will be killed with our families. Stories from Rwanda, Farrar, Straus and Giroux, New York, 1998, édition reprise par Picador, London 1999. L’ouvrage a fait l’objet d’une traduction en français : Nous avons le plaisir de vous informer que demain, nous serons tués avec nos familles. Chroniques rwandaises, Denoël, Impacts, Paris, 1999.
[41]. P. Gourevitch, op. cit., édition française, p. 282, “ to spread the gospel of reconciliation through accountability ”, édition anglaise, p. 250.
[42]. P. Gourevitch, op. cit., p. 282. La cérémonie décrite se déroulait dans la préfecture de Gisenyi, durant l’été 1995.
[43]. Ces chiffres ont été donnés par un membre de la Commission Mémorial du génocide et des massacres au Rwanda et cités par Valérie Thorin, “ Au pays des mille souffrances ”, Jeune Afrique/L’intelligent, 15-28 août 2000.
[44]. Colette Braeckman, “ Pâques de deuil au Rwanda dans la mémoire du génocide ”, Le Soir, 9 avril 1996.
[45]. Conférence des Evêques catholiques du Rwanda, lettre du 12 février 1996, à Monsieur le Ministre du Travail et des Affaires sociales, ayant pour objet une “ requête relative au 7 avril 1996 ” et signée de Mgr Thaddée Ntihinyurwa, Vice-Président de la Conférence épiscopale.
[46]. CRAP, document n°4, 11-11-1994.
[47]. Ainsi, dans le document n° 8, édité pour Pâques 1995, la CRAP recommandait-elle : “ […] Il faut d’abord, simplement et silencieusement, se rendre aux côtés des plus pauvres. Déplacement mental et physique des plus rudes, mais qui doit induire une forte créativité. Car, du point de vue évangélique, c’est une mise en perspective de l’histoire ‘‘par le bon bout’’ : voir la situation des plus touchés, et recréer l’espérance à partir de leur souffrance. ”
[48]. Valérie Thorin, op. cit.
[49]. En 1996, dans son article sur la commémoration nationale du génocide, C. Braeckman (op. cit.) écrivait “ Des mains semblent encore griffer le sol, des bras se tendent vers les fenêtres, des jambes crispées disent la fuite, l’effroi, et les crânes fendus comme des coquilles d’œuf rappellent la force des machettes, l’intensité de la haine. ” Quatre ans plus tard, sur le mémorial de Murambi, Valérie Thorin (op. cit.) : “ Corps figés dans l’attitude où la mort les a surpris, la bouche ouverte sur un cri […] crânes fracassés, doigts brisés, membres disloqués. Les enfants sont les plus émouvants. L’un d’eux serre sur sa poitrine un morceau du tissu chamarré du pagne de sa mère. […] ” Dans ce même article, une photographie montre l’intérieur de l’église de Ntarama. En septembre 2000, le Post-Gazette consacrait un long reportage au Rwanda. Le premier chapitre consiste dans une description de plusieurs pages des deux églises-mémorial, accompagnée de photographies. L’auteur concluait : “ Comprendre pourquoi ces mémoriaux existent aide à savoir jusqu’à quel point sont arrivées les rivalités ethniques au Rwanda. ” Anita Srikamewaran, Martha Rial, Post-Gazette, 24 septembre 2000. Toujours sur ce registre, Bernard Doray, écrivait dans le Monde diplomatique de Juillet 2000 : “ Le génocide a laissé des traces indélébiles dans toutes les têtes. Ce qui se dit difficilement avec des mots résiste, par la réalité des ossements conservés et exposés, au négationnisme ou au simple désintérêt. ” Il existe de très nombreux et très répétitifs exemples médiatiques de ces représentations spectaculaires du génocide.
[50]. Trois membres espagnols de Médecins du Monde furent tués le 18 janvier 1997, un père canadien, qui vivait au Rwanda depuis 1962, fut assassiné le 2 février en pleine messe, et le 4 février, deux observateurs des Nations unies connurent le même sort.
[51]. Les événements de Kibilira ont été relatés par les enquêteurs de l’association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques (ADL). Ces derniers identifièrent 357 victimes, mais il y en eut plus car il leur fut difficile de décompter tous les enfants qui avaient été tués. Rapport sur les droits de l’homme au Rwanda, septembre 1991-septembre 1992, ADL, Kigali, décembre 1992, pp. 101-116. Une commission internationale, qui enquêta au Rwanda en janvier 1993, confirma les faits établis par l’ADL et ajouta des précisions sur le pogrom. Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990, (7-21 janvier 1993). Rapport final publié imultanément à Ouagadougou, à Washington, à Montréal et à Paris par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et d’autres associations en mars 1993.
[52]. D’autres Tutsis qui avaient réussi à fuir dans les communes voisines de Bulinga et de Nyakabanda, furent protégés leurs bourgmestres (Félicien Nyaminani pour la première et Straton Sibomana pour la seconde) qui s’opposèrent résolument aux poursuivants.
[53]. Dialogue, 197, mars-avril 1997, “ Carnet ” du 1er mars au 30 avril 1997, p. 114.
[54]. L’histoire des historiens professionnels n’est en aucune façon sollicitée dans ces représentations. Historienne du Rwanda précolonial, j’ai fait part de mes recherches sur ce que l’on pouvait savoir des relations entre Tutsis et Hutus devant un public d’étudiants et d’enseignants de l’Université nationale du Rwanda la première fois en 1972, et la seconde en 1995. À ces deux occasions, les contradicteurs furent nombreux à rejeter purement et simplement des résultats pourtant étayés par une critique des documents qui avait été précisément exposée. Pour étayer leurs propres représentations, celles de 1995 d’ailleurs diamétralement opposées à celles de 1972, ils invoquaient “ la tradition ”, une tradition qui n’avait rien à voir avec les “ sources ” des historiens, mais qu’ils paraissaient avoir naturellement héritée. Alors que peu de Rwandais ont composé des œuvres romanesques ou théâtrales, beaucoup, parmi ceux qui ont publié, ont en fait écrit sur l’histoire du Rwanda, sans d’ailleurs recourir aux travaux des historiens rwandais et occidentaux.
[55]. Sur la résistance à Bisesero, voir Human Rights Watch, Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, op. cit., pp. 252-259. Finalement, les troupes françaises de l’opération Turquoise, sous mandat de l’ONU (22 juin-21 août 1994), brisèrent l’encerclement de Bisesero, mais leurs hésitations durèrent plusieurs jours et il en résulta des morts supplémentaires. Sur cet épisode qui suscita beaucoup de controverses, voir dans le même ouvrage, pp. 788-790.
[56]. IBUKA, Dictionnaire nominatif des victimes du génocide en préfecture de Kibuye, Kigali, 1999, Introduction non paginée.
[57]. Le déroulement de la cérémonie est relaté par Emmanuel Goujon, “ Hommage aux résistants de Bisesero pour le 4ème anniversaire du génocide rwandais ”, AFP, 7 avril 1998.
[58]. UN OCHA Integrated Regional Information Network for Central and Eastern Africa (IRIN-CEA), n°392, 8 avril 1998, ReliefWeb, http://wwwnotes.reliefweb.int/
[59]. “ The international community, together with nations in Africa, must bear its share of responsability for this tragedy, as well. We did not act quickly enough after the killing began. […] We did not immediately call these crimes by their rightful name : genocide. ” Text of Clinton’s Rwandan Adress, Associated Press, March 25, 1998. The Washington Post.
[60]. AFP, “ Génocide rwandais : la communauté internationale à l’heure du repentir ”, 25 mars 1998.
[61]. L’ADL, dans un communiqué du 24 avril 1998, prévenait les autorités : “ Ces exécutions publiques qui semblent avoir pour motivation d’apaiser certains esprits risquent de produire des effets contraires à ceux escomptés. ” Dialogue, 203, mars-avril 1998, “ Carnet ”, p. 135.
[62]. Ibuka, n°2, mai 1998.
[63]. Les pays, officiellement ou officieusement belligérants au Congo, sont l’Angola, le Burundi, la Namibie, l’Ouganda, le Rwanda, le Zimbabwe.
[64]. Le régime précédent avait découpé le territoire, au dessous du niveau des communes, en secteurs, puis en cellules (en moyenne 50 familles). Le nouveau régime ajouta les nyumbakumi, groupes d’une dizaine de foyers. Les autorités territoriales supérieures, soit les préfets et les bourgmestres, étaient nommées par le pouvoir. Les élections des dirigeants de cellules et de secteurs, qui ont eu lieu en mars 1999, se déroulèrent de la manière suivante : les candidats n’avaient pas eu le droit de de faire une campagne publique ni de se présenter comme membre d’un parti ; les électeurs devaient se placer en file indienne derrière les candidats de leur choix.
[65]. Ce discours a été intégralement repris dans le journal Kinyamateka, n°1513, avril, 1999.
[66]. L’Agence Rwandaise d’Information (ARI), dans un communiqué du 8 avril 1999, ouvrait en effet la voie à de nouvelles accusations. Le communiqué rapportait que selon un témoin anonyme, membre du clergé, “ Mgr Misago et Mgr Thaddée Ntihinyurwa, Archevêque de Kigali, seraient allés régulièrement aux réunions du gouvernement intérimaire de Gisenyi [nda : gouvernement mis en place après le 6 avril 1994 et dont les principaux responsables furent les organisateurs du génocide] et que ce voyage se faisait par des hélicoptères de l’armée française qui se trouvaient dans la zone Turquoise. ” L’évêque de Gikongoro fut effectivement arrêté, le 14 avril 1999, sous l’inculpation de génocide. Le procès fut ouvert le 20 août de la même année et se termina le 15 juin 2000 par l’acquittement pur et simple de l’accusé, le tribunal ayant estimé que l’accusation n’avait pas fourni de preuves impliquant l’évêque dans le génocide.
[67]. Le Mouvement Démocratique et Républicain fut créé en 1991. C’était le plus important parti d’opposition hutue au régime du Président Habyarimana. Son président, Faustin Twagiramungu, fut Premier Ministre du gouvernement de juillet 1994, il démissionna et quitta le Rwanda. Bonaventure Ubalijoro remplaça ce dernier à la tête du MDR jusqu’à ce que le nouveau premier Ministre, Pierre-Célestin Rwigema, lui reprenne la direction du MDR. Il reste qu’à certains égards, ce parti était héritier de l’ancien parti unique lié à la première République, le Parmehutu (Parti du mouvement de l’émancipation hutu) si bien que ses notables pouvaient toujours encourir l’accusation de propager la haine à l’égard des Tutsis.
[68]. André Nkeramugaba mourut en prison. Bonaventure Ubalijoro fut remis en liberté en avril 2000 : rien n’avait pu être prouvé contre lui. Quant au Président de la République, Pasteur Bizimungu, il avait été connu en 1973 comme l’un des étudiants hutus les plus virulents des “ Comités de salut public ”, comités qui réclamaient l’exclusion des Tutsis de l’Université, étudiants et enseignants, des postes de fonctionnaires qu’ils occupaient dans les ministères et dans les entreprises publiques. Considéré comme un proche du Président Habyarimana, il se brouilla cependant avec lui et rejoignit, en août 1990, les rangs du FPR en Ouganda.
[69]. Des personnalités de premier plan se livraient à des déclarations publiques qui revenaient à globaliser la culpabilité des Rwandais hutus. Ainsi, le 3 mars 1999, devant un parterre de représentants d’ONG, à l’Université libre de Bruxelles, l’ambassadeur du Rwanda en Belgique a soutenu qu’il y aurait eu deux millions de “ génocideurs ”, autant dire tous les hommes adultes.
[70]. Le MDR s’exécuta le 10 avril et demanda “ pardon à tous les Rwandais pour les enseignements divisionnistes diffusés par certains de ses dirigeants qui les ont entraîné dans le génocide et les massacres. ” AFP, Kigali, 17 avril 1999.
[71]. Discours du président d’Ibuka aux cérémonies de présentation du Dictionnaire Nominatif des Victimes du génocide en Préfecture de Kibuye. Texte sans date, transmis aux agences de presse.
[72]. “ […] la rébellion contre Kabila a été soutenue comme nous le ferions pour quiconque nous rassurerait d’œuvrer pour notre sécurité. ” Dialogue, 212, sept-oct. 1999, “ Revue de presse ” pp. 78-79.
[73]. Joseph Sebarenzi était d’origine tutsie, Pierre-Célestin Rwigema d’origine hutue. L’un et l’autre dûrent prendre la fuite.
[74]. Cette lettre, en kinyarwanda sous le titre Ndarega (J’accuse), fut traduite, avec l’accord de son auteur, en anglais et en français, sous le titre, pour cette dernière langue, de “ Déclaration sur l'attentat contre l'avion dans lequel les présidents Habyalimana du Rwanda et Ntaryamira du Burundi trouvèrent la mort le 06 avril 1994. ” The International Strategic Studies Association, 21 avril 2000, Web Site : www.StrategicStudies.org.
[75]. “ Les âmes mortes errent toujours à Nyamirambo ”, Colette Braeckman, Le Soir, 6 avril 2000.
[76]. “ De vraies sépultures pour les morts rwandais ”, AFP, 7 avril 2000.
[77]. Entretien, Bruxelles, octobre 2000.
[78]. “ La Belgique demande pardon pour le génocide, le Rwanda s’en félicite ”, AFP, 7 avril 2000.
[79]. “ L’ONU admet avoir failli au Rwanda ”, AFP, 16 décembre 1999.
[80]. “ Au nom de mon pays, je vous demande pardon ”, Colette Braeckman, Le Soir, 8 avril 2000. De fait, un Fonds d’aide aux rescapés ne fut créé qu’en 1998 : ce n’était apparemment pas une priorité.
[81]. R. M., 10 novembre 2000, Bruxelles. Lettre à l’auteur.
[82]. “ Sommet sur la réconciliation : un premier pas concluant mais prudent ”, AFP, Kigali, 20 octobre 2000.